L’élection du président de la République au suffrage universel direct serait devenue en France la suprême expression de la souveraineté populaire, donc un droit démocratique irréfragable. Or il s’agit là, à la fois d’une grandiose méprise (cette procédure ronge inlassablement la démocratie politique) et d’une illusion d’optique (la France est le seul pays en Europe à pratiquer ce rituel anachronique).
D’abord, la méprise. Ce type d’élection au suffrage direct serait populaire comme en témoignerait des taux de participation plus élevés que dans les autres scrutins ; elle serait donc démocratique. Rien n’est plus abscons : l’élection est un mode parmi d’autres de choix politique, mais n’est en rien synonyme de démocratie.
Les régimes les plus autoritaires prennent soin de bien faire élire leur « guide ». En France, la tradition vient de loin ; des régimes bonapartistes où les plébiscites étaient la règle. Aujourd’hui cette élection produit une personnalisation absolue dont les effets sont très spécifiques. La France est le seul pays où ce scrutin conduit à conférer le maximum de pouvoir à un seul homme.
Ce n’est pas parce que le président de la V° République est élu au suffrage universel qu’il joue le rôle que l’on sait, c’est parce qu’il joue ce rôle qu’il est élu au suffrage universel. Dans aucun des douze pays membres de l’Union Européenne qui connaissent cette même élection, celle-ci ne conduit à une concentration du pouvoir comme chez nous.
Au contraire même ; les présidents ainsi élus y gagnent une magistrature d’influence ou d’arbitrage et rien d’autre. En France, ce sont les institutions mises en place en 1958 qui organisent la curialisation des « serviteurs de l’Etat », l’invasion des différents pouvoirs, de celui du Premier ministre à celui des médias, au profit d’un seul d’entre eux, celui de la Présidence. C’est cette concentration et centralisation de l’autorité qui suscitent un désenchantement démocratique cyclique : les citoyens ont tendance à se montrer déçus par l’exercice d’une telle puissance mais aussi à considérer que les autres institutions sont secondaires. Ils le manifestent par leur désaffection vis-à-vis de tous les scrutins, des Municipales aux Européennes. Et les partis ne parviennent pas à l’enrayer ; entièrement tournés (extrême-gauche inclue) vers le calendrier des présidentielles, ils s’épuisent à en préparer l’échéance décrétée « mère des batailles ».
Cette élection présidentielle est donc parfaitement anachronique. A l’heure des réseaux sociaux, de la démocratie participative, de l’interactivité et de l’échange horizontal des volontés, cette mobilisation verticale est névrotique : elle suscite des troubles émotionnels dont les citoyens ne peuvent se défaire. Comment donc s’en débarrasser ? Le Portugal et la Pologne ont montré la voie : voilà deux pays qui, au sortir de leurs dictatures, ont copié-collé la Constitution française. Le premier, l’a complètement abandonnée en douze ans de présidence de Mario Soares ; depuis 1987 c’est le Premier ministre qui a gagné définitivement l’essentiel de la responsabilité politique. Le second a suivi la même voie, mais contre un Lech Walesa qui voulait renforcer ses pouvoirs présidentiels après son élection en 1991. Et cinq autres « pays de l’Est » (de la Bulgarie à la Slovénie) ont évolué de cette même façon. C’est la perspective en Tunisie aujourd’hui. Bref tout s’est passé comme si le « modèle français » servait à sortir des dictatures à condition qu’il ne soit qu’une transition vers un régime primo-ministériel parlementaire.
Cette grande transformation, si une majorité parlementaire la veut, elle le peut. En France aussi et plus que jamais pour oublier définitivement le présidentialisme.
5 Messages