Comme dans toute bonne crèche provençale qui se respecte, la V° République a ses « ravis ». « Lou ravi » c’est ce santon qui est aux anges, toujours content, les deux bras levés. Nous avons donc des politologues et des constitutionnalistes qui jouent ce rôle dès qu’une 6° République menace de prendre la place de leur adoration : un régime « stable », d’une « infinie souplesse », « solide » . Ce sont les mots employés par mon collègue Pascal Jan dans Libération de ce 30 avril. Il les avait déjà utilisés le 2 février 2011 dans un Forum du Parti socialiste sur les institutions auquel Manuel Valls l’avait invité. Et il s’emploie une nouvelle fois à démontrer que « les conditions pour un changement de Constitution ne sont ni réunies ni surtout fondées ».
Quant à l’opportunité d’un changement, ce n’est tout simplement pour les « ravis », jamais le moment.
Comment expliquer alors que 24 lois constitutionnelles aient été adoptées depuis 1958 sans avoir jamais été soumises à ratification populaire (sauf de manière inconstitutionnelle en 1962 et par 30% des électeurs en 2000 pour instaurer le Quinquennat ?).
Que dire de la révision sarkozyste de 2008 par laquelle plus de la moitié des articles ont été modifiés ? Serait-ce parce que tous ces « ajustements » ont été le fait de la droite et jamais de la gauche, comme si la première était la seule habilitée à triturer la loi fondamentale ?
La gauche pourtant a imaginé en 2007, durant la campagne de Ségolène Royal, une méthode démocratique de révision et donc d’un possible passage à une 6° République : La candidate à la présidentielle puis les candidats à la députation annonçaient pendant la campagne, leur programme de changement institutionnel. Ainsi investis d’un mandat constituant, les parlementaires consacraient une part de leur ordre du jour durant quelques semaines à la discussion d’un projet de loi constitutionnel. Dans ce même délai, un comité d’une cinquantaine de personnes allant des représentants de la présidence de la République à ceux d’associations spécialisées en passant par des citoyens tirés au sort pilotait, sous l’autorité du ou de la Garde Sceaux un Forum consultatif constitutionnel ouvert à l’interactivité citoyenne. Un référendum ratifiait ou pas le texte définitif. Cette méthode n’avait sans doute pas l’allure flamboyante d’une assemblée constituante, mais elle permettait un investissement populaire au moins égal à celui de 2005 sur le pourtant très abscons projet de « Traité établissant une Constitution pour l’Europe ». A condition de les vouloir, les conditions d’un changement sont donc bien possibles sans drame ni guerre civile.
Pourquoi alors ce changement est-il fondé ? Parce que « l’analyse comparée des régimes » qu’invoque Pascal Jan révèle, dans le seul cadre européen, une V° République anachronique, exotique et adémocratique.
– Anachronique, elle l’est de par les conditions de sa naissance, quand la France était encore un empire colonial et méconnaissait la Communauté européenne. Elle a conservé la nécessité d’un homme fort à sa tête, reproduisant les traits du bonapartisme dans l’effondrement d’un régime d’assemblée. Et elle est aujourd’hui en complète rupture avec la société de la connaissance, de l’horizontalité des réseaux sociaux, de l’interactivité des groupes et des individus ; si bien que la figure du président devient improbable que ce soit dans son hystérisation ou sa banalisation.
– Exotique, elle l’est tout autant puisque la France est le seul régime en Europe et au-delà à pratiquer un tel présidentialisme où « l’absence de morale, le climat de complaisance ou de complicité, de résignation est au principe de ce régime où les institutions sont confisquées par un souverain unipersonnel et sa bureaucratie » (Pierre Mendès-France. 1974).
– Adémocratique elle le reste tellement elle repose sur l’irresponsabilité générale, politique et pénale d’un chef de l’Etat qui gouverne sans avoir à rendre des comptes et qui contamine ainsi tous les niveaux jusqu’à la périphérie, celle des Exécutifs locaux.
Sans doute est-il possible de faire évoluer le système comme le proposent de bons auteurs, à droite pourtant : en réduisant l’élection présidentielle à un seul tour de telle sorte que la légitimité du Président ne soit pas supérieure à celle du Parlement ; en équilibrant les pouvoirs au sein de l’Exécutif notamment dans le champ des nominations ; en élisant les députés au scrutin de liste à la proportionnelle dans les Départements ; en instaurant le mandat unique pour que les parlementaires puissent contrôler le gouvernement et enquêter sur les dysfonctionnements de l’administration. Ce sont là des marches pour accéder enfin à un régime parlementaire stable, fort et équilibré où le Premier ministre est responsable devant sa majorité au Parlement.
Cette approche incrémentaliste est rendue improbable par la rigidité du système et le dogmatisme de ses partisans ou l’ingénuité de ses « ravis ». Si bien que « l’évolution de notre texte fondamental vers une République nouvelle » que François Hollande appelait de ses vœux à Dijon le 3 mars 2012 a bel et bien un nom, celui d’une Sixième République, moderne et démocratique.
Paul ALLIES
Professeur des Universités
Président de la Convention pour la 6° République (C6R)