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cumul des mandats : bonnes intentions et mauvaises manières

vendredi 26 avril 2013

Cet intéressant article de Fabien Desage (Université Lille II, et CERAPS) et de David Guéranger (Latts Ecole des POnts) paru en page Rebonds dans le Libération du 23 avril 2013, aborde sous un angle assez peu souligné la question du non-cumul des mandats, et vient apporter un argument supplémentaire, s’il en est encore besoin, à la nécessité d’une application sans retard de la règle du non-cumul des mandats. On y relève entre autres que "lutter contre le présidentialisme national en maintenant le cumul des mandats, c’est lutter contre la concentration des pouvoirs par la concentration des pouvoirs". Une analyse qui met en lumière le caractère infondé de l’argument selon lequel le cumul d’un mandat local avec un mandat national serait un garde-fou utile et un contre-pouvoir efficace. Bernard Vivien

Pour lire l’article sur le site de Liébaration , c’est ICI.

Cumul des mandats : bonnes intentions et mauvaises manièresPar FABIEN DESAGE Maître de conférences à l’université Lille-II, titulaire de la chaire d’études de la France contemporaine de l’Université de Montréal et membre du Centre d’études et de recherches administratives, pol, DAVID GUÉRANGER Chercheur au Laboratoire techniques, territoires et sociétés (Latts), maître de conférences de l’Ecole desPonts et chercheur associé auCeraps
Libération
Si leur traduction politique semble aujourd’hui encore bien incertaine, les travaux de la commission Jospin ont fait ressurgir un débat sur le cumul des mandats dont la longévité politique dépasse celle des élus eux-mêmes. Le retour fréquent de cette question à l’agenda gouvernemental (souvent à la suite d’une alternance électorale), puis son ajournement ou son report lointain (ne parle-t-on pas désormais d’une échéance à 2017 ?) illustrent bien la capacité de résistance des principaux élus et de leurs associations. Ces derniers sont parvenus, au gré des réformes et indépendamment des clivages partisans, à préserver le « socle » du cumul : la possibilité d’associer mandat parlementaire et présidence d’un exécutif local.

Chaque fois que le débat fait rage, on a pris l’habitude d’enregistrer les arguments échangés, et souvent inchangés. Du côté des opposants au cumul, on souligne volontiers les conflits d’intérêts ou de loyauté auxquels sont soumis les élus cumulant, la propension à l’absentéisme de parlementaires qui n’ont pas le don d’ubiquité, ses effets sur la concentration du pouvoir ou encore sur le non-renouvellement du personnel politique. Du côté des défenseurs du cumul, en faisant d’un intérêt bien compris vertu publique, on met l’accent avec plus ou moins de bonne foi sur les bienfaits de « l’ancrage local », les profits de l’« expérience gestionnaire » et de la « connaissance du terrain », ou encore sur la « nécessaire représentation des intérêts territoriaux par les élus nationaux ». Les travaux de la commission Jospin ont fourni une énième occasion à cette controverse de se déployer, via les colonnes des grands quotidiens notamment (tribunes dans le Monde, daté des 5 et 6 août 2012).

Mais voici qu’à la faveur du débat actuel, un nouvel argument fait son apparition, sous la plume de quatre universitaires parisiens chevronnés, proches des cercles du pouvoir socialiste (voir l’article « Non-cumul des mandats : la mise en garde de quatre universitaires », le Monde du 25 mars). Résumons leur propos : dans un contexte de présidentialisation croissante de nos institutions nationales, le cumul des mandats locaux serait un garde-fou utile, donnant aux parlementaires un poids (et un contrepoids) plus grand. En même temps qu’il favoriserait un « équilibre des pouvoirs » au sommet de l’Etat, il permettrait aux parlementaires de s’émanciper d’une « culture politique de l’affrontement » (sic), en privilégiant la représentation d’intérêts locaux présumés plus consensuels.

Les arguments sont originaux, pour ne pas dire iconoclastes. Certaines intentions - rechercher l’équilibre des pouvoirs - peuvent sembler louables. L’analyse sous-jacente, malheureusement, ne brille ni par sa pertinence ni par sa clairvoyance quant au fonctionnement du système politique français et à ses travers. En s’appuyant sur le cumul des mandats pour contrebalancer la concentration des pouvoirs au niveau national, c’est le local qui est appelé à voler au secours des parlementaires, un local considéré à tort comme distant et moins politisé, et exonéré de toute responsabilité dans la crise de la représentation politique.

A l’inverse de cette argumentation, les trajectoires de nos gouvernants traduisent pourtant l’imbrication étroite entre mandats locaux et nationaux, dimension structurante du fonctionnement (et des dysfonctionnements) de notre régime politique depuis la IIIe République. François Hollande est certes président de la République, mais il a d’abord été maire d’une commune de 15 000 habitants et président de conseil général. Il fut également le favori des élus locaux socialistes lors de la primaire. Jean-Marc Ayrault, avant de devenir Premier ministre, fut d’abord un « grand notable », maire de Nantes de 1989 à 2012. Tous les deux le redeviendront peut-être ensuite, comme Jacques Chaban-Delmas, Valéry Giscard d’Estaing, Pierre Mauroy, Laurent Fabius, ou encore Alain Juppé avant eux. Autrement dit, le « face à face » entre national et local est purement factice.

Les relations entre l’Elysée et le Parlement sont très largement structurées par le poids des enjeux et des intérêts locaux sur des sujets nombreux, qui se multiplient à mesure que les collectivités étendent leurs domaines d’action (voir l’épisode récent sur les rythmes scolaires). Pour le dire autrement, le national en France est largement empêtré et contraint par l’insertion locale de ses parlementaires et de ses gouvernants. Envisager l’équilibre de façon horizontale - entre l’Elysée et le Parlement -, c’est se ranger derrière une conception toute « parisienne » de notre régime politique qui, pour résoudre un problème au niveau national accepte de le renforcer localement. C’est bien l’incohérence de cette argumentation, qui prétend chasser un présidentialisme par un autre ou, plutôt, par beaucoup d’autres.

La Ve République s’est développée au gré d’un mouvement général et jamais démenti de concentration des pouvoirs, dont le présidentialisme - qu’il soit élyséen, régional, départemental ou municipal - est l’une des manifestations tangibles et largement répandues. Lutter contre le présidentialisme national en maintenant le cumul des mandats, c’est lutter contre la concentration des pouvoirs par la concentration des pouvoirs. C’est ne pas tenir compte du profond besoin de renouvellement démocratique, à tous les échelons de l’Etat. Si l’interdiction du cumul des mandats n’est qu’un premier pas dans une refondation salutaire, elle est un premier pas indispensable et sans lequel auquel changement ne se fera. Ni « maintenant » ni plus tard.

Coauteurs de l’ouvrage : « la Politique confisquée : sociologie des réformes et des institutions intercommunales », éditions du Croquant, 2011.

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