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Convention pour la 6ème République

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Pourquoi l’élection présidentielle en France est-elle si singulière ?

Transcription d’une conférence de Paul Alliès du 26 janvier 2022

mardi 8 février 2022, par Paul ALLIES, Bernard VIVIEN

Nous reproduisons ici la retranscription d’une conférence de Paul Alliès prononcée dans le cadre de l’UTT à Montpellier le 26 janvier dernier. Sa lecture est une occasion de prendre un peu de recul pour mieux comprendre pourquoi l’élection présidentielle en France, sous le régime de la V° République, est unique mais surtout la source de beaucoup de maux pour la démocratie.
Et ce n’est pas le déroulement actuel d’une campagne de premier tour sans véritables débats démocratiques qui peut nous rassurer.
Celles et ceux qui connaissent la position constante de la Convention pour la 6° République sur le régime présidentiel français pourront y trouver peut-être des arguments supplémentaires.à argumenter. Pour les autres la lecture de ce texte est une bonne introduction à celle des Trente propositions actualisées disponibles sur le site.
Bernard Vivien

Pourquoi l’élection présidentielle en France est-elle si singulière ?

C’est un scrutin parfaitement unique en regard de toutes les autres élections, aussi bien en France qu’en Europe. Ses effets sont dévastateurs pour la démocratie, représentative ou autre.

Singulière, l’élection présidentielle l’est doublement : par rapport à tous les autres scrutins en vigueur en France ; mais aussi par rapport à tous les autres pays qui pratiquent une élection à l’identique.

1 - En France, une élection « mère des batailles ».

Elle s’inscrit dans la tradition bonapartiste des plébiscites : depuis celui du 1802 par lequel Bonaparte devient Consul à vie (conduisant à celui de 1804 instaurant l’Empire) jusqu’à l’élection de Louis Napoléon Bonaparte le 10 décembre 1848 (conduisant au coup d’Etat du 2 décembre 1851). A chaque fois, la République disparaît, au point que l’élection au suffrage universel direct d’un président restera proscrite jusqu’en 1962. Dans la pratique de la V° République, cette élection produit au moins six effets pervers :

 Le mode de scrutin (majoritaire uninominal à deux tours) avec deux seuls candidats arrivés en tête au premier tour, conduit au deuxième tour, à un vote dit « utile » ou « de barrage » : on vote contre le candidat que l’on veut éliminer. Ce qui n’empêche pas l’élu de se poser ensuite comme celui qui représente « tous les Français » et bénéficie de l’adhésion de la majorité absolue d’entre eux. Ainsi en 2017, E. Macron n’avait recueilli que 24% des suffrages exprimés au 1° tour, mais 66% au 2° tour contre M. Le Pen. Il s’imagina aussitôt « en Jupiter ». De l’art d’arriver au pouvoir avec un très faible soutien des citoyens.

 La présidentielle, bataille suprême, détruit ainsi les élections législatives qui la suivent (surtout depuis l’instauration du Quinquennat par référendum -70% d’abstentions- le 24 septembre 2000, et l’inversion du calendrier électoral par Lionel Jospin avec la loi du 15 mai 2001). L’Assemblée nationale qui en sort est peuplée (selon le bon mot d’un syndicaliste CFDT Cheminots), de « Playmobil » du Président. Autrement dit, cette « loi majoritaire » la prive des moyens que lui donne la Constitution.

 La campagne produit une schématisation des enjeux, loin des vraies questions qu se posent pour l’avenir du pays (l’immigration plutôt que la santé, l’éducation, le logement et l’urbanisme, la crise climatique). C’est l’effet d’une nationalisation excessive des débats (l’oubli des revendications des Gilets jaunes consignés dans leurs Cahiers de doléance, en témoigne).

 L’échange public et contradictoire, apanage de la démocratie délibérative, devient impossible. Le Président-candidat refuse de participer au moindre débat (en donnant un spectacle irréel sur une scène étrangère, tel E. Macron au Parlement de Strasbourg le 19 janvier avec Y. Jadot). Reste la caricature du monologue élyséen avec les journalistes, en tête-à-tête ou en conférence de presse, incongruité planétaire.

 L’espace politique dès la campagne, est ainsi colonisé en amont et tout le long, par les médias audio-visuels et les instituts de sondage, auxquels les réseaux sociaux et les influenceurs font caisse de résonnance. Il en ressort une hyperpersonnalisation de ce champ concourant à la disqualification des organisations collégiales y compris à gauche (le Parti de Gauche remplacé par J.L. Mélenchon). Les candidats sont requis de « faire président » (de « parler régalien » plutôt que démocratie) pour coller le plus possible à l’image fantasmée de celui-ci (A. Montebourg et sa « sévérité républicaine » en sait quelque chose).

 Les partis et mouvements s’organisent entièrement par rapport à cette élection. Jusqu’à négliger les autres, dites « intermédiaires » (cf. La République en Marche et les élections municipales en 2020 ; la France Insoumise et les régionales/cantonales en 2021). Leurs « stratégies » se réduisent à des calculs pour leur meilleure survie possible après l’élection (les divisions et la compétition au sein de la gauche pour « que le meilleur perde »[1], en sont une illustration. A l’extrême-droite, ce n’est pas mal non plus).

Cette élection singulière continue à être considérée comme « la mère des batailles ». Ses effets dévastateurs sont suffisamment avérés pour la remettre en cause. Ce qu’ont fait tous les pays européens qui s’en sont inspirés.

2 – En Europe, une élection sans équivalent.

L’UE compte 27 Etat-membres (dont 6 monarchies constitutionnelles où un Premier ministre gouverne). 13 élisent (en plus de la France) leur Président de la République au suffrage universel direct. Aucun ne connaît la distorsion présidentialiste observée en France.

Cinq pays ont eu recours à cette procédure au sortir de la guerre (entre 1944 et 1956), pour des raisons très locales : l’Islande, l’Autriche, Chypre, l’Irlande, la Finlande.

Huit autres se sont par contre inspirés du système français de 1962. Il leur est apparu comme un moyen rassurant au sortir de leurs dictatures : Le Portugal en 1976, la Pologne en 1990, suivis de la Roumanie, la Bulgarie, la Slovénie, la Slovaquie, la Lituanie, la République Tchèque. Mais ce système s’est rapidement transformé dans les deux pays-pilote.

 Au Portugal le premier Président (le général Eanes) a tenté d’utiliser son élection au suffrage universel direct contre le Premier ministre. Après quelques révocations et plusieurs dissolutions de l’Assemblée nationale, la Constitution est révisée (en 1982) de telle sorte que le Président voit le périmètre de ses compétences réduit, et qu’il n’y ait plus de simultanéité entre les deux scrutins législatif et présidentiel. Le premier ministre responsable devant sa majorité parlementaire, exerce la réalité du pouvoir exécutif.

 Même scénario en Pologne : Walesa, premier président de la République a être élu au suffrage universel direct en 1991 en profite pour concentrer les pouvoirs et entre en conflit avec le Parlement. La Constitution, révisée en 1997 restreint son rôle et ses pouvoirs, en renforçant ceux du Premier ministre.

La présidentielle française a donc fonctionné, comme un modèle transitoire, pour sortir de l’hypercentralisation, militaire ou bureaucratique, du pouvoir en Europe du Sud et de l’Est.

Mais la France est restée le seul pays où ce scrutin a conduit à conférer le maximum de pouvoir et d’irresponsabilté à un seul homme. Ce n’est donc pas parce que le président de la V° République y est élu au suffrage universel qu’il joue le rôle que l’on sait, c’est parce qu’il joue ce rôle qu’il est élu au suffrage universel. Dans aucun des treize pays membres de l’Union Européenne qui connaissent cette même élection, celle-ci ne conduit à une concentration et centralisation du pouvoir comme chez nous. Au contraire même, les présidents ainsi élus y gagnent une magistrature d’influence ou d’arbitrage, ce qui leur laisse de réels pouvoirs politiques et constitutionnels, notamment celui d’être un contre-pouvoir au sein de l’Exécutif.

En France, ce sont les institutions mises en place en 1958 qui organisent l’invasion de ces différents pouvoirs, de celui du Premier ministre (un « collaborateur » disait Sarkozy à propos de Fillon) jusqu’à celui des médias, au profit d’un seul d’entre eux, celui de la Présidence.

C’est cette présidentialisation de l’autorité qui suscite un désenchantement démocratique cyclique : les citoyens ont tendance à se montrer déçus par l’exercice d’une telle puissance et le ressentiment augmente d’élection en élection. C’est que les leviers de la souveraineté nationale se sont considérablement affaiblis sous l’effet de l’intégration européenne, de la mondialisation, de la décentralisation mais aussi de la révolution de l’information. Autre conséquence : les Français battent les records de la défiance institutionnelle dans l’Union Européenne. Seulement 29% des Français ont confiance dans le Parlement et 36% dans la Présidence de la République. Nous sommes ainsi au plus bas des classements de l’UE, avec la Pologne, la Slovénie et la Roumanie[2]. Ces résultats ne concernent que les institutions politiques. Les théories du complot se nourrissent de cette défaillance.

Elle se manifeste par la désaffection croissante vis-à-vis de tous les scrutins, des Municipales aux Européennes. Là aussi la France bat les records de l’abstention généralisée. Sauf pour les Présidentielles ? Depuis 1981 les finalistes du 2° tour sont passés sous la barre des 50% des inscrits. En 2017, le vote pour E. Macron ne représente que 43,61% des inscrits ; Le Pen 22,36%. Et s’y ajoutent 11,5% de Blancs ou Nuls., 25,44% d’abstentions, là encore un record. Les ouvriers et employés, les travailleurs précaires, les jeunes (de moins de 35 ans) ont déjà déserté ces urnes en nombre[3]. Cette abstention favorise les droites, républicaines et de plus en plus extrêmes.

Cette élection présidentielle est donc devenue parfaitement exotique et anachronique. L’idée qu’elle serait irrémédiablement populaire, ne résiste pas à l’analyse. Pour l’oublier, tous les candidats, y compris à gauche, cèdent à une manie rituelle : faire référence au général De Gaulle, comme incarnation d’une idéal à reproduire. Au lendemain des obsèques du Général, Yvonne sa veuve, avait fait brûler les vêtements et même le lit de son mari afin qu’on ne puisse exposer aucune relique. Remarquable mais vain effort.

A l’heure des réseaux sociaux, de la démocratie participative, de l’interactivité et de l’échange horizontal des connaissances et volontés, cette mobilisation verticale est névrotique (elle suscite des troubles émotionnels dont les citoyens ne peuvent se défaire jusqu’à souhaiter l’avènement d’un régime autoritaire). Le temps long de l’histoire de France peut aider à comprendre que l’homme providentiel soit devenu indispensable aux Français[4]. Ce n’est pas une excuse à la régression démocratique qu’incarne paradoxalement cette élection. En sortir exige un engagement fort des candidats dans cette séquence. On n’en a pas, pour l’instant pris le chemin.

[1] Titre de l’ouvrage, resté d’actualité, de Frédéric Bon et Michel-Antoine Burnier, Que le meilleur perde. Eloge de la défaite en politique. Balland, 1986.

[2] Enquête comparative « European Values Study », citée par Antoine Bristielle, A qui se fier ? L’Aube et Fondation Jean Jaurès, 2021

[3] Tristan Haute, Vincent Tiberj, Extinction de vote ? PUF-La Vie des Idées, 2022

[4] Patrice Gueniffey. Napoléon et De Gaulle, deux héros français. Perrin, 2017

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