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SARKOZY A-T-IL SAUVE L’EUROPE ? Un retour sur la rencontre-débat organisée par le Café Citoyen de la C6R, le 7 juin dernier à Montpellier.

jeudi 19 août 2010

Quel bilan peut-on faire du rôle joué par la France au sein de l’union européenne, à mi-mandat présidentiel ? Renforcement d’un « trépied France-Allemagne-Grande-Bretagne et présidence française au cours du deuxième semestre 2008, rapports nord-sud et union pour la méditerranée, rapports est-ouest et droits de l’homme, qu’est-il advenu des « ambitions » européennes affichées par le candidat Nicolas Sarkozy en 2007 ?

On trouvera ici pour l’essentiel l’intervention introductive de Paul ALLIES, Professeur de science politique (Université de Montpellier I ) et Président de la C6R.

Sur la question européenne comme sur le reste Nicola Sarkozy (NS) avait affiché, pour son élection en 2007, une volonté de « rupture ». Elle devait se faire sur trois plans : d’abord et avant tout dans la construction d’un « nouveau trépied » de trois Etats sur lequel devait se construire l’UE : l’Allemagne et la France bien sûr mais aussi et surtout la Grande-Bretagne. Ensuite la France devait donner l’exemple de nouvelles relations avec l’Europe centrale et donc d’un « dialogue franc » avec Moscou. Autrement dit il s’agissait de « placer les droits de l’Homme au cœur de la diplomatie » entre l’est et l’ouest du continent. Enfin une Union pour la Méditerranée devait remodeler cet espace géopolitique majeur pour les rapports Nord-Sud.
A mi-mandat, il est aisé de constater que ces trois objectifs ont été revus à la baisse si ce n’est abandonnés. La présidence Sarkozy risque fort de se solder par une régression de la politique française dans l’UE.

1 - Un nouveau moteur européen ?

En 2007, Tony Blair et Georges W. Bush sont l’horizon de NS au détriment d’Angela Merkel. Cela correspond à une vision idéologique : il espère importer le modèle anglo-saxon sur le continent et donner des gages aux Etats-Unis. Cela passe par le retour de la France dans le commandement intégré de l’Otan, sans contreparties, ni sans demander un rééquilibrage entre l’Europe et les EU au sein de l’Alliance atlantique. Alors que celle-ci s’était formée pour contrer une menace soviétique et que l’URSS a disparu, cette réintégration s’est faite sans le moindre débat sur les nouvelles missions de l’Alliance. La France, en tant que pays indépendant a ainsi perdu l’occasion d’assurer un certain leadership sur de nouveaux rôles de l’Europe dans le monde au moment même ou l’Amérique d’Obama s’intéresse plus à l’Asie et aux pays émergents qu’à elle.
Finalement le deuil de l’axe Paris-Londres a été vite fait : le 30 octobre 2009 quand NS commente les conclusions du Conseil européen qui vient d’adopter le Traité de Lisbonne, il rend hommage « à la présidence allemande de l’Union » qui, dès le premier semestre 2007 avait ouvert le chantier du nouveau traité. Et il célèbre l’accord franco-allemand sur les candidatures pour la présidence du Conseil et le Haut représentant pour la politique extérieure de l’UE. On est donc bien vite revenu au grand classique du couple franco-allemand même si c’est avec des résultats limités (voir les personnalités choisies : le Belge Herman Von Rompuy et l’Anglaise Catherine Ashton). En fait NS a dû prendre en compte le nouveau rapport de force établi avec la crise financière de 2008 : l’Allemagne a toujours refusé d’enterrer le traité de Maastricht au motif de cette crise ; et alors que la France a donné le mauvais exemple du non-respect de la limitation des déficits publics à 3% du PIB et de l’endettement à 60%. Angéla Merkel, confortée par sa réélection à la tête d’une coalition cohérente impose sa vision monétariste en s’appuyant sur une BCE dont la France voulait réduire l’influence. On l’a bien vu sur la gestion du dossier grec. Il reste le principe d’un « gouvernement économique » de l’Europe que NS a fait accepter au dernier sommet sans que, pour l’instant on en ait vu la traduction concrète.
Au fond, ce qui est cause avec ce premier échec c’est la conception traditionnelle d’un « moteur » ou d’un « directoire » que la France a toujours cherché à imposer comme mode de gouvernement de l’UE et que NS a reproduit sans la moindre rupture. Elle relève d’une vision « verticale du pouvoir » de plus en plus éloignée de la culture européenne du compromis, du consensus et de la négociation qui s’impose de fait dans une Union à 27 Etats-membres. Le défaut de cette vision est bien apparu dans la présidence française exercée par NS durant le deuxième semestre 2008.

2 - Un nouvel équilibre Est-Ouest ?

Faisant son propre bilan à la fin 2008, NS n’hésitait pas à déclarer : « J’ai remis l’Europe sur les rails ». Il revendiquait ainsi la réussite apparente de la gestion de la crise entre la Georgie et la Russie en août de la même année. Il incitait à penser que son style volontariste allait de pair avec la promotion de l’UE en authentique acteur diplomatique sur la scène internationale (ce qu’on sait qu’elle n’est pas). En réalité cette intervention dans une guerre entre deux Etats tiers conclue par un cessez-le-feu « européen » s’est payé d’un prix élevé : l’absence de la moindre référence à « l’intégrité territoriale » de la Géorgie ; le silence sur les conditions d’application de la paix et leur non-respect par la Russie (qui d’ailleurs maintient toujours des troupes en Ossétie du Sud et en Abkhazie pour mieux reconnaître « l’indépendance » de ces territoires). C’est donc la première fois, depuis la chute du Mur de Berlin que Moscou a pu modifier les frontières d’un Etat indépendant sans que l’UE puisse l’en empêcher. Au final, NS n’a pas seulement changé d’ « ami » en préférant Vladimir Poutine à Dimitri Medvedev, certes singulièrement maladroit dans cette affaire. Il a surtout renoué avec la plus traditionnelle « realpolitik » sacrifiant les droits de l’Homme et les critères démocratiques aux intérêts des grandes puissances.
Le style Sarkozy dans cette présidence a ainsi profondément exaspéré les partenaires de l’UE, à commencer par l’Allemagne. L’idée s’est installée que la France faisait prévaloir la diplomatie nationale sur la diplomatie européenne, en imposant la sienne propre à tous les autres Etats de l’Union. C’est la conviction ancienne que l’Europe doit d’abord être celle des chefs d’Etat et de gouvernement, en particuliers des plus puissants. A l’issue de la présidence française, NS a renté de court-circuiter la présidence tchèque qui prenait le relais en prétendant présider l’Eurogroupe en 2009 puis en effectuant début janvier 2009 un voyage en Israël au nom de l’UE. Même la Suède qui devait succéder aux Tchèques était considérée comme n’étant pas à la hauteur des ambitions européennes reprofilées par NS.
En France, cette présidence de six mois a fait scandale. La Cour des comptes a chiffré en octobre 2009 son coût exorbitant : 171 M€ soit 1M€ par jour de dépenses. On a donc pu parler de « présidence-spectacle » dont le coût n’avait aucun rapport avec les résultats. C’est le même constat qui allait être fait sur l’autre grand projet européen de NS : l’Union pour la Méditerranée.

3 - De nouveaux rapports Nord-Sud ?

L’UPM a fait l’objet d’une exceptionnelle promotion le 13 juillet 2008 à Paris : 43 chefs d’Etat et de gouvernements (incluant ceux d’Israël et de la Palestine) se s’y sont rassemblés pour consacrer le grand projet voulu par NS, devant 1.900 journalistes. Là encore la dépense fut énorme : 16,6 M€, soit deux fois l’ensemble des frais engagés pour les 11 autres sommets internationaux tenus entre le 4 octobre et le 1° décembre 2008 (et 32 fois le coût du G20 à Washington le 15 novembre). C’était surtout la moitié du budget alloué par l’UE pour 2010 au financement de l’UPM. 
Dès l’origine ce projet fut obéré par une dimension nationale envahissante. La France en effet prétendait relancer le « processus de Barcelone » (Euromed) crée en 1995 pour favoriser le développement des pays méditerranéens. La question palestinienne l’avait bloqué ; c’est dire si la dimension macro-internationale avait pesé sur cette ambition et elle demeurait entière 13 ans plus tard. Aussi l’idée de la porter à un niveau plus élevé encore (celui d’une « Communauté du monde méditerranéen ») avait été avancée en 2005 aussi bien par des Français (de gauche comme Jean-Louis Guigou) que des Grecs (le ministre des finances Panagiotis Roumenotis). NS la récupère en 2008 en la fondant sur un malentendu fondamental. Dans son discours de Tunis le 29 avril 2008 il reprend les stéréotypes neo-coloniaux de la France en proposant que ceux qui ont « beaucoup d’intelligence et de formation » (les Français), forment « la main d’œuvre des pays du sud de la Méditerranée ». En outre il assigne des objectifs très politiques à cette nouvelle Union, notamment arrimer la Turquie à l’Europe sans l’inclure dans l’UE mais aussi assécher les flux migratoires en provenance du Maghreb et même de faire coopérer les Arabes avec les Israéliens. Tout cela a d’abord provoqué la réaction de l’Allemagne qui a imposé que cette entreprise soit placée sous l’égide de l’UE. Ensuite l’UPM a été ramené à cinq projets (sur plus de 200 à l’origine) : depuis la construction d’une autoroute du Maghreb (de la Mauritanie à la Libye) jusqu’à la dépollution de la mer Méditerranée à l’horizon 2020 (décidée depuis 1975 sous l’égide de l’ONU). Le problème est celui du financement : ayant bouclé ses équilibres financiers jusqu’en 2013, l’UE n’a pas affecté d’engagements importants à l’UPM. C’est ce que remarquait le président algérien au sommet de Paris ; et Angéla Merkel a fixé à 13 Milliards d’€ le maximum possible, ce qui était notoirement insuffisant. Mais ces questions budgétaires ont été dépassées par les difficultés politiques. Le 4 novembre 2008 à Marseille, l’UPM s’est dotée d’une co-présidence franco-égyptienne pour deux ans et son siège a été fixé à Barcelone pour bien marquer la continuité avec Euromed. Le projet le plus important était celui de l’eau. Il vient de s’enliser lors de la réunion de l’UPM à Barcelone en ce début avril 2010 : il n’a pas résisté à la guerre de Gaza et au refus des pays arabes de discuter avec le ministre d’extrême droite israélien Avigdor Liberman. Le fait que NS ait par ailleurs réorienté la position de la France en faveur d’Israël n’a évidemment pas facilité les choses. Et Bernard Kouchner, le ministre français des Affaires Etrangères a officiellement reconnu cet enlisement ; il a parlé de la nécessité de « relancer » l’UPM qui est en fait une coquille vide.
Ce qu’on peut déjà qualifier d’échec a une conséquence très importante : l’UPM était le principal outil de NS pour tenir à distance la Turquie. Il a fait campagne, sous la pression de l’extrême-droite, contre l’entrée de ce pays dans l’UE « à n’importe quel prix ». Or la Turquie est un pays francophile dont les élites sont assez largement francophones avec une économie et une industrie congruentes avec le marché français. La France devient malgré ce le principal ennemi de ce pays dans l’UE. Et sans l’UPM il n’y a aucune politique de voisinage crédible avec lui.

Le bilan de la politique de NS vis-à-vis de l’UE est donc singulièrement problématique. Un dernier aspect en témoigne, celui de l’organisation de la Présidence sur le dossier européen. NS s’est entouré dés 2007 de deux conseillers spéciaux qui incarnent deux conceptions diamétralement opposées de la construction européenne : Henri Guaino, souverainiste (nationaliste) et opposant de longue date aux traités comme aux élargissements de l’UE ; Jean-Pierre Jouyet, social-démocrate et partisan de l’intégration européenne comme de la Turquie dans l’UE. Ce dernier a démissionné en décembre 2008 sans être vraiment remplacé si ce n’est par des personnalités de moindre envergure (Bruno Le Maire d’abord, Pierre Lellouche ensuite, partisan de la guerre en Irak, très proaméricain et donc hostile à l’idée d’une alternative européenne quelconque aux Etats-Unis). Si bien qu’au bout de deux ans de mandat seulement il n’est pas exagéré de dire que NS n’a pas de vision claire d’un avenir à proposer à l’UE, ni non plus d’une Union qui serait autre chose qu’une réunion d’Etats forts ».

Aujourd’hui force est de constater que l’on n’entend plus guère les voix fédéralistes. Cette analyse a fait consensus lors du débat dont il ressort que la crise de l’union européenne serait peut-être à la fois inéluctable et salutaire, pour que reprenne la construction d’une Europe qui soit non plus une « réunion d’Etats forts » mais une Europe de conception fédérale.

Le prochain Café Citoyen, le dernier avant les vacances d’été aura lieu le 18h30 le lundi 28 juin 2010 au Baloard à Montpellier : au menu la question du mandat unique.

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