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« Doit-on autoriser les multinationales américaines à traduire les États européens devant des tribunaux supra nationaux ? Un collectif de juristes prend position.

jeudi 10 mars 2016, par Bernard VIVIEN

Devant les réactions suscitées par le projet d’introduction du RDIE, pour régir le règlement des différends entre investisseurs et Etats, dans le cadre du TTIP (ou TAFTA en anglais) négocié entre les Etats-Unis et l’Union Européenne, et a suscité une forte mobilisation. cette dernière a avancé une contre-proposition. Celle-ci n’est en rien rassurante ; c’est ce que démontre un collectif de juristes qui ont signé cette tribune publiée par La Croix le 10 mars 2016.
Bernard Vivien

TRIBUNE
« Doit-on autoriser les multinationales américaines à traduire les États européens devant des tribunaux supra nationaux ? »
La CROIX du 10/03/2016 à 12h08

Même amendé, le mécanisme qui permettrait aux entreprises étrangères de porter plainte contre un État quand elles estiment qu’il a failli aux engagements pris dans un traité d’investissement est illégitime, estime le collectif de juristes qui signe ce texte.

"RDIE", pour règlement des différends entre investisseurs et États : derrière ce nom barbare, propre à décourager tout débat citoyen, se cache un mécanisme qui permet aux entreprises étrangères de porter plainte contre un État quand elles estiment qu’il a failli aux engagements pris dans un traité d’investissement. Le RDIE s’est fait connaître peu à peu du grand public en raison des excès récents commis par certains investisseurs.

Une proposition qui ne lève pas les inquiétudes

Le projet d’inclure un RDIE dans le Partenariat Transatlantique de Commerce et d’investissement, en négociation depuis 2013 entre l’Union européenne et les États-Unis (appelé TTIP, TAFTA en anglais), a suscité une mobilisation telle, que la Commission Européenne a été contrainte de mettre sur la table une proposition révisée en novembre 2015 : le système juridictionnel des investissements.

Cette réforme est-elle suffisante pour répondre aux inquiétudes ? Certainement pas. Même si elle a perdu de son tranchant, une épée de Damoclès reste suspendue au-dessus de nos démocraties. Jugeons-en plutôt.

Les améliorations institutionnelles et l’instauration bienvenue d’un tribunal d’appel, ne modifient pas l’équilibre général du dispositif qui offre une voie de recours privilégiée pour les investisseurs étrangers pour contester une décision de politique publique. Ces derniers disposeraient ainsi de la liberté de choisir entre l’arbitrage ou les tribunaux nationaux et par conséquent le droit applicable qui leur est le plus favorable, contrairement aux entreprises domestiques, rompant ainsi avec le principe d’égalité devant la loi. Un dispositif, parallèle aux systèmes judiciaires existants, dont la compatibilité même avec le droit européen et les règles du marché unique n’est pas garantie et sur lequel la Cour de Justice de l’Union européenne devrait être invitée à se prononcer avant d’entamer des discussions plus approfondies avec les États-Unis.

Des garde-fous insuffisants

Quant aux garde-fous proposés pour assurer le respect du droit des États à instaurer des règles sociales, environnementales, financières ou fiscales, ou pour prévenir les conflits d’intérêts des arbitres et pour encadrer les recours, ils sont encore largement insuffisants pour mettre un terme aux dérives observées au cours de ces dix dernières années. Entre 2005 et 2015, ce sont plus de 400 plaintes qui ont été déposées dans le monde par des investisseurs étrangers touchant à des domaines de plus en plus sensibles des politiques publiques. L’énergéticien suédois Vattenfall réclamerait ainsi 4,7 milliards d’euros à l’Allemagne, suite à sa décision de sortie du nucléaire. Le cigarettier Philip Morris a attaqué l’Uruguay et l’Australie, s’estimant lésé par les effets des politiques de prévention du tabagisme et exige des compensations dont le montant n’est pas connu. Si la requête n’a pas abouti contre l’Australie, le pays aurait déboursé quelque 50 millions d’euros d’argent public dans la procédure. Quant au pétrolier américain Lone Pine, il demande 250 millions de dollars au Canada, suite au moratoire sur la fracturation hydraulique. Et en janvier, c’est l’entreprise TransCanada qui a annoncé qu’elle poursuivait les États-Unis et exigeait 15 milliards de dollars de compensations après le rejet du projet de pipeline Keystone XL. De l’aveu de certains lobbyistes, la seule évocation de poursuites peut permettre de décourager les États de renforcer des législations visant à protéger l’environnement, respecter les droits humains ou préserver la stabilité financière.

La capacité d’attirer des capitaux pas démontrée

Ce RDIE est-il même vraiment nécessaire ? La corrélation entre l’instauration d’un tel dispositif de protection des investissements et la capacité d’attirer des capitaux n’est pas démontrée. Et l’existence de systèmes juridiques performants aux États-Unis et dans l’Union européenne rend d’autant plus perplexe face au besoin prétendu d’un tel mécanisme supra juridictionnel. Insensible à cet argument, Bruxelles cherche à tout prix à faire accepter le principe. L’adoption d’un RDIE reformé dans l’accord négocié avec le Canada ouvrirait, s’il était ratifié, la possibilité à environ 80 % des entreprises américaines opérant dans l’Union Européenne de porter plainte à l’égard des États membres via leurs filiales canadiennes.

L’action de la France en faveur de la réforme du dispositif de RDIE dans les négociations du Traité transatlantique a certes permis d’ouvrir le débat mais seules des améliorations cosmétiques ont été proposées pour le moment. Et à ce stade, la solution la plus sage pour préserver le droit des États à adopter des règles démocratiques reste sans conteste celle proposée à plusieurs reprises par l’Assemblée Nationale et le Sénat de l’élimination pure et simple de ce mécanisme illégitime dans les négociations.

Signataires :

Rainer Geiger, avocat, anc. Professeur associé de droit public, Université de Paris I

William Bourdon, Avocat et Président de Sherpa

Maître Tessonnière et Maître Lafforgue, du Cabinet TTLA, avocats au barreau de Paris

Eric Alt, Magistrat, vice président d’Anticor

Paul Allies, Professeur émérite à l’Université de Montpellier-Faculté de Droit et science politique

Emmanuel Daoud, Avocat au barreau de Paris, membre du Conseil de l’Ordre, cabinet VIGO, membre du Groupe d’action judiciaire de la FIDH.

Bertand Warusfel, Professeur à l’Université Lille 2, avocat au barreau de Paris

Antoine Comte, Avocat au barreau de Paris

Jean-Pierre Dubois, Professeur de droit public à l’Université de Paris-Sud

Chantal Cutajar, Directrice du GRASCO – Université de Strasbourg

Alexandre Faro, avocat au Barreau de Paris, Cabinet Faro & Gozlan

http://www.la-croix.com/Monde/Partenariat-transpacifique-les-points-cles-2016-02-04-1300737543

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