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Constitution tunisienne : "S’orienter vers un modèle portugais"

Interview de Paul Alliès, constitutionnaliste à l’Université Montpellier I, par Antoine Jauniner (NouvelObs.com - 24/03/11 12:12)

vendredi 25 mars 2011

Paul Alliès est constitutionnaliste à l’Université Montpellier I et président de la Convention pour la 6e République (C6R), groupe de réflexion politique qui préconise l’abandon d’une hyper présidence "à la française" et un plus juste équilibre des pouvoirs. Du 25 février au 6 mars, il s’est rendu en Tunisie pour participer aux travaux de révision de la Constitution du pays, à l’invitation d’universitaires.

Pour le constitutionnaliste Paul Alliès, qui a été associé aux travaux de révision de la Constitution tunisienne, c’est un modèle parlementaire avec une élection du président au suffrage universel direct qui convient au pays.

Quand sera rédigée la nouvelle Constitution du pays ?

La Constitution de 1959 est suspendue et une assemblée constituante chargée d’en rédiger une nouvelle sera élue le 24 juillet. Le parti démocrate progressif (PDP) voulait une élection rapide, par peur du vide laissé par le pouvoir, mais le président par intérim Fouad Mebazaa a décidé de rester au pouvoir pour assurer la continuité de l’Etat. En attendant le 24 juillet, un code électoral est mis en place pour servir de base légale, de guide à cette élection. J’ai pu le consulter, il est très bien fait, avec des échelles de sanctions pénales en cas de fraude, notamment. Il préconise un scrutin uninominal, ce qui permettra l’émergence, à un échelon local, d’individus représentant les partis. Il y a une réelle émulation, les débats des trois prochains mois vont se pencher sur des questions liées au régime, mais aussi sur des considérations économiques et sociales.

Le pays a donc retrouvé sa stabilité ?

La Tunisie est encore paralysée par les grèves. Le syndicat UGTT (Union Générale Tunisienne du Travail), qui ne s’est pas purgé lui-même, pousse le peuple à des revendications salariales, dans une surenchère pour faire oublier son passé. Il est en tout cas remarquable d’observer que les révolutionnaires respectent le droit et ont mis en place des juridictions. Sur les 10 millions d’habitants, il n’y a pas eu d’épuration des 2,5 millions de benalistes.

Quelle était la raison de votre voyage en Tunisie ?

Depuis la chute de Ben Ali, une commission est chargée de faire des propositions de réforme. Elle a été contestée, car elle s’est formée dans la précipitation, mais son président, Yadh Ben Achour, est un homme exceptionnel, un remarquable philosophe et juriste. J’ai donc été invité par des universitaires pour venir travailler avec les responsables des sous-commissions qu’ils ont créées. Nous avons débattu dans des réunions et je les ai conseillés sur la mise en place d’un système qui garantit le meilleur équilibre possible des pouvoirs.

En France, vous êtes président de la Convention pour la 6° République (C6R), groupe de réflexion qui milite contre l’hyper présidentialisation du pouvoir en France. Qu’avez-vous conseillé aux Tunisiens ?

La Constitution tunisienne de 1959 a été copiée sur la Constitution française de 1958. Or, depuis 50 ans, on assiste en France à une augmentation des pouvoirs de l’exécutif. Les Tunisiens ne veulent pas utiliser un système qui a engendré les excès contre lesquels ils se sont soulevés. J’ai donc pointé les erreurs françaises commises avec le présidentialisme. Sur ce sujet, il va falloir être attentif à leurs changements, car ils peuvent nous apprendre énormément de choses. En France, on en est réduit à placer les sondages au premier plan. On suit les hommes politiques comme dans une course hippique ! La Tunisie a balayé cela.

Quel modèle de régime conviendrait le mieux aux Tunisiens, selon vous ?
Il faut plutôt les orienter vers l’exemple du Portugal ou de la Pologne. En sortant d’un régime dictatorial, ces Etats ont recopié le système français, mais ont très vite neutralisé la fonction présidentielle incarnée par le Général Eanes ou Lech Walesa. Ils ont donné le pouvoir au premier ministre, donc à la majorité de l’Assemblée. En Tunisie, un tel système garantirait l’équilibre des pouvoirs, tout en conservant une élection du président au suffrage universel direct. Le poste présidentiel serait donc conçu à minima, un simple contre-pouvoir face au premier ministre.

Vous êtes aussi responsable d’un Master II de journalisme à l’Université de Montpellier. Quel est votre regard sur la presse tunisienne à l’heure actuelle ?

C’est un peu le même scénario qu’en France, en 1944. Au sortir de la libération, il y a les jeunes journalistes résistants, les plus actifs, et ceux avec de l’expérience, mais qui n’ont pas franchement beaucoup résisté. Il y a un manque de professionnalisme criant dans les médias tunisiens aujourd’hui : dans une émission sur une télé indépendante, un jeune a appelé à pendre le premier ministre. Et la jeune journaliste qui animait les débats n’a pas su tempérer ces propos ! Dans la presse tunisienne aujourd’hui, 2/3 du rédactionnel sont des pages entières de communiqués de partis, de courriers de lecteurs, de chroniques. Il n’y a pas assez de reportages, d’enquête, d’investigation. Mais la presse doit conserver sa place : il y a une grande différence entre web et journalisme, entre flux et tri de l’information. On a donc besoin de professionnels de l’info.

Après tant d’années de dictature et de silence, est-il possible de structurer l’opinion publique tunisienne ?

C’est un pari compliqué, mais vu la politisation et la culture de la société tunisienne, on peut être optimiste. Cet Etat a aboli l’esclavage en 1846 et a été le premier régime arabe à adopter une constitution écrite, dès 1861. A ce sujet, la France a des tas de choses à dire. On pourrait leur faire part de notre expérience en matière de collectivité locale, faire des formations accélérées pour les journalistes. Au lieu de ça, on envoie le ministre du tourisme, qui leur propose une campagne publicitaire gratuite dans le métro pour faire la promotion d’un tourisme de bronze-cul ! C’est une honte pour la France.

La laïcité est-elle une aspiration majoritaire en Tunisie, ou un simple courant d’opinion ?

La France n’est pas une exception. La société tunisienne est, elle aussi, laïcisée. Et celui qui imposera à la jeunesse un retour à l’ordre dans la religion aura bien du courage. Même Ennahda (courant islamiste autorisé à former un parti par le Gouvernement, NDLR) cite aujourd’hui plus volontiers l’AKP turc que la Charia. L’enjeu est que l’on passe d’une religion d’Etat à un système de sécularisation, mais pas au point de laisser les mosquées et l’enseignement religieux aux mains de formations que personne ne pourra contrôler.

vers le site nouvelobs.com]

5 Messages

  • Constitution tunisienne : "S’orienter vers un modèle portugais" Le 26 mars 2011 à 10:39 , par Saga des Gémeaux

    Il est regrettable que la Tunisie s’achemine vers le "modèle" portuguais qui conserve l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Aux futurs constituants tunisiens qui auront la tâche de rédiger la nouvelle Constitution, je leur conseillerai plutôt de regarder plutôt du côté de l’Italie, de la Grèce, de la République tchèque etc.... La fonction présidentielle doit être honorifique ce qui suppose que son mode d’élection doit être parlementaire. Les élections législatives doivent être le seul grand temps de la vie politique d’une vraie démocratie pour lesquelles il faille se déplacer. J’espères que la Tunisie sera faire le bon choix. J’espères que 2012 en France sera la fin de cirque nommé "élection présidentielle" qui est tout sauf démocratique.

    Saga des Gémeaux

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    • Je ne pense pas que dans le cadre d’un débat sur l’évolution des Institutions vers une VIème république, les Français soient prêts à renoncer à l’élection du chef de l’État au scrutin universel direct. J’imagine qu’une élection purement parlementaire serait plus perçue comme la confiscation d’un droit d’expression démocratique populaire, et donc un recul. On ne peut pas ne pas tenir compte de l’histoire constitutionnelle de la République.

      Cependant, comme il parait bien essentiel de limiter l’action du Président de la République à une simple fonction honorifique pour confier l’essentiel du pouvoir au Premier Ministre, pourquoi ne pas "couper la poire en deux" en choisissant de doter la République d’un président aux prérogatives et désignation similaires à celles actuellement en vigueur en Autriche ? A savoir : un président chef de l’État dont la fonction est purement honorifique, mais élu au scrutin universel direct ?

      J’ajouterai également qu’il vaudrait alors même mieux que le Président de la République ne puisse être élu en tout et pour tout qu’une seule fois à cette fonction, ce afin qu’il puisse continuer d’exercer ses prérogatives sans avoir à rentrer dans le jeu des passions d’une nouvelle campagne électorale dont il serait alors le sortant, au détriment évident de la neutralité affichée de son rôle de gardien de la Constitution.

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      • Constitution tunisienne : "S’orienter vers un modèle portugais" Le 30 juillet 2011 à 15:44 , par Saga des Gémeaux

        L’élection du chef de l’Etat au suffrage universel direct est la pire chose qui soit car elle constitue une tête de pont pour les apprentis dictateurs qui ne rêve que de concentrer tous les pouvoirs entre leurs mains. De plus je tiens à ajouter que la première élection présidentielle française en 1848 a permis l’élection d’un....... Bonaparte. La suite on la connait. D’où la nécessité d’abolir l’élection direct du chef de l’Etat par le peuple et de laisser au Parlement l’élection du Président de la République plus conforme à la tradition républicaine française dégagée par la Troisième République et confirmée par la Quatrième République. J’espère de tout coeur que les Tunisiens seront faire preuve de sagesse et que leur Assemblée constituante consacrera l’élection parlementaire du Président de la République.

        Saga des Gémeaux

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  • Constitution tunisienne : "S’orienter vers un modèle portugais" Le 20 février 2012 à 17:22 , par padawan

    www.c6r.org est à priori le site que je suis en train de découvrir
    Le sujet n’est il pas suffisant ?

    La constitution tunisienne, c’est très intéressant. Mais est ce sa place sur C6R ? Cela ne vient il pas distraire l’attention du sujet qui nous intéresse ? Il n’y aurait déjà plus rien à dire ? Rien de mieux ?

    En ces temps plutôt sombre, je ne peux le croire.

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    • Constitution tunisienne : "S’orienter vers un modèle portugais" Le 5 mars 2012 à 11:54 , par Bernard VIVIEN

      Les articles portant sur la Tunisie réondent à votre intrrogation me semble-t-il. La question posée est en effet : comment parvenir à une 6° République dans la conjoncture politique actuelle. C’est ce sur quoi la C6R concentre ses efforts et c’est pourquoi elle organise le débat du 9 mars prochain où vous pouvez participer, l’ebntrée est entièrement libre.
      Bernard Vivien

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