Encore un effort, Monsieur de Villepin
Dominique de Villepin publie un ouvrage peu banal qui tranche par son style et une volonté de "dire Non" à la "déformation de l’idée républicaine". Il y traite de la "dérive des institutions" vers un présidentialisme mortifère. Diagnostiqué en regard d’un gaullisme des origines, cette analyse mériterait d’être poussée jusqu’à son terme constitutionnel.
La lecture est portée par une écriture nerveuse, presque haletante. Et c’est un plaisir de trouver des analyses, des expressions, des perspectives qui forment un assez beau système où peu est laissé de côté. Savoir si Dominique de Villepin (DdV) prépare une candidature à l’élection présidentielle est un sujet en soi ("l’enjeu n’est pas le programme, mais la méthode et la vision" dit-il). Quoiqu’il en advienne, l’absence de précautions ou de formules généralement fabriquées pour ces circonstances et leurs électorats convoités, est assez rare pour être salué. L’objectif : "rassembler pour faire atterrir la politique".
On ne traitera ici que du chapitre sur "La République des vivants : rassembler, gouverner et réformer". Et plus précisément sur le deuxième terme : "gouverner" qui est traité à partir d’un diagnostic judicieux.
En transformant nos "principes" républicains, sources de droits fondamentaux (liberté, égalité, fraternité, laïcité...) en "valeurs" indexées sur l’idée et l’usage que nous voudrions circonstanciellement en faire ("contre des ennemis supposés, menaçant parce qu’étrangers"), nous avons aggravé les divisions de la société démocratique : Souveraineté nationale et souveraineté populaire, Etat vertical et société civile divergeraient toujours plus. Le besoin d’un garant contre ces divisions s’est naturellement fixé sur le président de la République, jusqu’à s’incarner en lui bien au-delà de la fonction.
– La fonction, telle que définie par la lettre de la Constitution en 1958 serait celle vue par De Gaulle dès son discours de Bayeux (celui du 16 juin1946, quand la France de la Libération est sans gouvernement et entre deux Constituantes)) : "C’est du chef de l’Etat, placé au-dessus des partis que doit procéder le pouvoir exécutif". Interprétation par DdV : "Procéder de lui, et non être exercé par lui". La preuve en serait énoncée par De Gaulle lui-même : "Au chef de l’Etat la charge d’accorder l’intérêt général quant au choix des hommes avec l’orientation qui se dégage du Parlement ; à lui la mission de nommer les ministres et d’abord, bien entendu, le Premier qui devra diriger la politique et le travail du gouvernement ; (...) à lui l’attribution de servir d’arbitre au-dessus des contingences politiques." Une architecture qui s’est retrouvée inscrite dans les articles 5, 8 et 20 de la Constitution de la V° République (ceux définissant les périmètres assez flous des pouvoirs présidentiels et gouvernementaux). Une lettre à laquelle il faudrait strictement revenir selon DdV : "Nulle part il n’est fait mention de la contribution directe et constante (du président de la République) au gouvernement. La Constitution de 1958 n’a pas instauré un principe de double majorité, qui obligerait pour gouverner et réformer, à disposer à la fois de la majorité des suffrages à l’élection présidentielle et d’une majorité de députés issus des élections législatives. Ni même d’un exécutif à deux têtes". On ajoutera que les cohabitations en ont déjà témoigné.
– L’incarnation de la fonction aurait produit une dérive fatale de ce système "vers une présidence partisane, hyperactive, électoraliste. Depuis 2007 (élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République) nous avons basculé dans un présidentialisme majoritaire avec un président chef de parti, chef de majorité". La coïncidence des élections présidentielle et législatives, inaugurée en 1981 par François Mitterrand (dissolvant, aussitôt élu, l’Assemblée nationale) a donné depuis la primauté à la première. Le Parlement et les partis sont transformés en antichambre ou écuries présidentielles et dépérissent. Les citoyens sont pris dans une "personnalisation sans frein", entretenue par une polarisation passablement artificielle où le chef de l’Etat se transforme en "chef d’équipe d’un exécutif qui prime sur tout (...) Restaurer la République, c’est donc rétablir l’équilibre institutionnel et remettre le président à sa juste place".
Comment ne pas ratifier cette ordonnance ? En mettant l’accent sur le mal présidentiel, elle conforte les analyses situant à ce niveau institutionnel l’anachronisme et l’exotisme de la V° République. Que De Gaulle ait été le Bonaparte adéquat à ce régime et que nous le subissions après lui, comme un bonapartisme sans bonaparte(s), est un fait autant politique qu’anthropologique. Un fait qui a, durant plus d’un demi-siècle, fortement travaillé l’imaginaire institutionnel des Français, réputés indéfectiblement "attachés à l’élection présidentielle". Raison pour laquelle l’idée de ne pas appeler à la suppression de celle-ci a été opiniâtrement défendue, mais pour mieux changer de système. A commencer par l’abrogation de ce présidentialisme ("changer la République") avant même de procéder à l’évènement d’un régime démocratique moderne ("changer de République"). Faisons le crédit à DdV de s’inscrire dans cette lignée, au moins pour son premier terme.
Mais restent des questions sans réponse. La pratique de ces institutions a submergé la lettre de leur Constitution et il ne suffit pas de réclamer un retour à cette dernière. L’article 8 met le Premier ministre dans la main du Président, de sa nomination à sa révocation. L’article 12 donne à ce dernier le pouvoir exclusif (et quasi personnel) de dissoudre l’Assemblée nationale. Et donc prive le Premier ministre de la possibilité de former, mobiliser, adapter librement sa majorité législative. Donc ruine tout espoir de "culture du compromis". Rien ne se passera (même avec un mode de scrutin proportionnel pour l’élection des députés) si ces deux articles restent en place tels quels. Il faut les modifier de telle sorte que le Premier ministre soit investi par un vote de l’Assemblée. Et lui donner le droit de dissolution comme moyen de conforter sa majorité ou de faire les Français juges d’un conflit insurmonté après délibération parlementaire.
C’est l’engagement qu’on attend de Dominique de Villepin. Cette "petite révision" de la Constitution est possible au moyen de l’article 11, tel qu’utilisé d’ailleurs par le général De Gaulle. Les cris d’orfraie poussés devant son invocation par Marine Le Pen pour bouleverser l’Etat de droit, ne doit pas conduire à son abrogation de fait puisqu’il est, sur ce point parfaitement inconstitutionnel. Le référendum sur "l’organisation des pouvoirs publics" tel que prévu par l’article 11 ne l’est pas, bien au contraire.
L’heure n’est pas à la fermeture du droit de révision jusqu’à son impossibilité, comme le voudraient quelques ouvriers de la onzième heure, à gauche parait-il. Au contraire, il faut que les justes diagnostics sur le cancer présidentialiste se traduisent en remèdes constitutionnels effectifs.
A défaut, les écrits de Dominique de Villepin rejoindraient la corbeille des belles promesses.
Pour mémoire, il ne faudrait pas que, si candidature en 2027 il y a, son affiche de campagne soit la même que celle de Lionel Jospin en 2002 : "Présider autrement". Sans autre forme d’engagement. Allez, encore un effort Monsieur de Villepin.
Paul Alliès
Paru également sur le blog (sur Mediapart) de Paul Alliès "Une autre République est possible" le 28 juin 2025