C6R
Convention pour la 6ème République

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L’actualité et le contenu de l’idée de République

par René Merle

mardi 31 août 2010

Invité de la C6R pour sa 6° université d’été, René Merle,« historien et romancier, membre fondateur de l’Association 1851, pour la mémoire des Résistances républicaines », a ouvert les débats de la matinée par une conférence sur l’actualité et le contenu de l’idée de république .
On trouvera ici le texte intégral de son intervention à Jarnac, le 25 août 2010.

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En ouverture à vos travaux, Paul Alliès m’a invité à traiter du rapport entre l’actualité et le contenu de l’idée de République. Je l’en remercie, et j’adresse mon salut amical à votre Association.
Mon propos, je l’espère, sera porté par l’objectivité de l’historien, mais aussi par la passion du citoyen, dont les réflexions ont souvent rencontré les vôtres[2].

L’actualité et le contenu de l’idée de République ? Il est passionnant mais aussi peut-être redondant d’en traiter avec des militants pour lesquels le propos n’est pas à découvrir, loin de là. En m’excusant donc d’enfoncer beaucoup de portes ouvertes, je vais articuler mon propos sur les trois sens possibles du mot « actualité ».

Quelle est actuellement la réalité concrète de notre République ?
Quel est actuellement l’état de l’opinion par rapport à cette réalité ?
Et enfin, en quoi l’idée de République, d’une vraie et digne République, peut-elle être un élément mobilisateur pour sortir de la crise politique et morale que nous vivons ?

Concrètement, quelle est la nature actuelle de la République ?

Nous sommes dans le processus terminal de ce que nous dénonçons depuis longtemps, la Constitution née du coup de force de 1958, et sa redoutable modification en 1962, qui a permis l’élection du Président au suffrage universel.
Lors de votre rencontre de 2004, autour du Coup d’État permanent, j’insistais sur le lien direct, qui n’est pas innocent, entre cette Constitution et celle de la Seconde République [3]. La Constitution de 1848, en effet, dans un climat de violente revanche sociale (après l’écrasement de la révolte ouvrière de Juin), instituait pour la première fois en France un Président de la République, qui plus est un Président élu au suffrage universel masculin, un Président tout puissant chef de l’exécutif et des forces armées, un Président à la fois chef d’État et chef de gouvernement.
On sait quel sort ce premier Président élu, Louis Napoléon Bonaparte, fit bientôt subir à la République.
Et on sait combien ce souvenir avait déterminé les pères de la Troisième République, puis de la Quatrième, à instaurer un vrai régime parlementaire.
Depuis son élection, l’actuel président pousse à bout les virtualités du régime présidentiel à la française. La révision de la Constitution, qu’il proposa au Parlement en 2008, se présentait comme un rééquilibrage des pouvoirs. Elle n’a fait qu’accentuer ceux du Président.
Il faut en convenir, la Sixième République est déjà là, mais ce n’est pas celle que nous souhaitons.
Bien sûr, l’accouchement se fait sans coup de force sanglant, comme en 1851, qui vit étrangler la Seconde République. Bien sûr, l’accouchement se fait sans bruits de bottes, comme en 1799, qui vit étrangler la première. Sans bruit de bottes, encore que... Les images martelées de Grenoble en guerre déclarée peuvent préparer l’opinion à d’autres éventualités. L’accouchement de cette Sixième République se fait en douceur, si j’ose dire, dans le cadre d’institutions démocratiquement avalisées, et cet accouchement est accepté grâce à l’incroyable vampirisation médiatique des consciences.
Ce n’est pas à vous, mais c’est bien aux citoyens qu’il faut rappeler que nous sommes désormais dans une République où le Président, qui devrait être celui de tous les Français, est en fait chef de sa majorité parlementaire, sans pour autant être responsable devant elle. Une République où disparaît le rôle du Premier Ministre. Une République où sont progressivement annihilés les derniers contre-pouvoirs, au point de voir le très sage Conseil constitutionnel se retrouver en position contestatrice...
Ce n’est pas à vous, mais aux citoyens, qu’il faut rappeler combien la référence apparemment justificatrice à la constitution des Etats-Unis est une escroquerie. Aux Etats-Unis, les pouvoirs du Président sont équilibrés de contre-pouvoirs constitutionnels forts ; et déjà, si le Président ne peut être renversé par le Congrès, il ne peut la dissoudre... Nous sommes si loin de cet équilibre que l’expression de « régime présidentiel » ne convient même plus à notre système. La nouvelle République prend le chemin de ce que le sénateur socialiste de mon département du Var, Pierre-Yves Collombat, appelle depuis longtemps « la République consulaire » ?
République ? Oui. Car au-delà du viol, le mot « République » peut perdurer, mais vidé de son sens. Pour prendre deux exemples extrêmes, Bonaparte, qui commit son coup d’État le 18 brumaire an VIII de la République, soit le 9 novembre 1799, demeurera formellement Premier Consul de la République jusqu’au 18 mai 1804, date de l’institution de l’Empire ; et Louis Napoléon, qui commit son coup d’État le 2 décembre 1851, demeurera formellement Président de la République jusqu’au 7 novembre 1852, date du passage à l’Empire.

Qu’on ne nous accuse pas de crier au loup, alors que l’heure du vrai danger n’a pas encore sonné. Nous ne sommes pas de ceux qui risquent à tout propos des amalgames hasardeux autour des notions de « dictature » et de « résistance ». Nous jouissons encore de ces libertés démocratiques dont d’aucuns, à la gauche de la Gauche de la Gauche, croient pouvoir se gausser en les traitant de « libertés bourgeoises ». Mais c’est justement parce que nous connaissons le prix, inestimable, de ces libertés, parce que nous savons ce qu’il en a coûté à nos anciens pour les conquérir et les maintenir, que nous dénonçons la dérive « consulaire » qui ronge notre démocratie, et que nous mettons ces libertés en œuvre pour remettre la République sur le bon chemin.

Mais pour que cette démarche militante puisse devenir une vraie force collective, il importe d’apprécier l’état réel de l’opinion par rapport à ce processus absolument nouveau.
Vous connaissez la différence que les juristes de la fin de la République romaine établissaient entre « auctoritas » et « potentas » : « potentas », la puissance, l’exercice réel du pouvoir, « auctoritas », l’ensemble des vertus morales et politiques qui autorisent un homme à assumer ce pouvoir suprême, sans pour autant qu’il en violente les principes démocratiques.

À tort ou à raison, il semble que, de nos présidents antérieurs, seuls sans doute le général De Gaulle et François Mitterand, chacun à sa façon, ont pu assumer cette « auctoritas ». Les trois autres présidents, bien sûr encore chacun à sa façon, participaient plutôt d’une empathie avec la fonction, et avec l’opinion qui ne les auréolait pas pour autant d’un charisme transcendant. Il semble que désormais la page soit tournée. Notre Président n’exerce pas une fonction, mais un métier. Sa « potentas » ne relève pas d’une quelconque « auctoritas », mais d’une compétence professionnelle présumée à « faire le job », comme il aime à dire. Dans ces conditions, si c’est au pied du mur que l’on voit le maçon, et si le maçon ne fait pas bien son travail, c’est évidemment de maçon qu’il faut changer.

Pour de multiples raisons, que vous connaissez aussi bien que moi, l’impopularité du Président est évidente. Nous sommes à un point de bascule où pour une majorité de l’opinion, le désir de changement s’impose. Mais un point de bascule où justement le Président, pour conserver la main et préserver son avenir, est capable de redoutables initiatives démagogiques. Cependant, dans l’opinion, on ne constate pas encore le désir de la fin de l’hyperprésidentialité : plus que le système, c’est l’homme qu’il s’agirait de remplacer.
Autant dire que cette opinion, inquiète ou indignée, est peu mobilisée sur les thèmes institutionnels.

On peut certes penser que ces thèmes sont trop compliqués, trop abstraits, trop éloignés des préoccupations quotidiennes, pour que les Français s’y intéressent. De là à penser que les Français, dont chacun sait depuis la célèbre appréciation supposée gaullienne, qu’ils "sont des veaux", en tiennent plus pour « panem et circenses » (prononciation non garantie, que pour une masturbation constitutionnelle.
Cela n’a pas toujours été le cas.
Sous la Troisième République, et à plusieurs reprises, une grande partie de l’opinion a été remuée par des thèmes constitutionnels.
Est-ce à dire que les Français d’alors en étaient-ils plus friands que nos contemporains ? Peut-être pas. Mais c’est dans l’urgence qu’ils étaient sollicités, une urgence à laquelle il était difficile de se dérober. Car, à chaque fois, il s’agissait d’offensives de Droite visant à la mise en œuvre d’un pouvoir exécutif « fort », vassalisant le pouvoir législatif.
On peut rappeler la redoutable crise boulangiste de la fin des années 1880, où la Droite, encore congénitalement royaliste, tente l’assaut contre une République parlementaire, entachée par des scandales, une République qui, par son indifférence aux questions sociales, décevait le peuple ouvrier.
Comme on doit rappeler la crise des années 1930, où, sous couvert de la classique dénonciation de : « tous pourris », la Droite extrême, liée aux groupuscules fascistes, fait l’apologie du pouvoir « fort » salvateur. Sirènes révisionnistes auxquelles un officier qui deviendra célèbre était loin d’être indifférent.
À chaque fois, une réaction unitaire et victorieuse est montée du plus profond de la conscience populaire. S’en prendre ainsi à la Constitution était de fait attenter à la République.
Souvenons-nous des Cercles qui partageaient alors nos villages méridionaux. D’un côté le cercle des Conservateurs, celui des Blancs, de l’autre le cercle républicain. C’était dire que, dans l’imaginaire populaire, le camp républicain, (du centre gauche à l’extrême gauche), ne reconnaissait pas la Droite comme républicaine, en dépit de son ralliement formel à la République.

Pour autant, ne nous y trompons pas, quand l’attaque de la Droite conservatrice n’était pas frontale, elle a pu séduire à l’autre extrémité de l’éventail politique. Combien d’anciens Communards, combien des premiers socialistes ont pu initialement estimer que l’offensive boulangiste contre la République parlementaire servait les intérêts du prolétariat. Et en 1933, combien de cadres et d’élus socialistes ont pu se rallier à la scission des « Néos », sous le mot d’ordre d’« Ordre, Autorité, Nation »...
Le Maréchal Pétain assumera d’autant plus cette tentation du régime « fort » qu’il fit disparaître le pouvoir législatif. C’est pourquoi, après la Libération, avec les deux référendums constitutionnels de 1945-1946, l’opinion citoyenne fut informée et sollicitée sur la nature de la République à mettre en place. On sait qu’alors, malgré l’immense aura patriotique dont le Général jouissait, une majorité de citoyens rejeta le projet gaulliste, projet qui refusait le pouvoir exécutif émane de l’Assemblée, et que le gouvernement soit composé de mandataires de partis.
On sait enfin comment, sans véritable débat public cette fois, mais à chaud, dans le contexte de la guerre d’Algérie et de la guerre civile menaçante, le Général put obtenir d’une opinion a priori hésitante la mise en application de ce qu’il proposait en 1946.
Il y a plus de cinquante ans de cela. Et depuis, même au plus fort de la crise de 1968, aucun sursaut républicain n’est venu vraiment contester ces institutions. Aujourd’hui, le système semble avalisé et intériorisé par l’opinion. On veut nous persuader que, dans leur grande majorité, les citoyens sont attachés à l’élection du Président de la République au suffrage universel, attachés à la notion d’un chef de l’État régalien, responsable de la maison France.

Si attachement il y a, il faut d’abord pointer dans sa réalité la responsabilité des partis politiques.
Quelles que soient leurs vertueuses déclarations de principes, les responsables de tous les partis, prisonniers d’un système auquel ils ne peuvent se dérober, ont joué le jeu de la présidentialisation, par réalisme, ou par opportunisme, sinon par conviction. D’aucuns ont même cru pouvoir maîtriser le système en poussant à bout certaines de ses virtualités : on se souvient du passage au quinquennat et de la regrettable inversion du calendrier électoral.
Ralliement si prégnant que même les meilleurs, les plus attachés au travail collectif, ne peuvent s’empêcher de se demander, à l’heure des choix : "Et pourquoi pas moi ?".

Mais on ne saurait pointer seulement la passivité des citoyens et la responsabilité du ralliement des appareils politiques, ralliement sincère ou forcé, dans cette avalisation du système par l’opinion.
Le décervelage médiatique, dans notre République des jeux mis en ligne, a pu faire vivre par beaucoup d’électeurs, la dernière élection présidentielle en compétition télévisuelle où candidate et candidat, en sollicitation de ferveur populaire, faisaient don de leur personne à la France. Quitte ensuite pour l’électeur, qu’il ait joué gagnant ou placé, à laisser l’élu faire son travail, du haut de sa sphère régalienne... Je n’ai aucune envie d’ironiser. On doit voir là, me semble-t-il, et je ne suis pas le seul, une adéquation désormais bien installée entre le ressenti personnel de l’existence, et le rapport à la conscience citoyenne.

Sous la Troisième République, je le rappelle sans inutile nostalgie, car, si je suis fils d’iinstituteurs, je ne suis pas chevènementiste, sous la Troisième République donc, une mission fondamentale de l’école laïque était la formation très directive du citoyen républicain, formation qui, outre sa dimension éthique, apparaissait d’autant plus indispensable que pendant longtemps la République n’était pas encore fermement assise. Formation qui pour la grande masse des élèves s’arrêtait encore au certificat.
L’intériorisation des grands principes républicains passait ensuite pour la jeune fille ou le jeune homme par son respect de la tradition familiale ou locale d’engagement, et par son insertion rapide dans le monde du travail.
Après le plan Langevin-Wallon de 1947, et les grandes réformes du système éducatif qui suivirent, la scolarité, désormais grandement prolongée pour tous, voulait préparer les jeunes à s’insérer positivement dans un monde économique nouveau, elle n’avait plus pour mission directe la formation du citoyen. Je ne fais pas seulement allusion à la place insignifiante de l’instruction civique, mais, bien plus en profondeur de vécu, au fait qu’en insistant essentiellement sur la réalisation individuelle, cette longue scolarité a distendu le lien direct avec la communauté républicaine et ses valeurs, comme elle a préparé la prise de distance avec la tradition politique familiale ou régionale.
À l’issue de sa scolarité, s’il ne vit pas dans ces zones de désespérance sociale où la rage de vivre, malgré tout, se nourrit d’une idéologie clanique et consumériste, le jeune "éduqué", citoyen en puissance, a désormais pour préoccupation première de trouver sa place dans le monde du travail et de vivre pleinement sa vie, dans l’immensité des possibles, réels ou virtuels, qui lui sont désormais offerts. Il considèrera comme naturel que les responsabilités politiques, et particulièrement la responsabilité suprême, ressortissent à la même logique. Le Président « fait le job », comme il aime à dire, et il s’éclate... En un sens, ce Président est pour d’aucuns pleinement moderne...
La délégation de pouvoir procède d’une conception nouvelle de la liberté individuelle, et de la responsabilité citoyenne, plus tournée, dans le meilleur des cas, vers des préoccupations humanitaires et écologiques que vers la participation politique.
Et quand bien même ces néo-citoyens désormais électrons libres font l’effort d’assumer une vraie participation, le jeu de la politique « républicaine » peut leur renvoyer le sentiment d’une dépossession. L’exemple du vote sur le projet de Constitution européenne est éclairant. Nous avons été partagés à ce sujet, et nous le demeurons. Mais enfin, comme 70% de citoyens, nous sommes allés voter le 29 mai 2005. Le vote NON l’a emporté. Puis, à l’initiative du Président de la République, le Traité de Lisbonne a été ratifié par voie parlementaire en 2008. Il est compréhensible que dans une partie de l’opinion prédomine le sentiment que son point de vue est négligeable, et que les choses se décident ailleurs, sans elle.

Dans ces conditions, que nous réserve l’avenir ?

Comme l’indique la présentation de votre journée, il y a urgence [4]. Nul ne sait ce qui peut advenir, quand une masse de déçus de la République, sans pour autant faire le procès de République bientôt consulaire, se réfugient dans l’abstention, ou soutiennent le Front National.
Vous avez peut-être vu le beau documentaire, Ils se levèrent pour la République, que Christian Philibert consacra en l’an 2000 à l’insurrection républicaine de 1851. Il se termine par l’interrogation de celui qui vous parle, interrogation que d’aucuns estimèrent trop désabusée : « Vous en connaissez beaucoup, aujourd’hui, des gens qui se lèveraient pour la République ? ».
N’a-t-on pas vu en effet, deux ans plus tard, après le coup de tonnerre des résultats du premier tour de 2002, des foules, des foules où la jeunesse était en nombre, se lever spontanément pour défendre la République... Protestation éthique, éminemment respectable, mais pas vraiment politique, puisqu’elle entérinait, dans le jeu du système, la victoire du candidat d’une droite usée mais jubilante... Protestation éthique, mais sans la conscience d’une véritable danger imminent... Le sentiment d’appartenir à une communauté européenne démocratique (dont les dirigeants ne sont pas élus, mais ceci est une autre histoire) semblait de toute façon rendre impossible l’établissement dans un état de la Communauté d’un régime anti démocratique.

Aujourd’hui, continuer à agiter l’épouvantail F.N première manière peut être parfaitement inefficace devant une mutation à l’italienne, où les néo-fascistes se sont convertis en très responsable parti de gouvernement, en osmose avec les secteurs les plus durs de la Droite classique. La France n’est pas à l’abri d’une pareille dérive « démocratique ».
Ce qui rend encore plus urgent de se demander en quoi aujourd’hui l’idée de République peut être un véritable élément mobilisateur pour sortir de cette crise politique et morale.
Mon propos n’est évidemment pas d’indiquer aux partis de gauche, et notamment aux Socialistes, ce que devrait être leur programme d’avenir. C’est l’affaire collective de leurs militants et de leurs dirigeants. Je souhaiterai seulement, en tant que citoyen, que la Gauche accompagne son choix de candidature d’un programme crédible, réaliste et audacieux, qui ne soit pas seulement le cache vertu de la personnalisation.
Certes, on sait ce que peuvent valoir les programmes à l’aune des réalités et des nécessités. Ceux qui ont eu comme moi vingt ans en 1956 furent payés pour savoir ce que devinrent les promesses du Front Républicain par rapport à la situation algérienne. Et ceux qui ont cru au Programme commun de 1981 se souviennent de la mutation de 1983...

C’est bien pour cela que j’ai répondu à l’invitation de Paul Alliès, et que, malgré quelques soucis de santé, je suis venu à votre rencontre. Car les perspectives institutionnelles que propose la C6R et que vous préciserez encore aujourd’hui, sont une garantie fondamentale de la mise en œuvre d’un programme qui ne relèverait pas du seul bon vouloir d’une personnalité, aussi lumineuse, aussi charismatique soit-elle.
Je viens de poser la question : en quoi l’idée de République peut être un véritable élément mobilisateur pour sortir de la crise politique et morale que nous subissons ? Rappelons l’article premier de notre actuelle Constitution : 
« La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». 

Voilà, sans aller quérir ailleurs d’autres modèles, l’idée de République que la Constitution proclame, mais dont depuis longtemps la mise en œuvre a failli. Au point d’en arriver aujourd’hui à une lamentable trahison, mise au service d’intérêts personnels frénétiquement exacerbés, et d’intérêts de classe sociale froidement appliqués.

Redonner un sens aux mots de cet article premier, et redonner à ce sens une réalité, telle devrait être, me semble-t-il, la tâche citoyenne essentielle du moment.
On n’insistera jamais assez sur le fait que cette entreprise est une entreprise éthique. N’ayez pas peur du mot « morale », du mot « éthique ». Le candidat Sarkozy disait vouloir accompagner sa grande rupture sociétale par une nouvelle morale... On sait ce qu’il en est advenu. Mais il est vrai que tout changement de régime s’accompagne, plus ou moins nettement, d’un changement de morale publique. C’est pourquoi la rupture que la Gauche veut assumer doit, elle aussi, et avant tout, se réclamer d’une éthique. L’éthique du Bien commun. Dès sa proclamation le 22 septembre 1792, la première République française s’est fondée sur la notion de citoyenneté, c’est-à-dire d’adhésion volontaire à l’organisation de la polis, qui a pour finalité première la réalisation du bien commun. Le bien commun doit être notre fil directeur, dois-je dire notre fil rouge, dois-je vous dire notre fil rose ?
Cette éthique dont nous héritons, nos valeureux "tâcherons" (je dis le mot avec respect) qui assument les responsabilités d’élus locaux et départementaux la connaissent et la pratiquent bien, quelles que soient les tentations et les compromissions de la proximité. Mais cette éthique se dissout trop souvent dans la stratosphère politique, y compris la nôtre, au contact d’autres tentations et d’autres compromissions. Il faut avoir le courage de le dire. Il y a encore des hommes politiques, je devrais dire des boulets que les formations de Gauche, bon gré mal gré, acceptent de traîner au non de l’efficacité politique régionale ou nationale, et qui ne s’inscrivent pas dans cette grande espérance éthique dont nous voulons la mise en œuvre. Je pense au Langueoc, je pense à ceux qui n’ont pas hésité à déserter leurs circonscriptions où ils étaient menacés pour aller se faire élire confortablement ailleurs, dans des circonscriptions plus sûres, et qui, à l’occasion, ne négligent pas un petit clin d’œil vers le pouvoir...
Nous pourrons reprendre et préciser dans la discussion, si vous le voulez bien, le sens des adjectifs qui accompagnent le mot « République » dans cet article premier : « indivisible, laïque, démocratique, et sociale ». Mais il faut affirmer avant tout que, pour l’heure, leur mise en œuvre effective, porteuse d’avenir, procède paradoxalement d’une action défensive.
République indivisible ? Partisans de la régionalisation en responsabilité citoyenne, respectueux des multiples facettes régionales de la culture nationale, ne devons-nous pas défendre cette unité contre la menace d’une Europe des régions, qui dissolvrait la loi républicaine, valable pour tous, dans le bon vouloir de grandes féodalités...
République laïque ? Respectueux de la liberté de pensée et de croyance de chacun, dans la mesure où elle n’est pas attentatoire à autrui, ne devons-nous pas défendre cette laïcité de l’État contre la poussée des lobbies communautaristes ? Ne devons-nous pas tout faire pour renouer le lien républicain autour de l’école de la République, alors que nous constatons la désaffection croissante à son égard, non seulement dans les couches moyennes, mais dorénavant dans une partie des couches populaires, devant ce qui est ressenti comme une égalisation par le bas et une victoire de l’incivilité.
République démocratique ? Comment, dans la période que nous abordons, ne pas défendre les libertés personnelles et collectives, ne pas défendre l’égalité de tous devant la loi, ne pas accepter l’arrogance des privilèges. Comment ne pas défendre les collectivités locales, fondements de la démocratie, étranglées financièrement et bientôt administrativement...
République sociale ? Les conquêtes sociales de notre République sont le fruit de luttes populaires, concrétisées par l’aval du pouvoir politique. Mais pour l’heure, comment ne pas lutter pour empêcher que soient défaites les institutions qui font lien entre les individus et la communauté républicaine, les institutions qui ont pour visée non pas le profit de quelques-uns, mais le bien commun : sécurité sociale, retraites, services publics, éducation nationale...

Ne vous laissez pas émouvoir par ceux qui nous jugent ringards : en clamant nos espérances d’une république démocratique et sociale, nous ne serions que les buttes témoins d’une espérance morte...
À l’heure où est bafouée la devise républicaine "Liberté, Égalité, Fraternité, ne vous laissez pas émouvoir par ces intellectuels médiatisés revenus de tout, de leur tiers mondisme révolutionnaire d’antan comme de leur exaltation de la nation qui suivit, ces intellectuels ou proclamés tels qui font porter sur un peuple le poids de leurs désillusions. Comment, nous disent-ils, pouvez vous espérer que le peuple français, supposé veule, et congénitalement pétainiste, puisse se lever pour défendre vos idéaux ?
À quoi nous répondons que si la veulerie, la résignation, le repliement sur soi ont toujours existé, ont toujours existé également dans notre peuple des ferments inextinguibles de dignité et de refus de l’injustice.
À l’inverse, ne vous laissez pas culpabiliser par ceux, dans l’espérance du changement, qui opposent à vos projets de réforme institutionnelle, jugés bien techniques et presque dérisaoires, le grand coup de balai du mouvement social. Ne vous laissez pas culpabiliser non plus par l’ironie de ceux qui vous disent qu’une modification du mode de scrutin, et même quelques réformes sociales, ne suffiront pas à renverser le régime capitaliste !
Certes, vous n’avez pas la naïveté de croire que le retour aux valeurs d’une république restaurée suffirait à dompter les monstres froids des marchés. Mais vous savez que dans notre pays les grandes réformes sociales passent par la victoire politique du mouvement démocratique, mouvement qu’elles ont en quelque sorte porté. Vous savez qu’on ne maîtrise pas l’Histoire. Nous ne lisons pas dans le marc de café, car l’articulation du politique et du social est extrêmement complexe. Qui aurait pensé en 1936 que la courte victoire électorale du Front Populaire allait engendrer le formidable mouvement social, générateur de conquêtes importantes ? Qui aurait pensé que de la poignée de résistants de 1940-1941 allait sortir le programme du CNR auquel nous devons l’essentiel de nos acquis sociaux ?
Il faut mesurer la situation à la hauteur de nos espérances. Il est sans doute plus que nécessaire, pour cela, de rappeler le bilan positif des derniers gouvernements de la Gauche unie, et de la Gauche plurielle. Mais il fait aussi, sans se mortifier, avoir le courage de condamner les erreurs de ce proche passé : l’adhésion aux dogmes "libéraux", les dénationalisations, le début de la destruction du statut des services publics (la Poste, etc).
Si ce courage est assumé, vous ne vous laisserez pas impressionner par les donneurs de leçons qui se gaussent de ce programme défensif, auquel nous voulons donner la garantie d’une réforme constitutionnelle.

Rappelons-nous les espérances de nos rouges républicains de 1848-1851, qui portaient fièrement le beau nom de Démocrates Socialistes. Ce sont eux qui surent gagner à la cause de la République démocratique et sociale la majorité électorale de bien des départements. Et ce malgré l’ironie de Cabet, qui préféra tenter l’aventure icarienne communiste en Amérique, et ce malgré l’ironie de Proudhon qui jugeait le combat politique bien secondaire au regard de l’entreprise associative...
Ce sont ces Démocrates Socialistes qui se levèrent en décembre 1851 contre le coup d’État du Prince Président. Ils se levaient pour défendre une Constitution dont ils mesuraient tous les défauts. Mais ils levaient aussi le drapeau de la République démocratique et sociale, celles que nos Rouges du Midi appelaient "la Bòna, la Santa".. En tentant d’assurer le présent, ils ouvraient sur l’avenir. Puisse leur exemple nous inspirer.
Je vous remercie.

[2] Cf. - René Merle - À propos du régime présidentiel - 2003
[3] Cf. - René Merle, participation à la table ronde de la C6R sur l’actualité du "Coup d’État" permanent, Jarnac, 2004

Ce texte est également accessible sur le site de René Merle, ainsi que de nombreux autres concernant notamment les questions institutionnelles.

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