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Pourquoi j’ai signé la lettre contre la nomination du président de la Banque de France

samedi 19 septembre 2015, par Bernard VIVIEN, Paul Alliès

La nomination du président de la Banque de France par le Président de la République a suscité une lettre ouverte de 150 économistes publiée par le Monde dénonçant celle-ci. Mais c’est l’ensemble du pouvoir de nomination qui s’est sans cesse élargi qui pose un grave problème démocratique. ce que rappelle ici Paul Alliès dans un billet publié sur Mediapart où il explique pourquoi il a signé cette lettre des économistes.
Bernard Vivien

Pourquoi j’ai signé la lettre contre la nomination du président de la Banque de France

16 septembre 2015 | Par Paul Alliès - Mediapart.fr

Le Monde l’a publié ce 15 septembre sous le titre : « la nomination d’un ex-dirigeant de la BNP dénoncée par 150 économistes ». Je ne suis pas économiste (comme quelques autres signataires, tous universitaires). J’ai signé parce que la lettre met en cause une incongruité (de plus) de la Ve République : le pouvoir de nomination du président de la République.

L’article 13, alinéa 2 de la Constitution dispose que le Président de la République "nomme aux emplois civils et militaires de l’Etat".. L’article 21 prévoit la même chose et dans les mêmes termes au profit du Premier ministre. L’alinéa 3 précise la liste des emplois pourvus en Conseil des ministres ce qui devrait conduire à une lecture limitative des pouvoirs du président portant sur cette liste stricto sensu. Mais il n’en est rien : la liste n’est pas exhaustive puisqu’un 4° alinéa prévoit qu’une loi organique détermine d’autres emplois pourvus en Conseil des ministres et donne la possibilité à celui-ci (que préside le chef de l’Etat) d’étendre par décret la liste des emplois soumis à la signature du président.

Ainsi, à peine la Constitution adoptée, une ordonnance portant loi organique était adoptée le 28 novembre 1958. Elle étendait la liste de l’article 13 aux emplois de procureur général, de direction des établissements et entreprises publiques ; et elle précisait que les magistrats de l’ordre judiciaire, les professeurs de l’enseignement supérieur, les officiers, les élèves de l’ENA et de Polytechnique à leur "prise de corps" seraient nommés par décret simple du Président.

Plusieurs juristes firent remarquer à l’époque que cette disposition était en contradiction avec l’article 20 de la Constitution qui fait du Premier ministre le chef de l’administration et qui est donc privé du droit de nomination, y compris aux emplois discrétionnaires. Le Général De Gaulle ne se priva pas pour autant d’élargir le champ de ses interventions jusque dans les domaines où le pouvoir de nomination était délégué aux ministres. Ainsi débuta précocement la construction du présidentialisme. En matière de nominations, le président de la V° République a la compétence de sa compétence.

C’est un cas unique au monde dans les régimes comparables. Il fonde un système féodal d’intrigues, de courtisaneries, de prébendes où la rétribution de la servitude volontaire se paye en emplois publics avec de considérables avantages matériels ou symboliques. Un système qui échappe au moindre contrôle démocratique et aggrave la confusion des pouvoirs.

Après De Gaulle, tous les présidents (avec un bémol pour Pompidou) en ont usé et abusé. François Mitterrand, au motif qu’il fallait prévoir la cohabitation publia le décret du 6 août 1985 qui étendait la liste des nominations à la direction d’établissements et entreprises publiques nécessitant la signature du Président : 168 emplois nouveaux (de la SNCF à l’opéra de Paris) tombèrent ainsi dans l’escarcelle élyséenne.Ils n’en sont évidemment jamais sortis et leur liste a été plusieurs fois « actualisée » depuis. Si bien que la France est le seul pays d’Europe à connaître un tel système de contrôle personnel d’un nombre considérable d’emplois publics.

Lors des tentatives de réforme de la Constitution, le sujet a fait l’objet de propositions. Le « comité Vedel » en 1992 proposait que la compétence générale de nomination aux emplois civils non pourvus en Conseil des ministres soit donnée au Premier ministre. Le « comité Balladur » en 2007 reprend le flambeau : la nomination aux emplois militaires serait réservée au président, les emplois civils seraient limitativement énumérés pour ceux décidés en Conseil des ministres, les autres étant du ressort du Premier ministre et des ministres. Le comité proposait aussi d’introduire le Parlement dans la procédure de nomination : une commission mixte (de sénateurs et députés) ad hoc examinerait les candidatures au cours d’auditions publiques (donnant l’avantage du temps aux parlementaires) ; un vote à la majorité simple « pour avis » concluait l’audition.

C’eût été un important progrès. Sarkozy n’en a pas voulu. La révision de 2008 ne retint qu’une formule au rabais : pas de commission mixte et un soi-disant droit de veto ; il faut que « l’addition des votes négatifs dans chaque commission permanente de chacune des assemblées représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés » ; ce qui est politiquement impossible. Et l’audition publique a disparu.
François Hollande durant sa campagne avait abordé la question. D’abord dans le discours du Bourget le 22 janvier 2012 où il était question de « réduction du pouvoir de nomination du président ». Puis, le 13 avril dans son entretien à Médiapart où il promettait (pressé, il est vrai par Edwy Plenel) que « toutes les nominations, hormis celles des directeurs d’administration centrale feront l’objet d’un vote à la majorité positive des deux tiers dans les commissions parlementaires concernées ». La pratique du pouvoir s’est chargée d’anéantir ces espoirs sur ce plan comme sur tant d’autres. Aurélie Filipetti avait eu beau instruire patiemment le dossier des candidatures à la direction du Louvre, ce ne sont pas les deux candidat(e)s qu’elle avait proposé, c’est J.L. Martinez qui a été choisi en une heure de mars 2013 par le seul président. Et de Toubon, Défenseur des droits, à De Romanet aux Aéroports de Paris, on ne compte plus les bons plaisirs du prince.

Avec la nomination de ce mois de septembre, le cercle des dépendances s’élargit. Il se modernise en quelque sorte en s’ouvrant aux conflits d’intérêt : François Villeroy de Galhau n’est pas en cause en tant que personne ; c’est la promotion du ci-devant directeur de BNP Paribas qui l’est car elle place un banquier privé connaissant (trop) bien les arcanes de la finance, à la tête de la Banque de France. De même la nomination de Francis Delon à la direction de la Commission Nationale des Techniques du renseignement, essentielle dans l’avènement du nouveau technopouvoir, donne le contrôle du dispositif élargi de surveillance à l’ex-patron de la défense qui a piloté des 2008 la surveillance de masse.

Le hasard veut que ce blog ait été inauguré en mars 2008 avec un billet intitulé « La société de cour ». Il visait la nomination de G.M. Benamou à la Villa Medicis. Mauvais scénario rejoué sept ans après avec Muriel Mayette comme actrice principale. Je rappelais alors comment Nobert Elias avait fait l’analyse de la curialisation des classes dirigeantes en démontrant comment au 17° et 18° siècle, elle avait été un dispositif central dans l’avènement de nouveaux comportements de l’homme occidental. A ces époques, ce type de société voyait naître des contraintes et des règles qui produisaient de nouveaux sentiments et styles de vie. De cette aristocratie inventive, il ne nous reste que les pratiques d’obligés vivant des fantaisies d’un Bonaparte.

Le présidentialisme moderne que prétend être la V° République exemplaire de François Hollande entretient cet archaïsme. C’est un mal qui ronge la démocratie qu’il faut dénoncer à toute occasion. Voilà pourquoi j’ai signé cette lettre.

URL source : http://blogs.mediapart.fr/blog/paul-allies/160915/pourquoi-j-ai-signe-la-lettre-contre-la-nomination-du-president-de-la-banque-de-france
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