25 octobre 2014 | Par Paul Alliès - Mediapart.fr
La question de changer la Constitution de 1980 instaurée par Pinochet a fait ces derniers temps surface au Chili, posée surtout par le mouvement étudiant. Mais le problème de savoir quelle voie emprunter (Assemblée constituante ou pas) agite l’ensemble de la gauche. De telle sorte que la revendication d’une Constituante pour passer à une 6° République portée en France par Jean-Luc Melenchon fait directement écho à ce débat.
Jeudi soir à la Maison de l’Amérique Latine à Paris, l’Association des Ex-Prisonniers Politiques Chiliens en France avait organisé la deuxième soirée d’un cycle centré sur les processus constituants. Il s’agissait de discuter des cas concrets des changements survenus hors l’Amérique Latine ; l’expérience de la Bolivie, de l’Equateur mais aussi du Venezuela avait fait l’objet d’une réflexion liminaire.
J’ai donc proposé de retenir l’histoire de la France, riche d’enseignements en la matière ; mais aussi celle de l’Islande en 2010-2013 et bien sûr de la Tunisie en 2011-2014.
La France peut être considérée comme celle qui a universalisé la méthode de l’adoption populaire des Constitutions dés le 9 juillet 1789 quand l’Assemblée Nationale se proclama Constituante. C’est le début d’une série qui ira jusqu’à la Libération où il faudra élire deux Constituantes (également assemblées législatives) en avril 1945, puis en mai 1946 pour que soit adoptée par référendum la Constitution de la IV° République. Entre-temps, le régime le plus durable que le pays ait connu à ce jour, la III° République, s’était installé en 1875 à coups de lois plus bricolées entre factions parlementaires que délibérées au grand jour. Toujours est-il que la méthode de l’adoption populaire de la Loi fondamentale s’est répandue en Europe depuis l’Italie en 1947 jusqu’à l’Espagne en 1978 et la Pologne en 1997. C’est finalement l’Union Européenne qui a semblé vouloir clore ce qui était devenue une tradition avec le projet de Traité constitutionnel élaboré en 2003 par une improbable Convention ni parlementaire ni populaire.
C’est l’Islande qui a spectaculairement relancé le processus dés 2009 avec un mouvement de masse mobilisé contre la crise financière et la mise en faillite du pays tout entier. Certes il s’agit d’une petite nation (320.000 habitants) mais qui possède tout l’appareil institutionnel des grandes sociétés occidentales ; si bien qu’il n’est pas abusif de le considérer comme un laboratoire significatif. La dynamique participative y fut exemplaire : on parla d’une "Constitution 2.0" à propos du texte élaboré par des instances de citoyens tirés au sort et dialoguant pendant trois mois avec les internautes (94% de la population connectée). Le principal problème est venu du fait que l’Assemblée constituante ne fut élue qu’avec une faible participation des électeurs (36%), de même que le référendum de ratification ne mobilisa que 49% de ces derniers. Dans un pays où les élections législatives ou présidentielles ont toujours concerné de 83 à 88% des inscrits le contraste était un handicap majeur. Et de fait, l’Assemblée nationale ne ratifia pas le texte adopté pourtant par une majorité de 70% de participants au référendum. C’est donc là une leçon qui incite à se montrer prudent et rigoureux sur les formes de légitimation du processus constituant.
Le cas de la Tunisie a été amplement analysé ici (je me permets de renvoyer aux billets de ce blog concernant le processus constituant tunisien : 27/02/11, 05/03/11, 30/01/14). L’Assemblée constituante a été élue en octobre 2011 dans un scrutin très surveillé internationalement et sans faute avec 90% de participation (mais l’inscription sur les listes était volontaire et n’avait pas permis l’enregistrement de toute la population en âge de voter). Elle a été à la fois constituante et législative, mettant ainsi deux ans et trois mois pour aboutir à une adoption de la Constitution par 200 voix sur 217. Ce résultat, l’’énoncé des principes comme l’équilibre des pouvoirs qui y figurent sont des exemples et pas seulement pour le monde arabe. Dans un contexte de très forts clivages, on a là la démonstration d’une démarche pragmatique réussie. (articles présents ici)
A l’évidence, le débat franco-chilien sur la meilleure façon d’adopter un bon texte si ce n’est de changer de régime peut s’enrichir des leçons réellement administrées ici et là, grandeur réelle. Et il en ressort qu’il peut y avoir danger à fétichiser une voie de passage unique que serait une Assemblée constituante chimiquement pure.
URL source : http://blogs.mediapart.fr/blog/paul-allies/251014/chili-france-meme-debat