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D’une crise politique à une crise de régime ? par Paul Alliès

mardi 26 août 2014, par Paul Alliès

Depuis la démission de son gouvernement présentée par le premier ministre, les commentaires vont bon train. Le Figaro et Libération titrent sur la "crise de régime". Au "téléphone sonne" de France Inter ce mardi soir, un débat sur les institutions est amorcé, Jean-Luc Mélanchon déclare se consacrer à l’avènement de la 6° République.....
Dans un article publié sur son blog Médiapart, Paul Alliès met en avant les principales leçons que l’on devrait retenir de cette crise ministérielle dont il nous rappelle à l’occasion l’origine.
Et si la question du passage à une 6° République s’avère toujours plus nécessaire, ce sont les modalités de ce passage qui doivent être débattues. Ce sera une des questions traitée lors des rencontres de Tournus et de Dijon des 26 et 27 septembre co-organisées par les "antennes" d de la Côte d’Or et de Saône et Loire de la C6R (voir agenda). Bernard Vivien.

Les circonstances de la crise ministérielle que nous vivons suscitent une grande confusion dans l’analyse de ses conséquences. "Le Figaro" et "Libération" réunis titrent sur une "crise de régime". La V° République serait donc atteinte dans ses fondements. L’annonce de J.L. Mélenchon voulant se consacrer à la convocation d’une assemblée constituante pour passer à une VI° République peut accréditer cette interprétation. Essayons d’y voir clair et de tirer quelques leçons de cette crise.

La démission du gouvernement présentée par M. Valls se situe dans le cadre strict du fonctionnement des institutions du régime.
Celui-ci ne fait que démontrer sa nature intrinsèque, celle d’un pouvoir centralisé et concentré dans un Exécutif dualiste certes (le président et le premier ministre) mais qui ne s’équilibre pas et envahit tous les autres, le Parlement en particulier.

La crise ministérielle (le départ annoncé de Montebourg, Hamon, Filippetti) trouve sa source dans une crise politique précise : la rupture de l’accord passé par les démissionnaires avec M. Valls en avril dernier pour la formation d’un nouveau gouvernement. Cet accord reposait sur un élément essentiel du point de vue institutionnel : la construction d’un rapport de forces au sein de l’Exécutif vis-à-vis du président de la République (sur le double registre de la politique européenne et de l’aménagement du pacte de responsabilité). Sur le fond, M. Valls n’a pas tenu les promesses de cet accord ; sur la forme il s’est rangé du côté du président : l’existence du Premier ministre dépend organiquement du président et non de la majorité parlementaire sauf en période de cohabitation.

Comme on le sait, la forme tient souvent le fond et nous y sommes, une fois de plus : la dualité de l’Exécutif est un leurre ; le présidentialisme est la vérité de ce régime.Il est incompatible avec une culture de la délibération et du débat public. Il est illusoire de vouloir le réformer par une pratique volontariste un tant soit peu démocratique du sommet de l’Etat, là ou réside sa vérité. C’est la première leçon à tirer de l’échec d’A. Montebourg et B. Hamon à y parvenir.

Reste alors le problème de la variable parlementaire du régime. Les questions se concentrent sur le périmètre de la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale et donc sur l’attitude des députés socialistes "frondeurs" jusqu’ici, dissidents peut-être demain. Mais ici encore, l’arsenal disciplinaire de l’Exécutif contre sa majorité est considérable (voir mon billet du 2 juillet dernier "Rien de nouveau sous le soleil"). Si bien que la dissolution est souvent évoquée comme l’issue la plus démocratique à la crise rampante qui s’annonce à l’Assemblée. Sauf que cette procédure est de bout en bout une prérogative exclusive du Président de la République (art.12 de la Constitution). Il peut donc en user dans une perspective politique à laquelle F. Hollande doit penser en anticipant les calculs de ses alliés et adversaires : par exemple provoquer une cohabitation à quelques encablures de l’élection de 2017. C’est lui qui a aussi la compétence exclusive du choix du Premier ministre (art. 8).

Les menaces de grève de certains leaders de l’UMP font sourire : le vivier des candidats du centre-droit au centre gauche est un océan où F. Hollande n’aura que l’embarras du choix. Il peut imaginer ainsi une présidentielle où sa candidature finirait par s’imposer par défaut et quasi institutionnellement contre celle de M. Le Pen au deuxième tour pour escompter un 21 avril à l’envers. La dissolution n’est donc pas l’issue démocratique que l’on croit. Là non plus, le régime ne peut s’auto-réformer.

Seule une représentation proportionnelle de la représentation parlementaire en tout ou partie, permettrait, comme dans presque tous les régimes existants en Europe, de trouver une issue démocratique et peut-être une nouvelle majorité gouvernementale pour cette fin de quinquennat. C’est la deuxième leçon de cette crise.
Le régime de la V° République est donc irréformable mais est-il pour autant en crise ? Celle-ci supposerait que les institutions soient à la fois remises en cause par une fraction significative du personnel politique et des partis de gouvernement et aussi par un mouvement de contestation des autorités de quelque nature que ce soit. Il n’est certainement pas à exclure que ces deux conditions se croisent d’ici 2017 mais ce n’est pour l’instant pas le cas.

La décision de J.L. Mélenchon de se consacrer à l’avènement d’une Sixième République aboutit au fait que celle-ci "sera notre candidate en 2017". Mais aujourd’hui, qui peut croire à la réalité d’une convocation d’une assemblée constituante en bonne et due forme ? La question vaut pour les nombreuses formations qui appellent de leurs voeux un nouveau régime. Elle vaut aussi pour Arnaud Montebourg.

Celui-ci a au moins trois problèmes à résoudre dans la perspective de sa candidature en 2017 :
1) Le PS est-il le passage obligé pour y construire son influence ? Si oui, tout reste à faire et suppose un dialogue minutieux avec les diverses sensibilités qui se sont déjà positionnées sur l’alternative à l’austérité, des soutiens à M. Aubry à ceux d’E. Maurel en passant par ceux de B. Hamon. La perspective est celle d’un accord de projet pour le prochain congrès du PS. Cet accord devrait inclure la question des Primaires ouvertes à toute la gauche ainsi que celle d’une Sixième République. Les gauches pourraient se trouver majoritaires dans ce congrès. Nous serions alors dans une situation rappelant celle de 1958 où la crise de la SFIO avait débouché sur la création du Parti Socialiste Autonome.
2) L’organisation des réseaux que Montebourg a su construire à partir de son travail au Ministère du Redressement Productif, tant chez des syndicalistes que des entrepreneurs est-il possible et durable ? Quelle qu’en soit la forme (club, mouvement ou autre) cela appelle à la fois des cadres, des moyens et un projet qui ne se limite pas à la question économique. Les engagements incarnés par Montebourg sur l’Euro, l’Europe, la redistribution et la justice sociale, la politique autrement peuvent suffire à former un socle mobilisateur.
3) L’exercice du pouvoir par les socialistes, une troisième fois dans le total respect du présidentialisme de la V° République et de ses pratiques, peut-il rester sans suite ? A l’évidence non tant le bilan est accablant ; mais il faut alors reprendre haut et clair le combat pour une Sixième République ; et surtout sur les moyens d’y parvenir. La voie royale n’est pas forcément une assemblée constituante ; la définition d’une transition en l’état du droit existant le permet aussi. Mais il y faut un engagement politique net sur la nécessité d’un bond en avant démocratique.
C’est à ces conditions, la réponse à ces questions au moins, que la crise politique majeure ouverte depuis dimanche pourrait marquer le début d’une renaissance de la gauche.
URL source : http://blogs.mediapart.fr/blog/paul-allies/260814/dune-crise-politique-une-crise-de-regime

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