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Pour une 6° république écologique (Fiche de lecture)

jeudi 2 octobre 2014, par Bernard VIVIEN

Voici une fiche de lecture de Frédérique Rigal. Elle concerne l’ouvrage publié aux Editions Odile Jacob en octobre 2011 et réalisé sous la direction de Dominique Bourg. Il s’intitule : Pour une 6° république écologique. Nous la versons comme contribution au débat. Bernard Vivien.

Sous la direction de Dominique BOURG
Pour une 6e République écologique
Paris, Odile Jacob, Octobre 2011

FICHE DE LECTURE

Frédérique RIGAL
Décembre 2011

1. Introduction

A. Le contexte et la problématique
Pour une 6e république écologique est un livre collectif, issu du travail d’un groupe d’experts – politologues, sociologues et juristes - coordonnés par Dominique Bourg, et réunis pour proposer des pistes concrètes de réforme de notre système démocratique, afin qu’il puisse mieux intégrer les enjeux de long terme rendus de plus en plus prégnants par la crise globale de notre modèle de développement.
Ce livre s’inscrit dans le cadre des propositions de la Fondation pour la Nature et l’Homme, dont le Comité de Veille Ecologique a élaboré, dès 2009, une première contribution pour la refondation écologique et solidaire de nos sociétés, sous le titre Evolution : chapitre 2. La démocratie écologique en est l’un des axes prospectifs, au même titre que la recherche de nouveaux indicateurs, celle de nouveaux principes de régulation ou des modalités pour financer les investissements de long terme.

B. Les auteurs
Dominique BOURG est philosophe, professeur à l’Institut des Politiques territoriales et de l’Environnement humain (IPTEH), Université de Lausanne, Suisse. Il est membre du Comité de Veille Ecologique de la Fondation pour la Nature et l’Homme, et a dirigé l’élaboration de ce livre.
Julien BETAILLE est attaché temporaire d’enseignement et de recherche (ATER), et doctorant au sein du Centre de recherche interdisciplinaire en droit de l’environnement, de l’aménagement et de l’urbanisme (CRIDEAU-OMIJ), Université de Limoges.
Loïc BLONDIAUX est chercheur et professeur de science politique à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Il est spécialiste de la communication politique, de l’analyse des phénomènes participatifs et délibératifs, de l’opinion publique et des sondages.
Marie-Anne COHENDET est juriste et professeur de droit public à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Elle est spécialiste du droit constitutionnel, notamment de la Ve république, et du droit de l’environnement.
Jean-Michel FOURNIAU est sociologue, directeur de recherche à l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux. Il travaille sur le rôle des dispositifs de concertation et de débat public, sur la place de l’expertise et l’expérience démocratique des participants.
Bastien FRANCOIS est chercheur et professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne où il dirige le département de science politique. Il a rédigé avec Arnaud Montebourg un projet de Constitution pour une VIe République ; il est aujourd’hui conseiller régional Europe Écologie Les Verts en Ile-de-France.
Philippe MARZOLF est éco-conseiller, vice-président de la Commission nationale du débat public (CNDP) depuis 2002. Il est membre du Comité de Veille Ecologique de la Fondation pour la Nature et l’Homme.
Yves SINTOMER est professeur et co-directeur du département de sciences politiques de l’Université Paris VIII, et directeur adjoint du Centre Marc Bloch (Berlin). Il est spécialiste de la démocratie participative et de la démocratie délibérative.

C. Une citation clé
« Il convient donc de repenser l’organisation de nos sociétés, le fonctionnement de nos économies, nos modes de vie, la relation de chacun de nous à la collectivité et aux « biens publics environnementaux ». Or il n’est pas possible d’avancer à grande échelle sur cette voie sans réformer la loi fondamentale, l’organisation politique des pouvoirs. » (p.46)

2. Développement

Alors même que nos atteintes à l’environnement sont en train de provoquer des dégâts irréparables, il semble que notre aptitude à modifier le cours de cette dangereuse évolution soit de plus en plus réduite : comment nos démocraties, en perte de capacités financières et de légitimité populaire, focalisées sur la défense des intérêts immédiats, peuvent-elles être rénovées et renforcées, afin d’engager les réformes essentielles qui s’imposent pour préserver le long terme ?

Chapitre 1 - L’environnement contre la démocratie ?
La situation écologique de la planète, pour le moins inquiétante, ne cesse de se dégrader. Les ressources naturelles dont nous dépendons vitalement sont en cours de raréfaction : le pétrole et le gaz, sur lesquels nous avons bâti toute l’ère industrielle, seront bientôt épuisés ; dans 10 à 50 ans, les gisements de la plupart des métaux seront taris, sans que les efforts de recyclage ne parviennent à satisfaire une demande croissante. En puisant dans les aquifères fossiles et en polluant les rivières, les fleuves et les nappes phréatiques, on porte atteinte aux réserves d’eau douce que les sécheresses à venir fragiliseront encore davantage. En outre, l’artificialisation et la dégradation des sols, couplées à la diminution des réserves halieutiques et à une probable baisse des rendements agricoles, constituent une menace croissante pour l’alimentation d’une population mondiale en situation d’explosion démographique.
Au-delà de cette déplétion généralisée des ressources, on assiste à une dégradation continue des services écologiques : avec la saturation en gaz carbonique de l’atmosphère et des mers, les mécanismes régulateurs du climat sont de moins en moins efficaces ; nos modes d’exploitation des sols et les divers polluants que nous produisons affectent la qualité de l’eau et de l’air, impactent la capacité de régénération des sols et déstabilisent le contrôle naturel des germes pathogènes. Ce sont ainsi les conditions même de nos vies qui sont, à moins d’un changement profond de nos modes de développement, vouées à une irrémédiable détérioration.
De telles perspectives devraient donc nous pousser à des décisions rapides et à des actions efficaces. Cependant, les réticences au changement et l’insatiabilité de court terme nous font encore espérer des solutions faciles. La technologie ne pourrait-elle pas résoudre les problèmes qu’elle a elle-même engendrés, et ouvrir la voie à une croissance verte qui préserverait à la fois la planète et nos modes de vie ? Mais produire mieux ne sera pas suffisant, car il s’agit aujourd’hui de diminuer réellement les flux de matières et d’énergie, pour protéger des ressources et des services qui ne sont pas substituables.
Par ailleurs, les dégradations écologiques sont un casse-tête à gérer pour les politiciens, car elles ne sont pas adaptées à nos modes de gouvernance actuels : ces problèmes ne considèrent en effet ni les frontières ni les circonscriptions ; ils sont en général peu visibles et leur compréhension nécessite des compétences qui font défaut à la plupart des citoyens et des élus ; trop complexes pour être totalement prévisibles, ils sont en outre difficiles à caractériser et à anticiper. Enfin, leurs impacts se font ressentir de manière insidieuse, et, bien qu’ils soient de nature irréversible, ils n’affectent pas suffisamment le quotidien des décideurs et des électeurs pour que ceux-ci soient prêts à remettre en cause leurs habitudes de vie, et ce qu’ils considèrent comme leurs intérêts immédiats.

Chapitre 2 - Restaurer la confiance dans la démocratie représentative
Pour renforcer une légitimité nécessaire à la prise en compte des enjeux de long terme, et pour être à même de gérer la complexité des problèmes environnementaux, les institutions démocratiques occidentales doivent être profondément réformées et ouvertes à la société, notamment en France.
A voir notre Assemblée Nationale, devenue un « club de mâles blancs bourgeois et sexagénaires », il s’agit en premier lieu d’améliorer la représentativité des élus qui la composent. Pour cela, plusieurs solutions de votes à la proportionnelle peuvent être mises en œuvre, comme c’est par exemple le cas en Allemagne avec le système de « proportionnelle de compensation », ou dans le mode de scrutin régional français, qui donne une prime majoritaire aux partis dominants, stabilisant ainsi des majorités sans écraser les partis minoritaires. De plus, une stricte limitation du nombre de mandats simultanés et successifs permettrait de libérer des postes, qui pourraient enfin être confiés aux catégories les moins représentées, comme les femmes, les ouvriers, les jeunes ou les personnes issues de l’immigration, pour autant que l’on ait défini un véritable statut de l’élu : des possibilités de décharge, l’assurance d’un retour à l’emploi dans le privé ou le public, des formations et un salaire suffisants, devraient permettre à tout citoyen qui le désire de proposer son engagement au service de la collectivité.
Par ailleurs, le pouvoir exécutif devrait être davantage interpelé, afin que ses décisions soient plus muries, mieux argumentées et vraiment conformes à l’intérêt collectif, y compris celui des générations futures. Dans cette mesure, il n’est plus concevable que le Président de la République, tirant une puissante légitimité du suffrage universel, continue à exercer un pouvoir opérationnel, alors qu’il n’est en rien tenu de rendre des comptes entre deux élections, ni devant les citoyens, ni devant les élus. Ainsi, comme c’est le cas dans la plupart des pays européens, c’est au Premier Ministre que doit revenir la responsabilité de gouverner, et au Parlement le rôle de questionner, de contrôler et d’évaluer activement les politiques publiques. Dans cette fonction, il est important que l’opposition et les minorités disposent d’un droit d’initiative sur les différentes formalités d’investigation, ainsi que d’un droit de véto temporaire sur des mesures jugées insuffisamment débattues, sans que le gouvernement ne puisse facilement recourir aux procédures d’urgence ; en outre, il serait utile que des « opinions dissidentes » trouvent leur place dans les différents rapports officiels, et que des citoyens en nombre suffisant puissent être en mesure d’interpeller le Parlement, ou toute autre institution représentative à différents échelons territoriaux, pour faire inscrire un sujet à l’ordre du jour, afin qu’il fasse l’objet d’une discussion et d’un vote.

Chapitre 3 - Développer la démocratie participative
Le droit de participation des citoyens, reconnu par la Déclaration des droits de l’homme et par la Constitution française, constitue un puissant levier pour impliquer et responsabiliser le plus grand nombre de personnes dans une co-construction de l’intérêt général ; c’est bien d’un débat public de qualité que peuvent émerger des propositions, puis des décisions pertinentes, à la fois radicales et suffisamment consensuelles pour pouvoir être acceptées et mises en œuvre par l’ensemble des parties prenantes.
Alors que la citoyenneté sociale, portée par l’action collective des salariés en défense de leurs droits, s’est considérablement affaiblie avec la crise économique, d’autres formes de démocratie directe se sont développées en France, notamment par l’implication des usagers dans le domaine de la santé, ou celle des citoyens dans les décisions locales ou les problématiques environnementales. Dès 1995, la Commission nationale du débat public (CNDP) a été créée en application de la convention d’Aarhus, pour garantir les droits à l’information et à la participation du public s’agissant des projets d’aménagement et d’infrastructure

ayant des impacts socio-environnementaux significatifs ; à partir de 2002, la loi sur la démocratie de proximité a imposé la création de conseils de quartier dans les agglomérations de plus de 80 000 habitants. Cependant, même si ces dispositifs constituent des avancées démocratiques indéniables, force est de constater qu’ils restent cantonnés à un rôle consultatif sur des questions de portée limitée.
Dans cette mesure, une loi générale, visant à développer la démocratie participative, doit poser l’obligation du débat avant toute décision publique, prise à n’importe quel échelon du territoire. Pour ce faire, un Collège de la participation citoyenne, institué comme autorité indépendante en remplacement de la CNDP, devrait organiser les modalités de la consultation publique avec une gamme d’outils diversifiée en fonction des contextes : débats publics, conférences ou jurys de citoyens, concertation des acteurs ou concertation élargie, planification participative, ou toute autre formule innovante qu’il pourrait susciter. Sur le fond, il est important que le débat public porte sur les modes de réalisation des projets, mais aussi sur leurs objectifs voire même sur leur opportunité, avec une garantie d’expression pour l’ensemble des participants, l’obligation de justifier la prise en compte ou non des résultats, ainsi que la mise à disposition des moyens adéquats au fonctionnement et l’accès à une information pluraliste, notamment en ce qui concerne les expertises. Dans ce domaine, on doit veiller à la transparence des nominations et des méthodes de travail, et soutenir la montée en compétences de la société civile qui doit être en mesure de développer des contre- expertises et juger des différentes alternatives proposées.
Enfin, le recours accru aux référendums d’initiative institutionnelle ou populaire, s’ils sont précédés de débats transparents et de qualité, permettrait de neutraliser l’influence des groupements d’intérêts corporatistes, tout en stimulant la citoyenneté et en revigorant la démocratie, rendue plus solide pour engager la société sur la voie d’une réforme en profondeur des processus économiques et des modes de vie.

Chapitre 4 - Renforcer les droits humains pour protéger l’environnement
La reconnaissance de droits environnementaux, en prolongement naturel des droits humains, est une autre piste pour instituer des mécanismes efficaces de protection de l’environnement.
Dès 1972, la déclaration de Stockholm, adoptée lors de la conférence de l’ONU sur l’environnement, déclare que « l’homme a un droit fondamental à la liberté, à l’égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité doit lui permettre de vivre dans la dignité et le bien-être. Il a le devoir solennel de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures ». Plus tard, la déclaration de Rio en 1992, puis la convention d’Aarhus en 1995, reconnaissent le droit à la participation de tous les citoyens concernés, ainsi que leur droit d’accès à l’information et à la justice en matière d’environnement. En France, l’adossement à la Constitution, en 2005, de la Charte de l’environnement, constitue un premier pas décisif vers une protection juridique, bien que certains volets des déclarations internationales y aient été édulcorés. Par exemple, le principe « pollueur-payeur » limite la responsabilité des pollueurs à une simple contribution aux réparations, le droit d’accès aux informations ne concerne que les données publiques et non celles des entreprises, et le principe de précaution prévoit l’adoption de mesures « provisoires et proportionnées » bien peu ambitieuses.
C’est pourquoi les auteurs de ce livre proposent l’adoption de cinq nouveaux principes, énoncés de la manière suivante :
1. Le principe de prise en compte de la finitude des ressources, doit contraindre les autorités à prendre toutes les mesures d’économie et de protection nécessaires à la préservation des dites ressources ;

2. Le principe du financement du long terme, doit fournir le cadre d’une prise en compte et d’une anticipation concrète des enjeux du futur, en redonnant aux Etats une marge d’autonomie financière, notamment par une réforme fiscale adaptée, et par la possibilité retrouvée de créer eux- mêmes de la monnaie ;
3. Le principe de non-régression du droit de l’environnement, garantirait une progression continue des efforts, sans qu’il soit possible aux différents lobbies d’influencer des remises en cause opportunistes ;
4. Le droit à une expertise pluraliste, qui doit éclairer rigoureusement et honnêtement les débats publics, ainsi qu’il a été mentionné plus haut ;
5. Le droit d’accès effectif à la justice en matière d’environnement, abaisserait les barrières financières qui découragent les poursuites en justice, reconnaîtrait les actions collectives à l’encontre d’un pollueur spécifique, et instituerait des procédures d’urgence qui permettent à la justice de statuer avant que les préjudices envers l’environnement ne soient effectifs.
Pour garantir une mise en œuvre concrète de ces principes, il convient par ailleurs de transformer l’actuel Conseil Constitutionnel en une véritable cour suprême, la Cour Constitutionnelle, ayant la mission de vérifier le respect des traités internationaux par la loi française – notamment en matière d’environnement - , de contrôler les interprétations formulées par les diverses juridictions et d’arbitrer les éventuels conflits entre des normes partiellement contradictoires. De plus, la création d’un procureur général de l’environnement et de la santé, indépendant et bien formé sur ces questions, s’appuyant sur une police spécifique mieux dotée en moyens matériels, donnerait lieu à davantage de poursuites judiciaires et de sanctions effectives envers les atteintes à l’environnement, y compris sur les affaires politiquement ou économiquement sensibles.

Chapitre 5 - Gouverner le long terme
Au-delà de la réforme judiciaire proposée, les nouveaux principes constitutionnels doivent pouvoir s’appuyer sur des institutions politiques plus aptes à adresser les questions du long terme.
En premier lieu, une troisième chambre parlementaire, l’Assemblée du long terme, aurait la prérogative de proposer les principes généraux de lois relatives aux enjeux du futur, et pourrait user d’un droit de véto constructif et argumenté, qui permette le ré-examen de lois non encore promulguées, au regard des problématiques du long terme. Constituée de deux collèges non électifs, l’un rassemblant des personnalités de compétences diverses et reconnues, l’autre des citoyens ordinaires issus d’un panel représentatif, tous tirés au sort pour un mandat de trois ans renouvelable une seule fois, cette assemblée aurait en quelque sorte pour vocation de représenter dans les débats politiques la nature et les générations à venir.
Un Collège du futur, rattaché à l’Assemblée du long terme et composé de chercheurs en détachement de leur organisme d’origine, sélectionnés de manière transparente et temporaire, devrait procéder à une veille scientifique des grandes évolutions écologiques et humaines, afin d’établir des diagnostics et de fournir les éclairages nécessaires aux élus et aux citoyens.
Enfin, le Président de la République, dégagé du gouvernement opérationnel de court terme, deviendrait réellement le garant d’un intérêt collectif et durable, par sa vision transversale des évolutions souhaitables, par sa capacité de saisir toutes les institutions politiques et judiciaires et son droit de véto constructif sur des préoccupations engageant le long terme, complété, in fine, d’un recours possible au peuple par la dissolution de l’Assemblée nationale.

3. Analyse critique

A. Une critique politique
Dans trois articles publiés sur Internet fin Octobre 2011 par « Le Plus » du Nouvel Observateur, Michel Rocard, ancien Premier Ministre, propose une critique politique très argumentée des différentes propositions exposées dans : Pour une 6e république écologique.
Adhérant sans réserve au diagnostic préalable du livre, tant sur les aspects écologiques que sur le délabrement institutionnel des démocraties occidentales, Michel Rocard souligne la pertinence et le fort potentiel politique des suggestions que pose le chapitre 5, notamment en ce qui concerne la présidence du long terme et la création d’un Collège du futur. Même s’il convient qu’une réflexion complémentaire sur la gouvernance mondiale est nécessaire, il soutient l’émergence des droits humains environnementaux, à condition que ceux-ci n’aient pas vocation à piloter étroitement les politiques étrangères, qui ont besoin d’une certaine flexibilité pour ne pas rompre des relations diplomatiques, économiques et culturelles nécessaires à l’évolution démocratique de pays émergents. Enfin, il approuve l’idée d’une chambre dédiée au long terme, qu’il envisage moins comme une assemblée supplémentaire qu’une réforme du Sénat actuel, afin de ne pas trop alourdir les procédures parlementaires.
D’une manière générale, Michel Rocard est soucieux de l’efficacité des institutions, et de leur capacité concrète à financer et à gérer les réformes envisagées. Considérant que la perte d’intérêt pour la complexité et pour le long terme est un phénomène social qui englobe et dépasse la classe politique, il approuve le recours à la démocratie participative, pour autant qu’elle fasse preuve d’une vraie capacité d’aide à la décision, dans des temps et des coûts réalistes ; parallèlement, il appelle à un renforcement des exécutifs plutôt qu’à leur entrave par des mécanismes coûteux et hasardeux, tels que proposés au second chapitre, auquel il n’adhère pas du tout. Par exemple, une limitation stricte du nombre de mandats successifs porterait atteinte aux qualités politiques des élus, qui n’auraient plus le temps d’acquérir les compétences et l’expérience requises, et pourraient préférer des voies professionnelles plus stables. De plus, le vote proportionnel est, selon lui, un « suicide collectif annoncé », qui a montré toutes ses limites dans des pays comme Israël ou la Belgique. Quant au référendum, qualifié de procédé « brutal, simplificateur et dangereux », il est trop facilement détourné de son objet et deviendrait contreproductif.

B. Une critique sociale
En complément à l’analyse politique de Michel Rocard, on peut regretter que, s’agissant de la démocratie participative, ce livre ne fasse qu’effleurer les conditions de la « capacitation » des citoyens. Il est indiqué, page 171 : « pas en effet de démocratie sans presse libre, sans accès libre à l’information, sans droit de manifester, sans syndicats, sans vie intellectuelle et critique, sans arts, etc. ». Sur cette base, il paraît nécessaire d’explorer les exigences et les modalités qui permettent aux citoyens ordinaires d’acquérir une formation ouverte et des compétences solides, un goût de la responsabilité et de l’engagement, une conscience lucide des enjeux fondamentaux et assez de volonté éclairée et de méthode de débat pour qu’émerge de l’intelligence collective plutôt que des formes de barbarie jamais totalement vaincues.

Pour aller plus loin

Pour mieux connaître le contexte de ce livre :
• Comité de Veille Ecologique de la Fondation pour la Nature et l’Homme, Evolution : chapitre 2, 2009
http://www.fondation-nature-homme.org/sites/default/files/pdf/publications/chapitre_2_contribution_cve_juin2009.pdf
• Analyse de Michel Rocard, publiée sur le site Le Plus du Nouvel Observateur, consulté le 17/12/2011 :
o L’information disparaît au profit du spectacle, qui tue la politique, 26/10/2011,
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/207874;l-information-disparait-au-profit-du-spectacle-qui-tue-la-politique.html
o Pourquoi le référendum n’est pas bon pour la démocratie, 27/10/2011,
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/207891;pourquoi-le-referendum-n-est-pas-bon-pour-la-democratie.html
o Vers une 6e République ? Quelques pistes pour réformer nos institutions, 01/11/2011
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/207905;vers-une-6e-republique-quelques-pistes-pour-reformer-nos-institutions.html
• Conférence de Dominique Bourg et Kerry Whiteside à l’Ecole Normale Supérieure, le 18 novembre 2010 :
http://archives.diffusion.ens.fr/
• Interview de Dominique Bourg dans l’émission Parenthèse sur France Inter, le 20 novembre 2011 :
« A quand une démocratie écologique ? » http://www.franceinter.fr/emission-parenthese-a-quand-une-democratie-ecologique
• Page Internet de Dominique Bourg sur le site de l’Université de Lausanne, consultée le 10/12/2011 :
http://www.unil.ch/ipteh/page37297_fr.html

D’autres ouvrages des auteurs de ce livre :
• Dominique BOURG et Kerry WHITESIDE, Vers une démocratie écologique : le citoyen, le savant et le politique, Paris, Seuil, 2010
• Loïc BLONDIAUX, Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, Paris, Seuil, 2008
• Marie-Anne COHENDET, Le Président de la République, Paris, Dalloz, 2012, 2e ed.
• Jean-Michel FOURNIAU, Marianne Ollivier-Trigalo, Sandrine Ru, Evaluer, débattre ou négocier l’utilité publique ?, IFSTTAR/INRETS, 2001
• Bastien FRANCOIS, Misère de la Ve République, Paris, Denoël, 2001, Points-Seuil, 2007
• Yves Sintomer , Marie-Hélène Bacqué , La démocratie participative - Histoire et généalogie, Paris, La Découverte, 2011
Pour creuser la question de la démocratie :
• Hannah ARENDT, Qu’est-ce que la politique, Seuil (traduction française), 1995.
• Pierre ROSANVALLON, La Démocratie inachevée. Histoire de la souveraineté du peuple en France,
Gallimard, Bibliothèque des histoires, 2000, Folio Histoire, 2003.
D’autres pistes pour faire face à la crise de notre modèle de développement :
• Edgar MORIN, La Voie, Fayard, Janvier 2011
Propositions de réformes de la pensée et de l’éducation, de société et de vie, afin d’ouvrir la voie à une métamorphose de notre développement.
• Pierre RABHI, Eloge du génie créateur de la société civile, Actes Sud, Novembre 2011
Exemples de réalisations écologiques et citoyennes, contribuant concrètement à une société nouvelle par le changement des individus qui la composent.

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