Le présidentialisme à la française, modèle des extrême-droites en Italie et au-delà
La coalition qui vient d’accéder au pouvoir en Italie a des divergences mais un programme commun en 15 points. Parmi ceux-ci, figure une modification de la Constitution pour permettre l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. Durant la campagne, Giorgia Meloni l’a défendue en référence à la Constitution française, présentée comme un modèle.
La discrétion aura été de règle sur ce sujet en France. Et pour cause : le présidentialisme dont nous connaissons les ravages démocratiques, est devenu une référence commune à tous les courants et régimes autoritaires en Europe, de l’Italie (jusqu’à la Russie). Et Marine Le Pen est devenue la plus ferme avocate en défense de la V° République. Le refus (des « experts » et faiseurs d’opinion) d’admettre cet état de fait est vertigineux, devant la perspective de la conquête du pouvoir par le Rassemblement National et ses alliés en 2027.
En Italie, les divisions entre les trois partis de la nouvelle majorité sont importantes. Par exemple sur la question de la guerre en Ukraine et de l’attitude à avoir vis-à-vis de la Russie. Autant Meloni (Fratelli d’Italia) a répété son engagement philo-américain et donc son soutien à l’Ukraine, autant son allié Matteo Salvini (la Lega), comme Silvio Berlusconi (Forza Italia) sont des amis de toujours de Vladimir Poutine. On sait que c’est en Italie que le chef d’Etat mafieux russe est sans doute le plus intervenu dans la politique intérieure d’un pays, avec le soutien des deux susnommés. Le programme de gouvernement de la coalition est donc essentiel pour la survie de la coalition au gouvernement.
Le sujet de la réforme constitutionnelle y tient une place importante (sous-estimée en France en ce moment). Certes la procédure de révision ressemble, comme partout, à une montre à complication. D’abord, il est interdit de porter atteinte à la forme républicaine du gouvernement (mais un lamentable arrêt de 1988 de la Cour constitutionnelle n’actualise pas la définition de la dite forme et rend donc cet interdit purement formel, sauf à vouloir restaurer la monarchie). En toute hypothèse, il faut obtenir une double délibération du parlement et un vote à la majorité des 2/3 des députés et sénateurs. Si le projet a obtenu la majorité absolue simple, le texte est publié au Journal officiel. Et si dans les trois mois qui suivent, 1/5° des membres d’une des deux chambres, 500.000 électeurs ou 5 conseils régionaux en font la demande, il faut recourir à un référendum. S’il n’y a pas de demande, le Président de la République promulgue le texte.
C’est compliqué mais tout à fait possible. La dernière révision du 5 novembre 2020 réduisant le nombre de parlementaires, a été adoptée par référendum avec une majorité de 70% des votants. Si la nouvelle majorité, vu le rapport de forces qui lui est favorable, tient ses promesses, elle pourra donc parvenir à ses fins : instaurer un présidentialisme à la française en Italie.
Et il semble bien que l’extrême-droite désormais au pouvoir tienne beaucoup à cette réforme. En rappelant la tentative de 1997 quand, soutenue par le gouvernement (de gauche) D’Alema, une Commission bicamérale du Parlement avait porté (sans succès) la même proposition , Giorgia Meloni l’a défendue, avec une proposition de loi discutée en mars 2022 à la Chambre des députés devant la Commission des Affaires constitutionnelles. Le débat n’a pas tant porté sur les défauts d’un tel système (faisant consensus entre la droite et la gauche). Il s’est aussitôt fixé sur le fait de savoir si, en cas de résultat positif, la réforme s’appliquerait sans délai, entrainant la démission de Sergio Mattarella et une élection présidentielle dans la foulée.
Les conditions semblent réunies pour un tel bond en arrière. La présidence de la République italienne a gagné en pouvoir durant la dernière décennie. Elle a déterminé de cinq changements de Président du conseil entre novembre 2001 et février 2021 : Monti, Letta, Renzi, Gentiloni, Draghi ont été appelés par les Présidents Giorgio Napolitano et Sergio Mattarella. A chaque fois, leur formation gouvernementale apparaissait comme plus technique que politique, amoindrissant toujours un peu plus le rôle du parlement. Le projet de Meloni et de ses alliés réunit donc toutes les conditions pour arriver cette fois, à terme.
Ce serait une grande transformation de la tradition constitutionnelle italienne républicaine, sans doute celle qui permettrait une modernisation du néofascisme dans les institutions : non seulement elle lui faciliterait une transcroissance programmatique dans une sorte de techno-pouvoir, mais aussi elle serait de nature à rassurer les gouvernements de l’Union Européenne. Le ralliement à un « modèle V° République » n’est donc pas anodin. Le système présidentialiste français va-t-il devenir le programme commun des courants « illibéraux » ?
Marine Le Pen est parfaitement prête à en tirer profit. Elle n’a jamais varié ni cessé (à la différence notable de son père) de dire son admiration pour la V° République. « Quand certains parlent d’aller vers une VI° République, je leur dit : revenons déjà à la V° (…) Les institutions de la V° République sont tout à fait aptes à exprimer la démocratie pour le peuple français ». (18/02/2017). Et d’en conclure le 12 avril dernier : « Je ne renonce à utiliser aucun des articles de la Constitution, car cette Constitution est une merveille d’équilibre et par conséquent, elle a été conçue pour que l’ensemble des articles puissent être utilisés ». En avant donc vers le 49.3 (pour lequel elle a précisé son attachement) ; et l’article 13 autorisant une dictature légale.
Devant une telle grande transformation, la gauche italienne a totalement failli. La responsabilité de la gauche française n’en est que plus grande pour alerter les démocrates dans toute l’Europe de la dangerosité du « coup d’Etat permanent » qu’est restée la V° République. Et rallier les Français à la nécessité et urgence d’en changer.