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Marine Le Pen peut-elle être présidente de la République ? Avoir le courage d’avoir peur.

19 février 2015 | Par Paul Alliès - Mediapart.fr

samedi 21 février 2015, par Paul Allies

Pour son prochain Café citoyen qui se tiendra le lundi 2 mars à Montpellier, et non le dernier lundi de février), la question qui sera débattue est la suivante : "Marine Le Pen peut-être être présidente de la République ? ". Le texte qui suit, publié par Paul Alliès sur son blog de Mediapart, pourra servir d’introduction à ce débat. Oui, il serait salutaire que les défenseurs de la V° république voient la réalité en face : oui Marine Le Pen est, comme elle l’affirme par ailleurs, tout-à-fait compatible avec la V° République. Il est donc grand temps de changer de régime pour changer la politique.
Bernard Vivien

Un signe ne trompe pas : des observateurs commencent à poser la question d’une possible victoire de Marine Le Pen en 2017. D’où le retour d’un vieux sujet : le Front National est-il un parti compatible avec la République ? Et des réponses tout aussi datées, font comme si la République n’était pas un régime bien défini par la Constitution de 1958. La bonne question est donc : Marine Le Pen peut-elle accéder à la présidence de la V° République et exercer le pouvoir en respectant son cadre, ses us et coutumes ?

C’est Jean-Yves Camus,chercheur connu pour ses articles sur l’extrême-droite qui illustre le mieux à la fois cette inquiétude et cette confusion, dans Le Monde du 11 février dernier : "Nul ne peut dire à quoi la forme du gouvernement ressemblerait si le FN arrivait au pouvoir, mais, formellement il ne souhaite pas abolir la République". Et de renvoyer à "la classification du lepénisme, coeur du problème" pour solliciter un fourre-tout sur la "notion de République : (…) en armes, plébiscitaire, autoritaire, parlementaire, puis le régime présidentiel".

Essayons d’y voir plus clair, d’abord en examinant la compatibilité ou non du programme institutionnel du Front National avec la V° République ; ensuite en évaluant les "chances" de sa victoire aux élections présidentielles.

1) Le Front National n’a jamais revendiqué un changement de Régime. Certes Jean-Marie Le Pen a entretenu une détestation à son encontre tenant à son fondateur, le général De Gaulle. Il est allé une fois, dans un discours à la fête des Bleu-Blanc-Rouge de 1994, jusqu’à lancer : " Vive la VI° République à construire avec le septennat de 1995-2002 et l’approbation du Peuple français par référendum. Que sera cette République ? (…) Une République populiste, mais oui populiste, c’est-à-dire que le peuple pourra exprimer sa volonté non seulement par le référendum mais par le référendum d’initiative populaire en complément d’un système parlementaire rénové et réellement démocratique". Et il appelait de ses voeux des référendums sur le Code de la nationalité, la peine de mort, le système éducatif. Cette rhétorique se fondait sur une dénonciation du Parlement et de la démocratie représentative ("une démocratie d’apparence qui n’a plus d’efficacité"-Assemblée Nationale, 7 avril 1987) qui exploitait la réalité de la déchéance du pouvoir législatif sous la V° République. Mais cela allait de pair avec une déconsidération des élections en tant que procédure de participation à la démocratie en question. Elles ne sont que des instruments ou des étapes pour convaincre toujours plus de militants et d’électeurs que le FN peut prendre le pouvoir. Par contre, il affirme sans ambages que "l’élection principale est l’élection présidentielle. Celle où se joue l’avenir de la France" (Discours aux BBR, Présent, 4-5 octobre 95). Et voilà pourquoi l’invocation à changer de régime n’aura jamais de substance ni de suite : Le Pen, fidèle en cela à la tradition de l’extrême-droite des années Trente, affirme sa préférence pour un régime où l’autorité suprême est dans un rapport direct au peuple : "Le Peuple de France c’est nous. Nous ne sommes pas du même monde (que nos adversaires). Nous sommes le peuple" (Fête des BBR, 16 septembre 1984).

La "pensée Le Pen" n’a pas changé : Marine pense comme son père. C’est l’élection présidentielle qui est "la mère des batailles" et le régime de la V° République est parfaitement compatible avec sa conception césariste de l’exercice du pouvoir.
En cela Florent Philippot, gaulliste déclaré n’a pu que conforter ses convictions. Elle n’a pas eu à les corriger sur l’’essentiel : elle est toujours une vibrante avocate de référendums dont elle égrène les thèmes en fonction de l’actualité : sur l’immigration et la préférence nationale (2002), la peine de mort (2003), le rétablissement des frontières douanières (2004), l’interdiction des révisions par voie parlementaire (2005), la sortie de l’Euro aujourd’hui.
Après la réforme de l’article 11 par Sarkozy en 2008 ( l’introduction du soi-disant référendum d’initiative populaire), elle se contente de réclamer un abaissement du nombre de signatures d’électeurs requises pour le parrainer (500.000 au lieu de 4,5 millions).
Quant au Régime, elle a annoncé au gré de ses campagnes et dans le désordre, une dizaine de révisions constitutionnelles : sur la suppression du Sénat, l’abrogation du pouvoir constituant de l’Assemblée Nationale, la limitation du contrôle du Conseil Constitutionnel, l’inscription de la "préférence nationale" dans le Préambule, l’abrogation des dispositions sur les discriminations, la reconsidération de la Convention européenne des Droits de l’Homme, plus timidement le retour au septennat non-renouvelable.
Il n’y a rien, on le voit, sur l’organisation du pouvoir (elle appelle à un renforcement du pouvoir des Préfets dans un "Etat fort et protecteur des nationaux" -congrès de Tours 16 janvier 2011) et encore moins sur le présidentialisme qui est au principe de l’"efficacité" de la V° République. Dans un discours (Brachay- 29 août 2014) et sans doute en réaction à la campagne lancée au même moment par Jean-Luc Mélenchon sur le sujet, elle a levé les dernières ambiguïtés : "Quand certains parlent d’aller vers la VI° République, je leur dit : revenons déjà à la V°".
Ce qu’elle a confirmé par ses déclarations le 18 février dernier en allant jusqu’à imaginer qu’elle-même pourrait avoir recours au 49-3 si elle était présidente de la République : "Les institutions de la V° République sont tout à fait aptes à exprimer la démocratie pour le Peuple français" ajoutant son mépris pour une VI° qui ne serait qu’un "marronnier". Voilà qui est clair : la VI° République est donc bien l’apanage des seuls démocrates.

Par contre, Marine Le Pen continue à exploiter le filon de la non-représentativité du "système" en général et du Parlement en particulier. Elle revendique pour les Législatives la proportionnelle contre un scrutin majoritaire à deux tours qui ignore la diversité des opinions et les siennes en particulier (en 2012, le FN avec 13,6% des suffrages exprimés au 1° tour obtient deux élus au lieu de 85 qu’il aurait eu avec la proportionnelle intégrale). Ce à quoi s’ajoute une sociologie caricaturale de l’Assemblée malgré sa majorité de gauche depuis 2012 : le député français est un homme (27% de femmes seulement), âgé de 55 ans, blanc (10 députés seulement issus de l’immigration), exerçant une profession libérale ou intellectuelle supérieure. Ce système est devenu illégitime : 43,7% des électeurs inscrits se sont abstenus au deuxième tour des élections législatives de 2012 (c’est le plus fort taux d’abstentions depuis 1848) ; les 302 députés de gauche n’ont été élus que par un quart des inscrits mais occupent 60% des sièges. et Marine Le Pen fait son miel de tout cela. Son parti prospère du fait de l’incapacité des partis de gouvernement à donner des solutions à la crise démocratique, même sur le seul plan parlementaire.

Mais elle se garde bien de mettre en cause le présidentialisme qui prospère dans les institutions. Elue Présidente, elle trouverait un dispositif clef en main pour gouverner à sa guise. Voilà six ans qu’on tient ici-même le journal de l’enlisement démocratique de la République et qu’on diagnostique les maux et les remèdes de ce désastre. Marine Le Pen pourra hériter de tout cela, y compris de l’article 16 autorisant une "dictature de salut public". Réformé en 2008, son maintien a été justifié en regard de "la diversité des menaces potentielles qui pèsent sur la sécurité nationale à l’ère du terrorisme mondialisé" (Comité Balladur, 29 octobre 2007). Ce droit exorbitant se conjuguera avec une pratique insensée d’un présidentialisme expansionniste : la dernière découverte (Vincent Nouzille, Les tueurs de la République. Fayard - voir l’entretien ici avec Fabrice Arfi) nous apprend comment les Présidents français peuvent, à l’abri du "secret-défense", commanditer des assassinats d’"ennemis de la France" sans contrôle et en dehors de la moindre procédure judiciaire ; une prérogative venue tout droit de la guerre d’Algérie et qui est restée d’usage constant jusqu’à François Hollande.

La V° République va donc comme un gant à Marine Le Pen. Finalement, et sauf si elle n’obtenait pas de majorité à l’Assemblée, le principal obstacle à ce pouvoir global abusif (mais légal ou coutumier) pourra venir du Conseil Constitutionnel ; et c’est sans doute ce qui ne lui a pas échappé puisqu’elle souhaite, on l’a dit, une limitation de ses pouvoirs de contrôle. Quel est le mécanisme et son enjeu ?
Le Conseil Constitutionnel a gagné un grand nombre d’attributions au cours de l’histoire de la V° République. De simple "organe régulateur des pouvoirs publics" qu’il était à l’origine, il est devenu juge de la constitutionnalité de la loi (si bien qu’on lui a accordé parfois la qualité de "Troisième Chambre" s’imposant aux deux assemblées parlementaires). Et il s’est imposé comme protecteur des droits et libertés en vertu de la garde qu’il exerce du Préambule de la Constitution (qu’il a constitutionnalisé) et de son article premier (qui définit la France comme "une République indivisible, laïque, démocratique et sociale" assurant l’égalité de tous devant la loi ainsi que la parité hommes-femmes) . Ces textes établissent le socle que forment les principes de la République que Conseil interprète, développe et même crée. Il a ainsi construit une jurisprudence très sophistiquée où il distingue "les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République" (ceux énoncés sans discontinuité par des dispositions législatives adoptées par un Parlement républicain avant 1946), et les "principes particulièrement nécessaires à notre temps" (ceux dont la simple mention dans le Préambule, qu’ils consacrent un droit ou définissent un objectif, suffit à leur donner une valeur constitutionnelle ; cela va du droit d’asile au droit de grève ou à la santé). Enfin le Conseil définit des "principes de valeur constitutionnelle" (parmi ceux-ci, le pluralisme comme fondement de la démocratie) qui ne figurent pas dans un texte précis mais auxquels il donne une force égale aux Principes généraux du droit définis par le Conseil d’Etat (eux aussi essentiels dans la définition du contenu de la République).

Cette architecture est essentielle parce qu’elle est la base d’un vaste répertoire d’actions possibles de citoyens, associations, syndicats qui pourront prendre la voie de la saisine du Conseil constitutionnel pour appuyer leurs mobilisations. La limite est, encore une fois dans le statut de cette instance qui n’est toujours pas en France une véritable Cour suprême vu les conditions baroques de la nomination de ses membres. Elle en pâtirait en cas de bras de fer avec Le Pen présidente. Mais des conflits autour du "bloc de constitutionnalité" dont le Conseil a la garde pourront utilement surgir. Ce seront les conflits d’une société civile désarmée par la veulerie des partis qui auront laissés advenir l’extrême-droite au pouvoir en confortant un régime anachronique et dangereux pour la démocratie.

2- Ces mêmes partis, à droite comme à gauche se rassurent (quitte à faire peur à leurs électeurs) en arguant de l’impossibilité électorale d’une victoire de Marine Le Pen au deuxième tour de la Présidentielle.

La contrainte du duel (encore une aberration qu’ont contestée des personnalités de droite dans le comité Balladur) ne ferait que rééditer le scénario du 21 avril 2002 de l’écrasement d’un Jean-Marie Le Pen au prix de l’élection d’un Président par un "front républicain" mais par défaut. Sauf que depuis, les choses ont bien changé. Le Front national n’a cessé d’élargir sa base électorale de scrutin en scrutin, d’élections européennes ou nationales en élections locales. Il s’est ainsi non seulement inséré dans les territoires les plus reculés mais il a appris mobiliser son électorat mieux que tous les autres partis. A Paris, ce sont les quartiers de l’Est qui votent le plus pour lui en 2012, ceux de l’Ouest en 2014 ; cela fait une population brassant des employés, des commerçants, des cadres, des professions intellectuelles supérieures.

Et cet électorat se radicalise, installant une porosité inédite avec celui de l’UMP. Tout se passe comme si la stratégie Buisson inspiratrice de Sarkozy l’avait emporté(revanche posthume de Charles Maurras qui avait soutenu avec l’Action Française en 1937 le "Front de la Liberté" porté par Jacques Doriot et son Parti Populaire Français allié alors avec la très respectable Fédération Républicaine). Dans la dernière législative partielle du Doubs, la moitié des électeurs UMP du premier tour se sont portés sur la candidate FN au second tour (un quart sur le socialiste et le dernier quart s’est abstenu).

Pour eux, le vote FN est un vote tout simplement utile contre la gauche. Le "cordon sanitaire" des autres partis tient au seul fait que la direction de l’UMP ne veut pas conclure d’accords avec le FN.

Mais les électeurs en tiennent de moins en moins compte pour une raison principale : le vote FN n’est plus seulement un vote protestataire mais un vote d’engagement attractif dans la perspective de la Présidentielle. Le FN ne gagne pas seulement des triangulaires par accident ; il l’emporte de plus en plus dans des duels et dans des élections locales qui lui étaient jusque là très défavorables. Ainsi a-t-il a gagné dans les municipales de mars 2014 onze mairies et 1500 conseillers municipaux. C’est pourquoi le scénario du Doubs va se répéter à très grande échelle lors des élections départementales du mois de mars prochain.

D’ores et déjà on notera que les annonces sondagières plaçant le vote FN à 30% (donc potentiellement en tête dans 70 Départements) ne suscitent pas de réelle émotion ou mobilisation. On est donc très loin du 21 avril 2002. Cela Marine Le Pen l’a parfaitement intégré : elle déclarait (Le Monde du 28 mars 2014) au lendemain du premier tour des Municipales : "On passe par une tripolisation de la vie politique française. Or, sauf à passer à une VI° République, la V° va imposer à nouveau une bipolarisation ; c’est la logique des institutions. Cela se fera entre l’UMPS d’un côté et le FN de l’autre".

Face à ce qu’il faut bien appeler une clairvoyance stratégique ayant parfaitement assimilé les ressources de la V° République (mais aussi ses limites avec un bipartisme artificiel), comment se peut-il que les partis dits de gouvernement restent à ce point sourds et aveugles ?

C’est qu’ils restent globalement accrochés au système de cette République-là qu’ils voient comme un bouclier du seul fait qu’il porterait le nom de République. Leur dédain pour satisfaire les moindres exigences de réforme démocratique en est un signe pathétique. Le Parti Socialiste y prend une part cardinale. On a déjà rapporté ici ( billet du 21 décembre 2014, Jours tranquilles à Solférino : l’édifiante histoire d’un non-débat sur les institutions) comment il a interdit (oui, interdit) à l’automne dernier tout débat sur un changement de République. Les Etats Généraux du 6 décembre dernier ont vu deux tables rondes se tenir où il aurait pu être débattu de ces questions ("Une démocratie accomplie" et "La République toujours recommencée") : elles n’ont pas eu un mot sur le sujet. J.C. Cambadélis qui laissait entendre en août 2014 à La Rochelle que la question de la réforme des institutions pourrait être au coeur des débats du prochain congrès (mais il pensait à l’époque que celui-ci n’aurait pas lieu avant 2016) vient de l’évacuer complètement de son horizon. Des initiatives comme celle prise par Claude Bartolone, président de l’Assemblée Nationale, si elles témoignent d’une réelle inquiétude, tournent efficacement en rond : il a installé le 27 novembre 2014 un "Groupe de travail sur l’avenir des institutions" dont la composition reste énigmatique (y siègent pêle-mêle B. Thibault, M.G. Buffet, C. Duflot à côté de l’incontournable Alain-Gérard Slama, membre du comité éditorial du Figaro ou de Marie-Louise Antoni, journaliste à la longue carrière de conseil d’entreprises diverses ou du CNPF). Si le but est de "faire des propositions sur le Parlement", son président Michel Winock a d’emblée écarté "l’idée d’une réforme des institutions", allant même jusqu’à évoquer "notre histoire politique profondément marquée par des conflits idéologiques mais qui a abouti depuis 1983 à une acceptation du Régime de la V° République". La commission en est à sa cinquième réunion, devenant plus un club à l’anglaise ou une annexe de Science po qu’un véritable lieu de débat politique à la hauteur des enjeux exposés ici. Dans ce contexte, la dérive des socialistes au pouvoir est totale : non seulement ils n’ont pas tenu les engagements de réforme institutionnelle du candidat François Hollande (voir le billet du 31 janvier Changer de Régime pour changer la politique), non seulement ils n’ont jamais débattu du changement de politique assumé par l’Exécutif en complète contradiction avec la campagne qui les avait fait élire en 2012 ; mais ils se réfugient dans les pratiques les plus autoritaires qu’ils puisent dans un arsenal qu’ils n’ont eu de cesse de dénoncer. De ce point de vue l’épisode du recours au 49-3 ce mardi 17 février restera un cas d’école : alors que F. Hollande avait qualifié (en 2006) la procédure de "déni de démocratie, une brutalité" , alors que M. Valls avait déclaré devant le Conseil national du PS (le 14 juin 2014) que "la tradition de la V° République, de la majorité automatique sous menace du 49-3 n’a jamais fait partie de notre culture", les voilà justifiant celle-ci et en usant jusqu’à menacer des députés socialistes d’exclusion de leur parti. Misère du bonapartisme : la V° République n’a plus de Général, seulement des caporaux-chefs. Sauf que cette dévaluation de la parole politique la plus élémentaire nourrit à haute dose la désaffection des citoyens pour la politique toute entière.

Toutes les conditions sont donc réunies pour que nous assistions à une "catastrophe démocratique" en 2017 comme s’en alarme Arnaud Montebourg ici même (voir l’article de L. Mauduit du 15 février sur Mediapart). Marine Le Pen pourra être élue présidente de la V° République si la gauche laisse toujours plus filer ses électeurs dans l’abstention au gré de sa politique néo-libérale au gouvernement. Et elle pourra en exercer le pouvoir tel qu’il y est distribué par ses institutions. Sans doute l’étape des élections législatives consécutives à la Présidentielle pourrait être un réel obstacle pour elle et déboucher sur une cohabitation. Il est par contre vain d’attendre quoi que ce soit du côté de l’Union Européenne ; la bride sur le coup qu’elle a laissé à Viktor Orban a fait de la Hongrie un pays qui est déjà au-delà de ce que pourrait être une France lepénisé. Il est en tout cas vain de multiplier les raffinements sur la République pour espérer que l’invocation de celle-ci suffira à faire barrage comme si ceux-ci pouvaient faire oublier les turpitudes du Régime en place, la V° République compatible oui, avec une extrême-droite populiste bien dans la tradition réactionnaire française la plus ancienne.

Faut-il avoir peur ? L’Histoire enseigne que les passages d’une situation à une autre se font autant par glissements que par conflits ouverts. Il faut avoir en tête l’avènement de Vichy, du passage de la III° République à l’Etat Français et du rôle que les partis et les élites y ont joué (lire l’ouvrage essentiel de Robert O. Paxton, La France de Vichy. Le Seuil, 1997). Il ne faut pas oublier que "la Révolution nationale se situe dans le prolongement des dérives de la III° République au cours des années Trente" ( Gérard Noiriel,Les origines républicaines de Vichy. Hachette, 1999). Et, à y être, se souvenir de la remarquable survie des élites pétainistes après la Libération (Jérome Cotillon, Ce qu’il reste de Vichy. A. Colin, 2003).

Les formes de résistance à cet air du temps sont multiples et contemporaines. Elles passeront par une refondation, modernisation, invention de partis et mouvements politiques. La social-démocratie européenne et le PS en particulier n’en sortiront pas indemnes à l’épreuve de scissions, éclatements, disparitions. En toute hypothèse la bataille pour une 6° République est, ici et maintenant une exigence fédératrice, le résumé d’une alternative.

Cette résistance et ce renouveau ont sans doute beaucoup à apprendre d’une autre Histoire, encore plus ancienne : il faut regarder et écouter ici (dans Le Club 16 février, Comprendre la peur pour mieux la dépasser) la conférence du médiéviste Patrick Boucheron au Mucem à Marseille(et lire son remarquable ouvrage Conjurer la peur. Sienne 1338. Le Seuil, 2013). Il y dit très bien combien il importe d’avoir "le courage d’avoir peur" car c’est la base d’une possible renaissance, d’une autre histoire des manières de faire société contre le tyran habité lui par une autre peur qui ne s’apprend pas et se barde de force et de violence.

Comme l’énoncent les cartels de la salle du "Bon gouvernement" dont l’allégorie est peinte par Lorenzetti dans le Palazzo Pubblico de Sienne : "Sans peur, que tout homme marche sans dommage et que chacun cultive et sème aussi longtemps que cette commune restera sous la seigneurie de cette dame (la sureté) car elle a ôté aux coupables tout pouvoir. (…) Cette sainte vertu, partout où elle régit, conduit à l’unité la multitude des âmes, et celles-ci, rassemblées à cette fin, font du bien commun leur seigneur".

URL source : http://blogs.mediapart.fr/blog/paul-allies/190215/marine-le-pen-peut-elle-etre-presidente-de-la-republique-avoir-le-courage-davoir-peur

Cette question sera donc débattue le lundi 2 mars au Café Citoyen de Montpellier : ICI

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