C’est l’adresse, empruntée au Marquis de Sade qui la destinait aux Français depuis sa section des Piques en 1793, qu’on a envie de lancer aux socialistes à la lecture de leur projet pour ce qui concerne les institutions.
Un dernier et vaste chapitre (7 pages) intitulé "Renouveler notre
démocratie" s’emploie à faire le tour des distorsions qui handicapent
gravement la V° République. Le propos est ambitieux puisqu’il avertit
qu’"en 2012, il ne faudra pas seulement rétablir une démocratie
institutionnelle équilibrée (mais) une démocratie plus représentative,
plus responsable, plus transparente, plus participative".
L’ensemble est indéniablement mieux organisé et autrement cohérent que le funeste rapport présenté Manuel Valls l (voir notre analyse faite ici) qui avait
tourné à une plate défense du régime en place lors du Forum sur les
institutions le 2 février dernier. La critique qui en été faite par un
large spectre (allant de Benoit Hamon à François Rebsamen) de dirigeants
du parti a, d’évidence guidé la sobre écriture qui nous est proposée
aujourd’hui.
Mais sa lecture laisse une impression de demi-mesure bien
faite pour satisfaire toutes les nuances sur la très sensible question
du changement de République. L’espoir demeure de petits arrangements
avec la Constitution de 1958 et rien n’est dit sur le pourquoi et
comment devrait advenir une 6° République.
Cet entre-deux est partout.
La proportionnelle est maniée comme un baril de
nitroglycérine : pour l’élection des sénateurs on l’utilisera pour les
Départements qui comptent trois sénateurs au lieu de quatre aujourd’hui.
Pour l’Assemblée Nationale elle sera "dosée", sans autre précision. Il y
aura donc un "nouveau découpage" : sur quelles bases, selon quels
principes et avec quelles méthodes ? On a eu l’occasion de dire ici
récemment combien cela importait dans un système qui voudrait respecter
la démocratie électorale. Il faudra attendre pour savoir.
Sur ce registre, Mediapart a cru devoir saluer la reconnaissance du votre
blanc. Il n’en est rien puisqu’il sera simplement "comptabilisé
séparément". C’était déjà l’objet d’une proposition de loi du député UDF
Jean-Pierre Abelin qu’avait votée l’Assemblée nationale le 30 janvier
2003 mais pas le Sénat. Autre chose est de considérer le vote blanc
comme suffrage exprimé et ce n’est pas du tout ce qui est dit.
Viennent ensuite d’antiques revendications : le droit de vote des étrangers en
situation régulière aux élections locales ; l’interdiction du cumul d’un
mandat parlementaire et d’une fonction ministérielle avec une
responsabilité exécutive locale. Si le texte annonce l’intention de
limiter le cumul horizontal des rémunérations "adjacentes" (des
syndicats intercommunaux par exemple), il ne dit pas un mot du cumul
dans le temps qui est une vraie plaie bien française. Sous cet angle le
texte est nettement en deçà de ce que contenait celui voté le 3 juillet
2010 par la Convention sur la rénovation.
Autre revendication ancienne : le mode de désignation des membres du Conseil Constitutionnel sera aménagé avec un vote à la majorité des trois cinquièmes du Parlement, les anciens présidents de la République n’en étant plus membres, et sa composition devenant paritaire (voilà du nouveau).
Enfin la Cour de justice de la République sera supprimée et les ministres seront jugés par les juridictions de droit commun.
Il est un terrain où les avancées sont réelles bien que très mesurées,
c’est celui de la démocratie participative. Le Conseil Economique,
Social et Environnemental "pourra organiser des jurys citoyens" dont
certains (citoyens) seront "tirés au sort". Si on se souvient des
sarcasmes et indignations qu’avait suscité chez les dirigeants du parti
la proposition faite par Ségolène Royal en 2006, on mesurera les progrès
accomplis. Ils vont avec la promesse de création de sites de grands
débats publics sur Internet et celle de simplifier l’usine à gaz du
"Référendum d’initiative partagée" qu’un million de pétitionnaires
pourront faire aboutir (introduit dans l’article 11 par la réforme de
2008 il attend toujours les textes d’application).
Des dispositions de bon aloi sont prévues pour "renforcer le rôle d’impulsion, d’évaluation et de contrôle du Parlement" avec de nouveaux droits pour l’opposition (droit de tirage pour la réunion de commissions ; contre-rapporteur sur les textes législatifs) ainsi que des quorums de présence en commissions et en séances.
Mais le noeud gordien de la V° République reste intact : si les socialistes
veulent "responsabiliser le pouvoir exécutif" on reste pantois devant la
pauvreté des moyens qu’ils y mettent. Ainsi souhaitent-ils restaurer le
discours d’investiture du Premier ministre en début de session. Il est
tombé en désuétude sous la V° République pour ce qu’il avait d’important
à savoir le vote qui le suivait (l’article 49 al. 1 l’a rendu
facultatif) ; mais ce vote qui permet de fonder un contrat de
législature entre le gouvernement et sa majorité n’est toujours pas
prévu.
Et le flou reste parfaitement artistique sur l’organisation de la
responsabilité politique dans le système. Certes le Président se verra
appliquer un "droit de destitution" et ses "pouvoirs seront mieux
délimités". Lesquels ? Comment ? Par qui ? Pour quoi ? Silence total.
Même l’article 16 semble rester partiellement en vigueur puisque
curieusement seul le 3° paragraphe doit être "proscrit".
Le chantier d’une refondation démocratique de la République reste donc
entièrement ouvert et ce n’est pas un débat de juristes ou d’experts
tant la question institutionnelle est partie intégrale de la question
sociale comme le pensait Pierre Mendès-France.
Le présidentialisme a inexorablement rongé la gauche au point que le seul président qu’elle ait porté au pouvoir l’avouait crûment : "Ces institutions étaient dangereuses avant moi et le resteront après moi" disait d’expérience
François Mitterrand au soir de son deuxième septennat. Le Projet
socialiste esquive encore une fois ce fait objectif et historique. La
campagne des Primaires sera donc l’occasion de le dépasser.
Pour l’instant un seul candidat, Arnaud Montebourg a expressément mentionné la nécessité d’une 6° République comme nécessaire mobilisation populaire et indispensable démocratisation du pouvoir en France. Gageons qu’il sera rejoint par d’autres candidats de gauche qui imposeront alors au
Parti socialiste la réforme qu’ils n’imaginent pas pour devenir de vrais
républicains.
5 Messages