La gauche et la crise de régime
Même s’ils discutent encore de son accomplissement, les experts conviennent que la V° République est entrée dans une crise de régime, la première depuis sa fondation en 1958. Depuis dimanche soir, la gauche sortie des urnes semble l’oublier.
La Constitution a eu beau conjuguer droit et pratique (jusqu’aux 3 cohabitations revitalisant le « parlementarisme rationnalisé ») elle n’a plus de ressources à offrir dans un nouveau contexte où a disparu le principe majoritaire sur lequel ce régime repose. Le succès du Front Républicain au 2° tour du scrutin législatif, ne peut faire oublier les succès de l’Extrême-droite (en deux ans, elle a doublé le nombre de ses voix -près de 10 millions- et gagné 54 sièges). Isolée néanmoins à l’Assemblée nationale, elle accentue la fragmentation de celle-ci à ce point qu’une coalition majoritaire y semble impossible (pas moins de 10 groupes y sont en formation, un record). Le scrutin majoritaire à deux tours est encore propice à un front du refus mais il ne l’est pas à l’application d’un programme gouvernemental.
Le président de la République en a aussitôt profité pour gagner encore une fois en pouvoir personnel en refusant de désigner un Premier ministre issu du Nouveau Front Populaire (NPF). L’éloignement de celui-ci du seuil de la majorité absolue (manque une centaine de sièges) lui en laissait le droit (en vertu de l’article 8). Mais politiquement, pour combien de temps ?
Une « fumée blanche » sortira-t-elle des rangs du NPF ? Faute de leadership incarnant l’accord entre les quatre formations qui le composent, le réponse est encore à cette heure : « le candidat c’est le programme, rien que le programme mais tout le programme ». C’est oublier que la gauche n’a pas progressé en raison de celui-ci (le calendrier ne lui a pas laissé le temps d’une campagne sur des projets), mais parce qu’elle avait conclu un accord électoral à la hauteur de l’angoisse de voir l’Extrême-droite conquérir une majorité absolue à l’Assemblée nationale. La perspective de l’application de son « contrat de législature » est elle-même peu crédible : les seules ressources du pouvoir règlementaire autonome donné au Premier ministre, ont beau reposer sur le cortège de décrets, arrêtés et circulaires, le recours aux ordonnances de l’article 38 (pouvoir prendre des mesures qui sont normalement du domaine de la loi) rehausse la difficulté d’obtenir pour cela « l’autorisation » du Parlement. En faisant de la recherche de compromis « avec les autres groupes parlementaires qui ne sont pas de notre bord », alors même que ces « autres » n’en finissent pas d’enterrer le front républicain qui les a fait le plus souvent élire (30 élus LR pas moins), le NPF risque l’éclatement. Il est en passe de devenir un acteur de la crise de régime sans pouvoir en être la solution. Il se priverait, une fois de plus, d’être le mieux à même de tirer un trait sur un présidentialisme qui est devenu l’essence mortifère de la V° République.
Pourtant son programme contient bien un chapitre intitulé « Vers une 6° République ». Il se décline en 7 propositions.
La première est simple et claire : « instaurer la proportionnelle ». Elle est réclamée de tous côtés, même par les réticents historiques, tel François Hollande. Seule Marine Le Pen a changé d’avis contraire. Si ce mode de scrutin avait été en vigueur il lui aurait « rapporté » 66 sièges de plus (et 46 de moins à Renaissance, 3 de moins au NFP). Ce ne doit pas être toutefois pas un argument pour décourager les partisans d’une réforme et elle est urgente. Ce n’est pas en effet une « culture du compromis » qu’ignorerait la France qui expliquerait l’attachement à une injustice organique de la représentation équitable et juste des opinions portées par des voix. C’est le mécanisme du mode de scrutin lui-même.
Une trentaine de personnes de statuts et d’opinion différentes avaient lancé le 2 avril dernier un appel qui dénonçait le principe même d’un scrutin majoritaire qui « en donnant tout le pouvoir au vainqueur, autorise au final des courants politiques qui ne représentent qu’une minorité de la population à gouverner et modifier les lois de la République sans avoir à tenir compte de l’avis de la majorité de nos concitoyennes et concitoyens. De ce fait, il contribue à délégitimer la représentation nationale aux yeux de beaucoup et alimente un abstentionnisme croissant, qui risque à terme d’être fatal à notre démocratie. (…) Le scrutin majoritaire engendre en réalité une instabilité préjudiciable des politiques publiques parce que des politiques décidées sur une base minoritaire se heurtent à de fortes résistances et les gouvernements qui les portent sont souvent rejetés par les électrices et les électeurs au bout de cinq ans. Du fait de la nécessité d’alliances de second tour, il favorise de plus une logique d’affrontement entre blocs (…) Nos concitoyens demandent très majoritairement que l’« Assemblée du Peuple » joue enfin pleinement son rôle dans l’équilibre des institutions. Celui-ci est parfaitement réalisable en effet dans le cadre de la Constitution actuelle : il suffit pour cela d’une simple loi ». Au travail donc.
Les 6 autres propositions du programme du NFP sont soit très générales (« revitaliser le Parlement ») soit appellent une révision constitutionnelle. Notamment « passer à une 6° République par la convocation d’une assemblée constituante citoyenne élue ». Reste à définir et faire campagne sur le moment et le comment d’une telle convocation.
Faut-il attendre la prochaine élection présidentielle, à la merci d’une démission d’E. Macron ?
Pourquoi ne pas suggérer à ce dernier d’utiliser un des derniers pouvoirs propres qu’il détient, celui de recourir à un référendum prévu à l’article 11 de la Constitution, sur proposition du gouvernement ? L’invocation de cet article par M. Le Pen en 2022 pour gouverner de manière inconstitutionnelle n’a pas suffit pour en disqualifier l’usage réformateur, tel que celui qu’en fit le général De Gaulle en 1962. Une brochette imposante de constitutionnalistes (et la Convention pour la 6° République), ont depuis plusieurs années défendu un tel processus, augmenté de ressources démocratiques mobilisant la souveraineté populaire constituante. Sans être un « grand soir » de la V° République, il pourrait porter sur un simple changement des articles 8 (le président de la République nomme –et donc révoque quand et comme bon lui semble- le Premier ministre) et 12 (il prononce seul la dissolution de l’Assemblée nationale). C’est le Premier ministre qui deviendra le titulaire de ces droits qui définissent un rapport équilibré entre le Parlement et l’Exécutif comme partout ailleurs dans l’Union Européenne. Ce ne sera sans doute pas l’avènement d’une 6° République actualisant les aspirations démocratiques d’une société et de nouvelles générations. Mais ce sera une vraie transition vers un nouvel équilibre des pouvoirs.
Ce sera rassurer et rendre confiance à une large échelle, à des citoyens qui ont pris conscience de la dangerosité d’un présidentialisme anachronique. Que quelqu’un comme Benoit Payan, maire de Marseille, s’en fasse le talentueux avocat (dans Libération de ce lundi 8 juillet et France Info ce mardi 9 à 8 :30) est le signe d’une popularisation de cette perspective qui pourrait donner à toute la gauche une perspective offensive jusqu’à la prochaine présidentielle.
Sinon le risque est grand d’un enlisement dans les méandres du choix d’un Premier ministre et de la formation d’un gouvernement au rabais. Le grand renoncement quasi séculaire d’une gauche opportuniste avec des institutions bonapartistes est une dette qu’elle a dans le déficit démocratique de ce pays. Sauf à sombrer avec ce régime, il est temps de la régler.
Paul Alliès