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Une réforme des collectivités locales pour institutionnaliser un "coup de force" de l’UMP

Paul Alliès était l’invité de la C6R-13 le 9 décembre 2009

lundi 4 janvier 2010

Réforme des Collectivités locales : un retour de l’autoritarisme !

Dans le cadre, propice aux débats intellectuels, de la librairie les Arcenaulx à Marseille, la C6R-13 a reçu Paul Alliès le mercredi 9 décembre 2009.
Notre Président national était interrogé sur l’objectif gouvernemental de réformer les collectivités locales.

Avec le brio et la pédagogie percutante qui le caractérisent, il a démonté le projet et surtout ses arrières-pensées, qui visent à amputer les collectivités élues d’une grande part de leurs possibilités de rendre service aux citoyens.

Le débat avec la salle - une quarantaine de présents - a permis à chacun de repartir nanti de renseignements propices à une information large autour de nous ; à noter l’apparition de personnes nouvelles ainsi que la présence - active - du Maire (sans étiquette) de Plan de Cuques.

Albert-Jean Morazzani

Résumé de l’intervention de Paul Alliès à Marseille le 9 décembre 2009.

REFORME DES COLLECTIVITES LOCALES : UN RETOUR DE L’AUTORITARISME

Cette réforme annoncée le 21 octobre par le Ministre de l’Intérieur s’avère d’une grande complexité. L’absence de concertation et l’amateurisme pourraient cacher une volonté tout bêtement politicienne ; mais elle pourrait mettre en cause des principes fondamentaux de la République. La réforme est à trois dimensions : électorale, territoriale, fiscale.

1 - La réforme électorale :

L’effet d’annonce porte sur la réduction de 6000 à 3000 conseillers généraux et régionaux. Les mêmes siègeront à la fois au Département et à la Région. Cela conduira à un nouveau redécoupage de la carte actuelle des 4000 cantons en nouvelles circonscriptions de 20.000 habitants en moyenne chacune (des super cantons). La « perspective » c’est 12 à 15 « conseillers territoriaux » par Département. Les effectifs seront fixés par ordonnance dans le délai d’un an après la promulgation de laloi. C’est donc une première grande inconnue sauf que les Conseils régionaux risquent fort de devenir pléthoriques.

Mais le plus problématique est le mode de scrutin. Il sera majoritaire uninominal à une tour pour 80% des sièges à pourvoir et proportionnel et de liste pour les 20% de sièges restant qui seront attribués aux non élus dans le cadre départemental. La complexité saute aux yeux ; l’énormité non : ce mode de scrutin risque fort d’accoucher d’une assemblée dont la majorité des élus sera faite de minoritaires en voix. Dans un tour unique, celui qui atteint une voix de plus que son concurrent est élu ; vu le grand nombre de candidats, 20% à peine peuvent ainsi suffire pour rafler le siège au scrutin majoritaire. Et comme il suffit d’atteindre les 5% pour avoir des élus au scrutin proportionnel, l’élection d’une assemblée de minoritaires est très probable. Ce sera une grande première dans la République. Peut-être vaudrait-il mieux restaurer le suffrage censitaire ?

Cette réforme emporte quatre inconstitutionnalités qui pourraient la remettre gravement en cause :
  Le scrutin majoritaire uninominal à deux tours est un Principe Fondamental reconnu par les Lois de la République (voir la démonstration par Guy Carcassonne dans Libération du 11 novembre 09). Le Conseil Constitutionnel aura l’occasion de le confirmer.
  La parité qui est forte dans les Conseils régionaux sera réduite aux 20% de sièges pourvus à la proportionnelle. Or c’est un principe constitutionnel.
  Le principe de libre administration des collectivités locales par des conseils élus, aucune ne pouvant exercer une tutelle sur une autre est inscrit à l’article 72 de la Constitution. Il sera violé par la confusion des deux assemblées départementale et régionale.
  Enfin aucune assemblée ne peut être formée majoritairement d’élus minoritaires.
Officiellement ce grand chambardement est fait pour des raisons d’économie. Mais les dépenses occasionnées par les mandats des élus locaux concernés sont estimées entre 0,002% (indemnités des conseillers généraux et régionaux) et 1,2% (charges de cabinet et de fonctionnement). En fait il s’agit bien d’un calcul étroitement politicien et électoral. L’UMP est forte dans les premiers tours quels qu’ils soient car pour l’instant elle a fédéré la quasi-totalité des formations de droite jusqu’à de Villers. Mais elle n’a pas de réserves pour un deuxième tour et elle est minoritaire en voix. Un exemple : dans les 35 élections cantonales partielles qui ont eu lieu depuis le 1° janvier 2008, le candidat UMP arrivé en tête au premier tour l’aurait emporté dans 8 cantons qui ont été acquis par la gauche au deuxième tour. Cette réforme est faite pour expérimenter ce coup de force et essayer de l’étendre au scrutin législatif. Elle institutionnalise le cumul des mandats au moment même où beaucoup de partis se prononcent pour le mandat unique.

2 - La réforme territoriale.

L’effet d’annonce c’est la simplification de la carte territoriale et la redéfinition des compétences.
La tâche pourrait ne pas être mince puisqu’elle concerne 36 682 communes, 16 000 structures intercommunales, 101 Départements, 26 Régions. Mais rien de clair n’est dit là-dessus si bien que tout se ramène à une remise en ordre de l’intercommunalité sous le contrôle du préfet
Les syndicats intercommunaux et les Pays seront supprimés. Les structures intercommunales seront maintenues comme des Etablissements Publics de Coopération et ne deviendront pas des collectivités de plein exercice. Les « délégués communautaires » des communes de plus de 500 habitants seront « élus par fléchage » et non au suffrage universel direct. Les Métropoles (nom des agglomérations de plus de 450.000 habitants) n’ont aucun statut spécifique et leurs politiques publiques ne sont pas distinguées ; ce qui va aggraver la confusion des compétences et nuit à leur possible efficience vis-à-vis des programmes européens. Rien n’est dit sur les administrations déconcentrées de l’Etat dont certaines sont aussi la cause de doublons et de confusions dans la gestion locale.

L’étonnant c’est que rien n’est dit justement sur cette clarification des compétences qui justifie par ailleurs la réforme. Le problème en France n’est pas le trop grand nombre d’échelons territoriaux (qui se retrouve souvent en nombre égal chez nos voisins) mais le nombre de collectivités y compris l’Etat qui intervient à chaque échelon. Dans cet ensemble, la Région est restée bridée à un niveau de grande faiblesse, aggravant le retard européen de la France en Europe.Or la création de conseillers territoriaux va la « cantonaliser » encore un peu plus.

La loi renvoie à une autre loi votée dans le délai de 12 mois pour en savoir plus une fois posés deux principes : une compétence par collectivité (si une compétence est partagée, il faut désigner un chef de file) ; toute collectivité devra financer 50% d’un projet qu’elle veut réaliser.

Ces principes se heurtent à une réalité plus prosaïque : 90% des budgets des Départements et Régions sont affectés aujourd’hui à leurs dépenses propres. Les blocs de compétence existent déjà, mais ils ne sont pas tous reconnus par la loi. Les 10% restant en partage concernent la culture, le sport, les loisirs et le tourisme. C’est dans ces domaines que l’aide des collectivités risque de beaucoup se réduire. Enfin l’obligation faite aux communes de financer 50% de leurs projets pour bénéficier du concours du Département, de la Région ou de l’Etat va faire chuter les investissements dans les communes pauvres .

3 - La réforme fiscale.

C’est celle qui défraie le plus la chronique. Elle révèle un singulier amateurisme du pouvoir en place. En effet voilà plus d’un an que le président de la République a annoncé la suppression de la taxe professionnelle et, alors que celle-ci va être l’être au 1° janvier 2010, on ne sait toujours pas ou presque par quoi elle va être remplacée à long terme (d’où les protestation d’un Juppé ou d’un Balladur). D’évidence, elle n’aurait dû survenir qu’après la réforme des compétences mais ce n’est pas le cas. Une incohérence de plus.

La Taxe Professionnelle est peut-être « un impôt imbécile » , mais il avait l’avantage d’être bien maîtrisé par les collectivités locales. Crée en 1975, modifié 68 fois depuis, il touchait 3 M. d’entreprises sur la base de deux assiettes d’imposition : foncière (pour leurs immeubles) et financière (pour leurs investissements).

Ses avantages étaient d’assurer le financement des collectivités à hauteur de 44% de leur fiscalité (29Milliards) ; d’être une ressource stable, peu sensible aux variations de l’activité économique ; d’être une ressource dynamique, croissant au rythme de l’économie réelle. Surtout la TP assurait un lien entre entreprises et territoires (les communes percevaient 60% de la TP).

Ses inconvénients étaient d’entretenir une importante inégalité entre territoires (5% des communes concentrent 80% des recettes de la TP). Elle pénalisait l’activité économique puisque c’est un second impôt sur les sociétés (imposées en France à hauteur de 6% du PIB contre une moyenne de 4% dans les 15 pays développés de l’UE).

Sa suppression provoque un trou dans les finances des collectivités de 11 Milliards qui devraient être compensé par l’Etat en 2010, mais après, on ne sait trop. Projeté sur les communes, on mesure l’importance du déficit ainsi crée : de 77% à Dunkerque à 30% à Bordeaux.

Le gouvernement a donc annoncé l’arrivée d’un nouvel impôt : la Contribution Territoriale Economique (CET) qui serait faite de deux parts : une cotisation locale d’activité (reprenant ainsi une fraction de la TP) qui devrait rapporter 5,8 Milliards d’Euros et une cotisation complémentaire basée sur la valeur ajoutée pour 11,4 Milliards. Cet impôt se déplacera des entreprises industrielles vers les entreprises de services.

Ici surgit une question : la valeur ajoutée est-elle une notion fiscalement bien maîtrisée ? Elle va être aligné sur les cycles économiques qui exposeront les collectivités à des « variations saisonnières » problématiques. Elles auront de ce fait de plus en plus de mal à emprunter. Ensuite la valeur ajoutée va porter sur le travail et non plus le capital fixe. Les entreprises de main d’œuvre vont donc être les grandes perdantes. Certaines seront poussées à se délocaliser dans des pays où l’emploi à forte valeur ajoutée est peu ou pas taxé.

Au-delà de ces inconvénients, on observera que les collectivités locales ne détermineront plus l’impôt, le barème de la CET étant fixé nationalement. C’est l’Etat qui déterminera entièrement la fiscalité locale. C’est, de ce seul point de vue, une totale renationalisation. Si on a en mémoire la façon dont cet Etat est devenu un très mauvais payeur des compensations qu’il doit aux collectivités pour les charges qu’il leur a transférées, on peut mesure l’ampleur des dégâts. Par ailleurs la progressivité qui a été voulue va se généraliser et entraîner des effets pervers. Les disparités s’accroîtront dès lors que les entreprises seront incitées à réduire leurs périmètres pour échapper, en tant que PME à la nouvelle fiscalité. En tout cas le lien entre localisation d’une entreprise et collectivité sera rompu.

A cela s’ajoutera une spécialisation de l’impôt par collectivité. On a dit que la nouvelle répartition des compétences restant largement inconnue cette règle laissait les élus dans le plus grand flou. Ce sont les petites communes, les Départements et les citoyens qui seront les grands perdants de cette réforme. La fiscalité locale toujours autant aussi va s’alourdir.

Pour aller plus loin : voir les articles de Martine ORANGE dans MEDIAPART et les notes de TERRA NOVA.

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