Vers un Etat de police et de suspicion
Jusqu’où iront-ils ? Voilà qu’un nouveau projet de loi de réforme pénale vient d’être transmis au Conseil d’Etat. Débordant le champ ouvert par la révision de la Constitution et la déchéance de nationalité, il est un pas de plus mais décisif vers l’instauration d’un Etat de police et de suspicion.
Depuis la remise à flot de l’état d’urgence, un grand nombre de libertés publiques (de la liberté d’association à la liberté de circulation en passant par la sûreté du domicile et des personnes) ont été rognées : le juge a été tout simplement été écarté au profit du pouvoir discrétionnaire de l’Exécutif, de ses préfets et de ses gendarmes. Le gouvernement semble se rendre à l’évidence : à la date du 26 février, il apparaitra improbable d’annoncer la fin de l’état d’urgence (justifié par la "guerre contre l’armée djihadiste") au vu des seuls résultats de ces trois derniers mois. Et demander sa prolongation au Parlement, à quelques encablures de la réunion du Congrès pour la révision constitutionnelle peut apparaître comme politiquement couteux. La démarche est donc d’alourdir encore un peu plus le dispositif législatif des pouvoirs donnés à la police et à l’administration : armement des policiers et des gendarmes bénéficiant de l’irresponsabilité pénale, fouilles discrétionnaires des bagages et véhicules après celle des domiciles, contrôle administratif strict des personnes « soupçonnées de pouvoir se rendre sur un théâtre d’opérations »…Tout cela à l’abri du contrôle d’un juge. Bref prolonger l’état d’urgence sans les quelques contraintes de l’état d’urgence.
Le plus grave n’est peut-être pas cette liste qui s’allonge au fil des lois de circonstances (de novembre 2014, juillet 2015, octobre 2015) votées par la gauche, mais le renversement de logique pénale sur laquelle repose cette politique : depuis la loi sur la rétention de sûreté du 25 février 2008, on instaure silencieusement en France une justice prédictive, fondée sur la suspicion et le pronostic, et non plus sur des preuves et des faits. Ainsi la loi du 20 novembre 2015 sur l’état d’urgence a-t-elle modifiée la loi de 1955 sur l’assignation à résidence ou les perquisitions en l’appliquant à toute personne vis-à-vis desquelles il existe « des raisons de penser que son comportement (et non plus seulement son activité) constitue une menace ».
L’idée c’est que « l’Autre » (pour l’instant le musulman mais pas seulement) est dangereux en tant que tel dès lors qu’on puisse avoir quelque doute sur ses intentions, et quand bien même il n’aurait pas fait montre de la moindre tentative délictueuse ou criminelle. Ainsi la notion d’ « entreprise individuelle à caractère terroriste » énoncée par la loi de 2014 est-elle particulièrement vague en visant des comportement éloignés de la moindre infraction. La série des soi-disant « bavures » recensées au gré de l’application de la loi du 20 novembre sont des illustrations de cette dérive entrée dans les mœurs policières et administratives.
Cette transformation du « droit des gens » est non seulement absolument contraire aux principes fondamentaux de la République mais à toute la tradition du droit français. Que ce soit un pouvoir issu d’un vote majoritaire de gauche qui y procède est proprement criminel car il bricole un régime d’exception destiné à durer dans les institutions qui peuvent tomber dans des mains illibérales.
François Hollande et Manuel Valls sont en train de ruiner l’Etat de droit démocratique. Ils escomptent peut-être que le bruit fait autour de la déchéance de nationalité couvrira la petite musique de leurs mesures de basse police. Ils pensent sans doute que l’arbre de la révision constitutionnelle cachera leur misérable manœuvre législative. Il faut secouer les consciences pour empêcher l’avènement de leur Etat de police et de suspicion.
Paul Alliès
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