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"Le Pen, les institutions, la suite " par Paul Alliès

mercredi 9 avril 2025, par PAUL ALLIES, Bernard VIVIEN

Dans un billet paru sur le 4 avril 2025son blog "Une autre République est possible, Paul Alliès, président de la Convention pour la 6° République, rappelle fort utilement que faire obstacle à l’accès au pouvoir de l’extrême droite et à la mise en oeuvre de son programme de remise en cause des principes fondamentaux de la République passe par une critique des institutions de la V° République qui ont largement permis la banalisation du Rassemblement National et lui offre la possibilité de remettre en cause, comme son programme le prévoit, les principes fondamentaux de la République. C’est une alerte à ne pas se tromper de combat. Bernard Vivien

Le Pen, les institutions, la suite

Le déchainement des soutiens de Le Pen après sa condamnation, a de quoi inquiéter ceux et celles, jusque là plutôt rassurés par la banalisation du RN. Et si celle-ci était aussi un produit des institutions de la V° République. ? Leur défense ne serait-elle pas un leurre, source de grande confusion pour la suite ?

Les attaques ad nauseam contre le verdict en général et les juges qui l’ont rendu en particulier, suscitent des prises de position, le plus souvent défensives. S’y mêlent des opinions incertaines sur le FN-RN, et des convictions problématiques sur l’état des institutions de la République. Des solutions d’urgence sont avancées pour mieux les défendre, peut-être plus mauvaises que le mal à traiter. Voyons les deux faces de cette situation.

 Sur la nature, la trajectoire et le programme du Rassemblement National

Les différentes manières dont ces sujets touchant aux institutions sont abordés sont toutes indexées sur l’élection présidentielle, Personne ne remet en cause le dérèglement dont ce scrutin est la cause, unique en Europe. Ses règles et codes sont si familiers et partagés par tous les acteurs en compétition, qu’il est devenu impensable de le mettre en question. Il a pourtant joué un rôle majeur dans la banalisation de l’extrême-droite, spécifique à la France. Au-delà de son statut de « mère des batailles » régissant toute la vie politique du pays, il apparaît comme une possible issue conjoncturelle à l’enlisement du fonctionnement institutionnel depuis la dissolution du 9 juin 2024.

Comme si le retour à un système majoritaire était ainsi garanti grâce à un deuxième tour « magique » (selon J.L. Mélenchon), conçu comme un duel réservé à deux combattants. Tant pis si c’est au prix d’une désaffection croissante des électeurs, au ressentiment et à l’artificialité de la représentation qui en ressort. Ce dont auront profité pleinement et régulièrement les Le Pen. Cette élection est donc un sérieux facteur de crise permanente dans laquelle nous sommes plongés. Ce fait est pourtant passé par pertes et profits par les partisans mêmes d’une Sixième République, telle que la France Insoumise qui en parle d’autant plus qu’elle ne pense qu’à la présidentielle. Et tant pis si ce scénario se joue au risque d’un succès de l’extrême-droite, quel que soit celle ou celui qui l’incarnera.

En deçà des spéculations qui vont si bon train sur cette scène électorale, il faut s’intéresser au cœur du programme bâti par le Rassemblement National. Il forme un tout avec, à la fois le soutien à la Constitution de 1958 et la révision des principes fondamentaux de la République.

Concernant le régime de 1958, Marine Le Pen s’est toujours dite parfaitement prête à en tirer profit. Elle n’a jamais varié ni cessé (à la différence notable de son défunt père) de dire son admiration : « Quand certains parlent d’aller vers une VI° République, je leur dit : revenons déjà à la V° (…) Les institutions de la V° République sont tout à fait aptes à exprimer la démocratie pour le peuple français ». (18 février 2017). Et d’en conclure (le 12 avril 2022) : « Je ne renoncerai à utiliser aucun des articles de la Constitution, car cette Constitution est une merveille d’équilibre et par conséquent, elle a été conçue pour que l’ensemble des articles puissent être utilisés ». En avant donc vers le 49.3 (pour lequel elle a redit son attachement même après l’épisode des retraites), l’article 16 (autorisant une dictature légale) et l’article 11 pour instaurer par référendum la « préférence-priorité nationale ».

Sur ce dernier sujet, le Rassemblement National a déposé le 28 septembre 2021 (à la veille de la déclaration de candidature de M. Le Pen) une proposition de loi intitulée « Citoyenneté, Identité, Immigration », relancée par une proposition de loi constitutionnelle du 25 janvier 2024 (soit au lendemain de la censure substantielle de la loi « immigration » par le Conseil constitutionnel). Il s’agit là d’un catalogue détaillé qui remet en cause les fondements de l’Etat de droit (depuis la hiérarchie des normes jusqu’aux droits fondamentaux tels que le Préambule de la Constitution les énonce, en faisant la synthèse de celui de 1946 et de la Déclaration des Droits de 1789). Sans nul doute, c’est un registre contre-révolutionnaire de type vichyssois, établi par des experts (haut-fonctionnaires, polytechniciens, énarques…) qui n’auront aucun mal à en dicter l’énoncé à l’éventuel élu-e. Plus l’immaturité (réputée être celle d’un Bardella) sera grande, plus leur influence le sera aussi (à la hauteur des nombreuses parts de cerveau disponible d’icelui).

L’ensemble a une cohérence qui a de quoi impressionner et faire redouter l’accès à l’Elysée du Rassemblement National. A l’évidence, il ne s’agira pas d’une alternance (faite pour en « essayer l’expérience ») mais d’une rupture complète, sociale, politique, historique. Patiemment construite au cours des dernières décennies, à l’abri des façades de la banalisation, son nœud gordien est le système de la V° République et son présidentialisme.

Bien fait pour permettre à cette opération de s’épanouir dans le respect des formes institutionnelles, ce système est resté responsable d’une atrophie démocratique majeure. La France détient depuis longtemps le record européen de l’abstention et de la défiance vis-à-vis de ses institutions. On le constate au gré des enquêtes menées annuellement par le Cevipof et OpinionWay, dont l’intérêt est de permettre une comparaison avec des pays voisins comme l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas. Dès le début de ce quinquennat en janvier 2023, l’enquête révélait l’augmentation record d’une « défiance généralisée envers les institutions qui donne le sentiment d’une société malade et fracturée » comme nulle part ailleurs. Celle de février 2025 fait apparaître la France comme le pays où la défiance des citoyens pour leurs institutions, atteint des sommets vertigineux, sans commune mesure avec ses voisins (même l’Allemagne qui vient de réformer sa Constitution et connaît pourtant une crise gouvernementale avec une poussée de l’extrême-droite).

C’est dans ce climat entretenu de lassitude et de peur que l’extrême-droite française s’emploie à fidéliser le vivier de ses électeurs de présidentielle en présidentielle. A ce rythme et à celui du changement des générations, ce vivier se nourrit d’un reclassement massif du vote populaire, au rythme des renoncements de la gauche (en particulier quand elle est au pouvoir). A droite depuis longtemps : ce fut au cours de ces décennies, entre 1983 (le « tonnerre de Dreux ») et 2024 (le ralliement de Ciotti), la longue marche d’une assimilation d’élus professionnels par le FN/RN et de la formation de majorités communes (dans les collectivités locales, régions puis communes surtout).

Cette assimilation politique a été accompagnée sur la même longue durée, par celle, idéologique, de courants de pensée venus des années Trente et du national-socialisme, dont les idées et expressions furent profondément revues et corrigées par des cercles influents (travaillant à une « hégémonie culturelle ») comme ceux du Grece (1969-2013), du Bloc identitaire, de l’Institut Illiade et une nébuleuse d’officines financées aujourd’hui au grand jour par quelques milliardaires. On assiste à l’émergence grand public dans les médias Bolloré de cette doxa idéologique.

Cette entreprise de reconstruction de catégories discréditées par les fascismes, substitue aux « Principes républicains » tels que ceux recensés précautionesement par le Conseil Constitutionnel, la notion très floue de « valeurs républicaines » : des modes de vie, des pratiques culturelles dans lesquelles l’identité nationale, l’immigration, la suprématie civilisationnelle sont le carburant de l’idéologie raciste et complotiste du « grand remplacement ». Mais c’est aussi une législation proliférante forgeant une doctrine laïque d’exclusion, mordant sur des secteurs d’une gauche dite souverainiste. L’horizon est celui d’une Europe blanche où les races ne se mélangeraient pas. La V° République a pu devenir ainsi un système compatible avec une domination autoritaire prête à la promotion de normes xénophobes, de politiques d’exclusions et de standards racialistes.

Le but stratégique, c’est l’effacement du principe d’égalité qui, depuis 1789 est la clef de voute de l’édifice des droits civils, sociaux et politiques dont l’extension n’a jamais cessé (sauf durant la parenthèse de Vichy). Voilà la raison de l’admiration de l’extrême-droite pour le régime tel qu’il est auquel il ne faut rien changer, sauf ses institutions de justice. Eric Zemmour approuvant bruyamment le « plan immigration » de Marine Le Pen le 11 septembre 2021 précisait : « on ne pourra l’appliquer que si on se débarrasse des contraintes juridiques de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, de la Cour de Justice de l’union Européenne et du Conseil Constitutionnel ». Faut-il rappeler que la création et l’expansion des cours constitutionnelles en Europe après 1945 a tenu à l’expérience du nazisme appuyé sur l’importante nébuleuse « völkisch » pangermaniste, nationaliste et antisémite ? La destruction, au nom d’un peuple ethnicisé, des droits et libertés, comme des institutions parlementaires en fut le résultat que l’on sait (revendiqué ouvertement aujourd’hui par l’AFD en Allemagne).

Le programme que portent l’extrême-droite toute entière et désormais une bonne partie de la droite ministérielle, culmine donc logiquement dans la dénonciation du « gouvernement des juges » et pas seulement ceux concernés en ce moment (les juridictions pénales qui ont sanctionné Le Pen, Sarkozy et beaucoup d’autres à gauche comme à droite ). Toute magistrature indépendante susceptible de contrôler le respect de la loi par les détenteurs d’un pouvoir quelconque, est visée. Et avec elle le respect requis au nom de l’égalité entre tous les citoyens contre les tendances à l’oligarchisation du système politique, tendance systémique dont le RN est parti prenante.

Nous voilà donc au stade de la remise en cause de la pluriséculaire séparation des pouvoirs où l’un doit arrêter l’autre. La charge est dopée par les pratiques d’un Trump aux Etats-Unis où l’affrontement avec des magistrats souvent élus directement par le peuple est encore incertaine mais décisive (voir l’élection ce 1° avril, d’une juge démocrate dans le Wiscosin, Etat trumpiste, battant à plate couture le candidat de Musk). Le « je suis Martine » d’Orban, en écho au soutien spontanés des Poutine, Bolsonaro, Trump et autres figures des nouveaux totalitarismes, illustre bien la trajectoire dans laquelle s’inscrit l’extrême-droite française mais pas qu’elle.

 Sur les institutions et la défense de la démocratie

Ce que nous avons donc à combattre, c’est l’usage des institutions que le RN est prêt à investir pour appliquer sa politique de rupture avec l’Etat de droit et ses principes fondamentaux dont celui d’Egalité. Il n’y a pas donc pas d’institution de la V° République à défendre en soi. L’économie de ce régime est un cancer anti-démocratique que l’extrême-droite aura amené à son terme.Il faut lui offrir une alternative avec des passerelles concrètes.

Car ces institutions sont plus que jamais en cause, notamment son présidentialisme peaufiné par tous les présidents successifs. Des présidents dont l’origine constitutionnelle archaïque est dans la Charte de 1814 (la Restauration) : « la personne du roi est inviolable et sacrée (...) Au roi seul appartient la puissance exécutive ». Lue sous cet angle, la motivation du tribunal correctionnel de Paris pour fonder l’exécution provisoire de la peine qu’il a prononcé, est particulièrement judicieuse et clairvoyante : vu le système de défense de M. Le Pen niant l’escroquerie industrielle qu’elle a conduite pendant une décennie, il y a bien un risque de récidive. Mais aussi de « trouble irréparable à l’ordre public démocratique ». En cas d’élection à la présidence de la République, l’exécution de la peine deviendrait impossible et porterait impunément à la tête des institutions une personne gravement condamnée pénalement. Les juges ont donc pu raisonnablement penser que l’énergie mise par M. Le Pen à retarder l’instance n’était pas dépourvue de calcul : l’élection deviendrait pour elle, un bouclier contre le respect de la loi et de sa sanction. D’où le parfait bien fondé de « l’exécution provisoire ».

La véritable haine des juges, de tous les juges qu’exprime depuis ce jugement l’extrême-droite est organique. M. Le Pen l’avait clairement exprimé lors d’une conférence de presse (le 12 avril 2022 à Vernon) consacrée à « la démocratie et l’exercice du pouvoir ». Outre une claire volonté de contrôle des médias bafouant les règles élémentaires de la liberté de l’information (elle n’eut pas un seul mot pour les libertés fondamentales, silence dont elle est coutumière), elle devait y préciser sa vison d’un contournement des institutions responsables de ces libertés, le Parlement et les juridictions. Au premier, elle opposait le recours systématique au « référendum d’initiative citoyenne » (en l’état parlementaire) tel qu’il figure depuis la révision de 2008 au dernier paragraphe de l’article 11 de la Constitution, « puissant outil de pacification du débat politique qui aurait pu éviter le mouvement des gilets jaunes ». Elle précisait qu’elle abaisserait le seuil du nombre de signataires requis à moins de 500.000 électeurs (au lieu de 5 millions aujourd’hui). Et elle ajoutait que « la loi sera modifiée pour rendre possible l’organisation de référendums d’initiative populaire sur tous les sujets y compris la peine de mort (tout en se disant opposée à son rétablissement) Il n’y a pas de débat interdit dans une démocratie majeure ». Elle irait donc jusqu’à respecter disait-elle, un vote référendaire de sortie de l’Union Européenne, même si elle n’y était pas personnellement favorable. Par ce même moyen, une loi votée par le Parlement pourrait être abrogée et ne pourrait être à nouveau proposée pendant quinze ans.

C’est donc bien là une conception du « gouvernement par référendum » au nom de la souveraineté populaire, augmentant en réalité encore un peu plus le périmètre du pouvoir présidentiel, la décision ultime du recours au référendum restant le monopole du chef de l’Etat..

Elle devait ajouter à cette perspective un codicille bien spécifique. Consciente sans doute des conflits à venir avec « L’Autorité judiciaire » (le titre VIII de cette Constitution qu’elle aime tant), elle annonçait que le référendum sur « la priorité nationale » par lequel elle promettait d’inaugurer son quinquennat, « n’aurait pas besoin de l’aval du Conseil constitutionnel ». Et elle invoquait encore une fois l’article 11 et son premier alinea originel cette fois, disposant que « sur proposition du gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées », le président pourrait « soumettre au référendum » un texte intéressant trois domaines : « l’organisation des pouvoirs publics », « la ratification d’un traité qui aurait des conséquences sur le fonctionnement des institutions », « la politique économique ou sociale ou environnementale de la nation ».

La rédaction de ces textes a toujours été sujette à caution, l’interprétation s’étant forgée au gré de leur mise en œuvre. Trois cas bien distincts, se présentent donc.

1) Le cas de la ratification d’un traité a vu celle du Traité de Maastricht en 1992 et le rejet du projet de « Constitution européenne » en 2005 par référendum, sans que cela ne suscite de débat sur le bien-fondé de cet usage.

2) Le cas de réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale n’a jamais fait jusqu’ici l’objet d’organisation d’un référendum. C’est celui que vise M. Le Pen en imaginant l’adoption de « la priorité nationale » au supposé motif que celle-ci entrerait dans le cadre de la « politique sociale » énoncé par l’article 11. En réalité et faute de mise en pratique (la loi sur les retraites du 17 mars 2023 en aurait été l’occasion parfaitement conforme au lieu du 49.3), la définition des contours de la notion reste incertaine. Ce qui ne l’est pas c’est le champ que lui donne le RN incluant des sujets (la liste n’est pas limitative) de droit de la personne et de la nationalité, de libertés publiques, de principes fondamentaux, de la hiérarchie des normes, des conventions internationales. Sujets qui excèdent, à la plus simple évidence le cadre de « la politique sociale ».

Le Conseil constitutionnel serait amené à donner son avis. Celui-ci est obligatoire selon l’article 61 pour se prononcer sur la conformité des textes soumis au référendum de l’article 11, avec la Constitution. Il a rendu une décision le 25 juillet 2000, selon laquelle il pourrait mettre son veto à un référendum si le projet soumis au vote est « susceptible de porter atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics ».

Enfin en vertu de l’article 60 de la Constitution, qui lui donne la mission de « veiller à la régularité des opérations de référendum », il a estimé devoir étendre « l’efficacité de son contrôle des opérations référendaires (qui pourraient) porter atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics ».

C’est la décision du 24 mars 2005. On notera qu’elle ne concerne que l’organisation du référendum, mais cela va jusqu’à la fonction de partager avec le gouvernement l’élaboration des textes réglementaires relatifs à cette organisation, ce qui pourrait le conduire à contrôler la conformité à la Constitution des questions posées.

Cependant cette éventualité ne repose que sur l’habitude prise par le Conseil de donner, dans le plus grand secret, son « avis conforme » au gouvernement (en fait au Président qui a le monopole de la question). L’audace très discrète du Conseil en matière de défense des principes de valeur constitutionnelle, reste donc à ce jour nimbée de mystère. Enfin, le principe sacro-saint du fonctionnement au secret (pas même de publication des « opinions dissidentes » en son sein) fait que l’argumentaire du Conseil sur le non-respect de la Constitution par les lois référendaires reste une vaste inconnue.

Le Pen s’engouffre dans cette fragilité. Elle joue sur l’invocation d’une « souveraineté populaire et nationale » (art. 3 de la Constitution) toute entière contenue selon elle, dans la procédure du référendum. Gageons qu’elle ne manquera pas d’invoquer la bâtardise de la composition du Conseil dont les trois nominations de ses membres le 25 février 2022, puis le 21 févier 2025 dont celle de son président (Richard Ferrand ), obligés des présidents de la République, du Sénat et de l’Assemblée nationale, le délégitiment encore un peu plus. L’incomplétude de cette instance qui l’empêche d’être une authentique Cour suprême, se révèle, en ces circonstances, particulièrement dangereuse.

Déjà, lors du débat télévisé pour le 2° tour de la présidentielle le 20 avril 2022, M. Le Pen n n’a pas hésité à opposer une version expéditive mais bien conforme à la position de l’extrême-droite sur l’Etat de droit : « Le seul souverain c’est le peuple, ce n’est pas le Conseil Constitutionnel. Comme la Constitution est la loi suprême du peuple, seul le peuple peut la changer (…) par un référendum ». Et d’invoquer alors le précédent du Général de Gaulle en 1962 (mais pas celui de 1969 sans doute parce qu’elle ne démissionnera pas en cas d’échec a-t-elle averti, à la grande différence du Général). S’est établi ainsi une confusion majeure sur les usages de l’article 11.

3) Le cas des réformes portant sur « l’organisation des pouvoirs publics » a donc été préempté et détourné par M. Le Pen alors que son projet ne relève en rien de cette catégorie. Or celle-ci a toute une histoire qui ne se limite aux dates évoquées. L’article 11 a toujours eu de nombreux partisans, parmi lesquels d’ « éminents » constitutionnalistes, soucieux de desserrer l’étau de l’article 89. Celui-ci a donné un droit de veto au Sénat, ce qu’avait regretté De Gaulle lui-même en des termes définitifs en 1988 (Notes et carnets. Plon T.12) : « Le Sénat a un privilège exorbitant et imparable, celui de tout bloquer (…) S’il y a une erreur dans la Constitution de 1958, c’est bien celle-là : de créer un corps contre lequel on ne peut rien alors que l’on peut quelque chose sur tous les autres ». Les innombrables propositions de droite comme de gauche , ainsi que celle des trois « comités de réforme de la Constitution », visant à réduire le présidentialisme ou à parlementariser la V° République, se sont pour l’essentiel brisées sur le mur de l’article 89.

Faudrait-il aujourd’hui le défendre ? Des propositions ont été étudiées et faites par des associations liant le référendum de l’art.11 à l’élection présidentielle et à un processus participatif et interactif précis, ouvert à tous les citoyens. Ce sont les « Trente propositions pour avancer » de la Convention pour la 6° République (2014) et le rapport « Osons le big-bang démocratique » de la Fondation pour la Nature et l’Homme (2017). Arnaud Montebourg et Nicolas Hulot en firent leur programme. Jean-Luc Mélenchon le faisant inscrire dans la programme de la France Insoumise.

Il existe donc bien d’autres voies que l’article 89, définissant un processus plus convaincant : celle d’un processus de réforme constitutionnelle via l’article 11 à l’occasion d’une élection présidentielle, pouvant se faire avec des assemblées citoyennes (les Conventions constitutionnelles pratiquées avec succès par l’Irlande entre 2011 et 2018.) et pourquoi pas, in fine une Assemblée constituante.

Comment passer par profits et pertes cette histoire ? C’est ce que n’hésite pas à faire un ancien conseiller de François Hollande à l’Elysée, Pierre-Yves Bocquet dans un « Tracts-Gallimard » (N° 64, janvier 2025, 60 p.) titré : La « révolution nationale » en 100 jours, et comment l’éviter. Il croit pouvoir offrir une sortie définitive de la situation ici décrite par une astuce qui a l’air de plaire apparemment à bien des journalistes. Convenant qu’il faut modifier la Constitution pour endiguer les manœuvres et le programme de Le Pen, il avance une solution « simple et rapide. Un texte d’une ligne suffit, à insérer après le 4° alinéa de l’article 89 de la Constitution et qui dirait : « La Constitution ne peut être révisée que selon les procédures prévues par le présent article ».

On croirait entendre Raymond Souplex, alias le commissaire Bourrel au terme d’un épisode des « Cinq dernières minutes » de l’ORTF des origines de la V° République.. Outre l’irréalisme politique de cette proposition dans la période que nous vivons, l’impasse fait sur le Conseil constitutionnel et les pouvoirs exorbitants du président de la République dans le domaine référendaire, elle interdirait définitivement la moindre possibilité d’une révision démocratique de la Constitution.

Elle est surtout le signe d’une paresse, d’une démobilisation , d’un renoncement historique de la gauche toute entière, et tout spécialement ces derniers mois, pour accompagner le désir de changement démocratique de toute une population tel qu’exprimé mais restés sans suite dans les Cahiers de doléances de janvier-mars 2019. . La promotion d’un débat public sur les transformations constitutionnelles, axées sur la déprésidentialisation, la reconnaissance d’un système primo-ministériel, la restauration du Parlement, la transformation d’institutions comme le Conseil constitutionnel, est la condition d’un réarmement démocratique ouvert à la société. Le combat contre une extrême-droite aux portes grandes ouvertes d’un pouvoir formaté par le bonapartisme de la V° République, passe donc par la prise en considération d’une critique de ses institutions. Il ne sera jamais trop tard pour le mener.
Paul Alliès
4 avril 2025
Blog MEDIAPART
Une autre République est possible

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