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"Avec ou sans majorité, Emmanuel Macron ne change pas sa façon de gouverner" par Jean-François Collin

jeudi 13 octobre 2022, par Bernard VIVIEN, Jean-François COLLIN

Jean-François Collin, haut fonctionnaire, nous a autorisés à reproduire ici un article qu’il a publié sur AOC media hier, 12 octobre 2022.
Démonstration "implacable" et argumentée de la façon dont le Président et l’exécutif, tout en mettant en scène de multiples instances de concertation et grands débats sans suites et sans lendemains, s’employent en fait à marginaliser les deux Chambres où ils ne disposent pas d’une majorité absolue, cet article montre à quel point le système présidentiel de la 5° République est une impasse pour une démocratie vivante.
Bernard Vivien

Avec ou sans majorité, Emmanuel Macron ne change pas sa façon de gouverner

Contrairement à ce que certains avaient pu espérer avant l’été, la réélection d’Emmanuel Macron ni les élections législatives n’ont rien changé : ce n’est toujours pas au Parlement que sont conduites les délibérations sur notre avenir et que se prennent les décisions essentielles. Le Président s’efforce de créer et de multiplier concertations, conseils nationaux, débats, faisant mine de tenir compte des demandes des Français pour mieux marginaliser les deux chambres.

Emmanuel Macron et sa Première ministre ont fait mine, après les élections législatives du mois de juin dernier, de prendre acte du message que leur avaient envoyé les Français : ils avaient certes réélu Emmanuel Macron faute d’alternative crédible, ni Marine Le Pen ni Jean-Luc Mélenchon ne leur apparaissant comme telle, mais cette élection ne signifiait pas adhésion à son programme où blanc-seing donné à son action. Au mois de juillet, il n’était question que de co-construction, de concertation et de débats.

Après les élections législatives, tout devait changer

Pour manifester sa volonté de changer sa manière de gouverner et de dialoguer avec les Français, Emmanuel Macron inventa une instance consultative de plus, le Conseil national de la refondation, pensant qu’il suffirait d’usurper l’acronyme de son glorieux prédécesseur, le Conseil national de la résistance, pour changer le plomb de la division et du morcellement de la société française en or, le rassemblement des Français autour d’un projet de société partagé.

Il a, dans le même temps, lancé un grand nombre de concertations nationales, sur les retraites, la santé, l’école, ou l’énergie. À chaque fois, cela donna lieu à de grands discours et à d’innombrables commentaires permettant aux médias écrits ou audiovisuels d’alimenter le « robinet à actualités » et de donner l’impression qu’il se passait quelque chose. Mais que se passa-t-il vraiment ?

En réalité, rien n’a changé. Un Conseil national pour rien
Le Conseil national de la refondation est mort-né… pour de bonnes raisons. Pour délibérer sur les orientations à donner au pays et adopter les lois, lorsqu’il en faut (et il n’en faut pas toujours), et pour contrôler l’action du gouvernement, il existe une institution élue, le Parlement, même lorsque sa composition ne convient pas au président de la République et au gouvernement qu’il a désigné. Le Conseil national de la refondation n’est qu’une tentative d’affaiblir, encore plus qu’il ne l’est déjà, le Parlement. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’idée en a été lancée par Emmanuel Macron entre les deux tours des élections législatives, au moment où celui-ci pouvait déjà prévoir le très mauvais résultat du parti présidentiel.

La présidente de l’Assemblée nationale elle-même, pourtant membre du parti présidentiel, a fait part de ses réserves sur cette institution. Les partis d’opposition ont refusé d’y participer, tout comme les syndicats. Il ne s’est trouvé qu’un nombre significatif d’associations pour se rendre à l’invitation du président de la République, ce qui donne à réfléchir sur la place occupée dans la vie politique du pays par ces « organisations de la société civile » dont les propositions sont rarement écoutées par les gouvernements, mais qui n’en participent pas moins avec une grande régularité aux multiples concertations qu’ils organisent, qui sont autant d’occasions pour ces associations de montrer qu’elles existent et qu’elles jouent un rôle dans la société. On peut aussi se demander si leur dépendance aux subventions publiques versées par les différents ministères, sans lesquelles elles disparaitraient, explique ou non cette attitude « positive ».

Des décisions prises avant l’achèvement des concertations nationales

Les concertations nationales ont-elles été plus constructives que cette opération politicienne ? Il faut bien, hélas, faire le même constat négatif. Sur quoi peut déboucher une concertation sur les retraites qui se déroule alors que le Président de la République fait savoir qu’il souhaitait inscrire le report de l’âge légal du départ à la retraite et l’allongement de la durée des cotisations, dans un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale ? Il en résulta un débat interne à la « majorité présidentielle » à l’issue duquel, pour donner satisfaction à François Bayrou, la solution retenue fut celle d’un projet de loi rectificatif portant sur le financement de la sécurité sociale, qui sera présenté au mois de janvier prochain et dont le contenu est déjà connu puisque le président de la République a réaffirmé sa volonté de voir mise en œuvre sa réforme au mois de juillet 2023.

Que reste-t-il donc en discussion dans ces conditions ? Il faut dire que cette énième réforme des retraites, personnes n’en veut, pas plus le patronat qui ne la demandait pas, que les syndicats des salariés. Emmanuel Macron n’a donc pas l’intention de perdre trop de temps en discussions pour obtenir au bout du compte, éventuellement, la neutralité de la CFDT.

Et la politique énergétique ?
En cette période de flambée des prix de l’énergie et de difficultés d’approvisionnement en pétrole et en gaz, la stratégie énergétique du pays doit être rediscutée et réorientée. Dans ce domaine également, Emmanuel Macron considère qu’il lui revient de prendre les décisions sans attendre que les résultats des différentes concertations engagées ou à venir sur la programmation pluriannuelle de l’énergie, le plan national d’adaptation aux changements climatiques ou le bien-fondé de la construction de réacteurs nucléaires de type EPR 2 à Penly soient connus.

La commission nationale du débat public a été chargée de conduire une concertation nationale sur l’opportunité de construire un nouveau réacteur de type EPR 2 à Penly. Elle l’organise en ce moment même et la première réunion nationale devrait avoir lieu à la fin du mois d’octobre. Cela n’a pas empêché le président de la République d’indiquer à plusieurs reprises et dernièrement encore, à l’occasion de l’inauguration d’un parc éolien en mer, puis à la réunion de lancement du Conseil national de la refondation, qu’il avait décidé de développer une stratégie ambitieuse de développement de la production d’électricité d’origine nucléaire en France. On peut discuter du bien-fondé de cette stratégie, mais nous ne le ferons pas dans cet article. Nous nous contenterons de discuter de la méthode par laquelle le gouvernement conduit un simulacre de concertation sur des décisions déjà prises.

Alors que le débat public sur l’opportunité de construire un réacteur nucléaire à Penly n’a pas encore véritablement commencé et qu’il devrait se dérouler jusqu’à l’année prochaine, le gouvernement a mis en consultation un avant-projet de loi « visant à accélérer la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants ». Il a indiqué qu’il souhaitait adopter le texte définitif au milieu du mois d’octobre de cette année, après son examen par le Conseil national de la transition écologique et le Conseil d’État. Les dispositions prévues sont très importantes puisqu’elles permettraient notamment de déroger au droit de l’urbanisme, à la loi littorale, à la loi montagne, aux lois de protection des espèces protégées et d’alléger les contraintes pesant sur l’autorisation de prolongation de la durée d’activité des réacteurs nucléaire au-delà de 35 ans.

Il s’agit d’une remise en cause sans précédent du droit de l’environnement et du principe de « non-régression » qui signifie que les États ne peuvent normalement que renforcer le droit de l’environnement mais ne peuvent pas réduire le niveau de protection des milieux existant. On notera au passage à quel point le fait d’annexer à la constitution la charte de l’environnement n’a en rien amélioré le respect de l’environnement par le pouvoir politique, ce qui devrait faire réfléchir ceux qui demandent une extension permanente du champ des principes constitutionnels.

On comprend facilement que ces atteintes au droit de l’environnement ne seraient pas nécessaires si la perspective de ne pas construire de nouveaux réacteurs nucléaires restait ouverte et s’il était possible que nous en restions aux orientations fixées, notamment par la loi de 2015, de plafonner la part du nucléaire à 50% de la production totale d’électricité française et pour cela d’arrêter le fonctionnement d’une douzaine de réacteurs d’ici 2035, ce qui reste encore, à ce jour, le cadre législatif dans lequel nous vivons.

Mais on voit que les lois peuvent être considérées comme un témoignage du passé abandonné aux nostalgiques, avant même d’être abrogées. Le secrétaire général adjoint de l’Élysée en 2015, devenu Président de la République considère que la loi de 2015 n’était pas une bonne loi ; il a décidé de relancer la construction de réacteurs nucléaires, comme il l’avait déjà indiqué lors d’une visite de l’usine d’Alstom au Creusot l’année dernière. Et il le fait. Le Parlement suivra et modifiera la loi en conséquence.

Les raisons de la brutalité de l’exécutif

Au nom de quoi Emmanuel Macron agit-il de cette façon ?

Au nom de la légitimité qu’il considère tenir de sa réélection. Pour lui et pour ses porte-paroles qui le répètent à l’envi dans les médias, les Français lui auraient donné, en le réélisant, un mandat pour réformer le régime des retraites qui faisait partie de son programme électoral.

Le Président de la République indique de cette façon que pour lui le résultat des élections législatives n’a pas une portée comparable à celui de sa propre élection. Les élections législatives n’ont été à ses yeux que l’expression d’un mécontentement sans fondement véritable et ce Parlement, divisé entre une NUPES coupée de ce que pense et ressent la majorité du peuple français et une extrême droite que les Français ne souhaitent pas porter au pouvoir, est certes bien ennuyeux au quotidien, mais ne l’empêchera pas de mettre en oeuvre sa politique et de gouverner comme il l’a fait au cours de son précédent mandat. Les moyens de contraintes dont dispose l’exécutif pour faire passer ses textes et discipliner les partis qui le soutiennent plus ou moins suffiront, jusqu’à ce que le moment opportun de prononcer une dissolution de l’assemblée nationale soit venu.

Il est sans doute un autre motif à cette détermination à passer en force, le plus rapidement possible, des « réformes » impopulaires, et toutes le sont puisque le mot réforme est devenu synonyme de régression sociale depuis les années mille neuf cent quatre-vingt.

Pensons à la réforme du régime d’indemnisation du chômage qui doit « devenir adaptable à la conjoncture économique » – c’est le motif officiel avancé par le gouvernement. Quand la croissance est plus forte et qu’il est plus facile de trouver un travail, il serait juste, pour le parti Renaissance et le gouvernement, de réduire l’indemnisation du chômage pour inciter les chômeurs à prendre un emploi, puisque, naturellement, dans leur conception du monde les chômeurs le sont par choix. L’ennui, c’est que la croissance ralentit en France et Europe et que les prévisions convergent pour nous dire que la récession sera là en 2023. Le gouvernement l’ignorerait-il ? Je ne le crois pas. Il tient un discours sans rapport avec la réalité pour justifier cette réforme et faire des économies. Nous sommes en présence de l’habituelle « novlangue » de nos dirigeants.

Les économies espérées des « réformes structurelles » qui sont le mantra de la Commission de l’Union européenne, le gouvernement d’Emmanuel Macron les a promises à l’occasion de l’examen périodique de l’état de nos finances publiques conduit à Bruxelles dans le cadre des « semestres européens ». Ces promesses faites à la Commission, notre Président devra les tenir, d’autant plus qu’il ne cesse d’assener aux Français son crédo européen. Il n’a pas manqué de le faire encore récemment en expliquant qu’une taxation nationale des surprofits des entreprises qui profitent de la crise était une mauvaise chose et qu’il fallait une mesure concertée en Europe, mesure que nous allons attendre longtemps. Pendant ce temps-là, beaucoup d’autres pays européens ont mis en place des dispositifs de taxation nationaux de ces superprofits. En France, au contraire, on baisse les impôts sur les entreprises et pour les plus riches.

Emmanuel Macron s’était vanté en juillet 2020 d’avoir imposé au reste de l’Europe un programme de sauvetage qui ne coûterait pas un euro aux Français et leur permettrait de sortir plus rapidement de la crise économique provoquée par le COVID. J’avais écrit à l’époque en quoi ces déclarations ne correspondaient pas à la réalité (article publié par AOC). La France est le deuxième contributeur au budget européen, derrière l’Allemagne avec 26,4 Mds€ de contribution en 2021, soit 20 % des contributions des États membres au budget de l’UE. Elle a reçu au titre du plan de relance européen un premier versement le 19 août 2021 de 5,1 milliards d’euros, puis un second de 7,4 milliards d’euros en mars 2022. Pour chaque versement, elle doit démontrer qu’elle a réalisé suffisamment d’investissements et de réformes figurant dans son « programme national de relance et de résilience » présenté pour bénéficier des contributions du fameux plan de relance européen.

Si l’on résume de façon un peu brutale ce qui se passe, la France contribue au budget européen plus qu’elle n’en bénéficie, ce qui n’est pas en soi scandaleux pour autant que chaque État contribue à proportion de ses facultés contributives, ce qui n’est pas le cas en raison des rabais dont bénéficient l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, le Danemark ou la Suède. Mais en plus, elle doit demander à la Commission européenne l’autorisation de dépenser ce qui lui est attribué et tailler dans son système social pour recevoir moins qu’elle n’a donné. Ce n’est pas une surprise, l’accès au plan de relance a toujours été conçu comme conditionnel et la première des conditions est de mener une politique économique conforme aux recommandations faites par la commission lors de leur examen annuel à Bruxelles. Mais expliquer à Paris que l’on conduit des réformes que l’on s’est engagé à faire à Bruxelles a toujours été un aveu difficile pour nos gouvernements.

La conclusion de tout cela ? Majorité relative ou pas, ce n’est toujours pas au Parlement que sont conduites les délibérations sur notre avenir et que se prennent les décisions essentielles.

Jean-François Collin

HAUT FONCTIONNAIRE

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