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« Panthéonisation, présidentialisation » , par Paul Alliès

jeudi 29 février 2024, par PAUL ALLIES, Bernard VIVIEN

La décision d’inhumer une personnalité au Panthéon n’a pas toujours été du ressort du Président, comme le rappelle Paul Alliès dans son billet paru sur son blog de MEDIAPART le 20 février 2024. Que la décision relèvce d’un décret présidentiel et non plus d’une délibération de l’assembvlée Nationale, voilà qui est à mettre au "crédit" de la V° République. Peu de voix y trouvent à redire, et pourtant cela n’est pas sans effets pervers, comme celui d’une instrumentation politique, ce que le fils d’Albert Camus avait bien anticipé en refusant la panthéonisation de son père.
Bernard Vivien

« Panthéonisation, présidentialisation »

La décision d’inhumer une personnalité au Panthéon semble ne pas être sujette à discussion : c’est le président de la République qui en décide. Cela n’a pas pourtant été toujours le cas, bien au contraire. C’est le législateur qui a eu historiquement compétence pour cela et non pas le chef de l’État.

La panthéonisation apparaît dans son essence comme d’essence fondamentalement pré-républicaine. C’est l’Assemblée nationale qui décida le 4 avril 1791 de transformer l’église Sainte Geneviève en temple des « grands hommes ». C’était un défi face à la canonisation, procédure équivalente en vigueur dans l’Église catholique. Nous somme 9 mois après l’adoption de la Constitution civile du clergé, dénoncée par le pape Pie VI dont l’effigie allait être brulée le même jour au Palais Royal. Et dans 2 mois, ce sera la fuite de la famille royale, stoppée net à Varennes. Le Panthéon est donc un emblème de la souveraineté nationale fraichement conquise et qui va se trouver toute entière dans la Loi.

Ce sont les régimes autoritaires (le premier et le second Empire, la Restauration et la Monarchie de Juillet) qui rendent l’édifice au culte, même pour le destiner à accueillir les dépouilles des « gloires nationales ». Et c’est Napoléon qui s’arroge en 1806 le droit de décider seul de la panthéonisation de ses dignitaires et militaires. Il faudra attendre le transfert des cendres de Victor Hugo le 1° juin 1885, accompagné d’une énorme manifestation populaire, pour que le Panthéon soit définitivement désacralisé. Ainsi en a décidé, après une vive polémique, la Chambre des députés, le gouvernement ayant ratifié ce vœu par un décret du 26 avril. Surgit alors une question : qui décide de cette panthéonisation laïque ?

La décision de transférer les cendres d’une personne au Panthéon ne répond pas à un régime juridique précis. Les juristes qui ont essayé de le définir (tel le conseiller d’État Bélaval en 2013 dans un rapport au président de la République intitulé « Pour faire entrer le peuple au Panthéon »), ne trouvent pas de références utiles. Ils sont conduits à invoquer « l’esprit » de la Constitution de 1958 pour justifier que ce soit le Président seul qui finalement décide. Sauf que la III° et le IV° République (durant 82 années donc) ont toujours fait du Parlement le seul souverain en ce domaine. La panthéonisation, qui s’accélère depuis l’élection d’Emmanuel Macron, est devenue sous la V° République une de ces prérogatives (jusqu’à la décision concernant les bouquinistes parisiens) qui font le charme monarchique de la fonction.Formidable régression, une de plus.

En droit le Président pour officialiser son choix, devrait prendre un « décret en Conseil des ministres », donc « sur proposition du Premier ministre, et sur le rapport du ministre de la culture » (réponse du ministre de la culture à la question d’un sénateur , le 11 octobre 2011). En pratique et dès la panthéonisation de Jean Moulin, la première de la V° République, le décret du 11 décembre 1964 mentionne un « avis » mais pas une « délibération » du Conseil des ministres.

Cette modeste formulation a aujourd’hui’hui complètement disparu. La panthéonisation de Maurice Genevoix par décret du 24 juillet 2019 mentionne que celle-ci est « autorisée » (sic) sans aucune autre mention d’avis ou de délibération. Celle de Joséphine Baker en 2021, s’est faite sans le moindre décret et sur seule « décision » du président de la République. Même le/la Premier-e ministre n’est plus concerné-e. Le Journal officiel du 9 février dernier, au registre des Mesures nominatives du Ministère de la Culture, énonce « Par décret du Président de la République en date du 8 février 2024, les cendres de Mélinée et de Missak Manouchian seront transférées au Panthéon ».

Les inconvénients de cette décision « au bon plaisir » a de nombreux inconvénients, au premier rang duquel l’instrumentalisation de la panthéonisation. C’est bien ce qui se passe pour les Manouchian. Ce n’est pas un grand écart mais un formidable roulé-boulé que pratique E. Macron : entre la nouvelle législation sur l’immigration et la suppression du droit du sol à Mayotte, et en même temps la célébration d’un « sang versé pour la France qui a la même couleur pour tous ».

Cette démarche devient baroque quand le même Président, après avoir accepté les voix du Rassemblement National ici et là, souhaite écarter de la cérémonie sa présidente de groupe à l’Assemblée nationale. Le tout dans une confusion rarement égalée sur « l’arc républicain » où on ne sait plus qui y figure et sur quels critères.

On comprend rétrospectivement la sagesse du fils d’Albert Camus qui, en 2009 s’est opposé à la panthéonisation de son père avancée par Nicolas Sarkozy au sobre motif qu’il ne voulait pas de « récupération politique ».

La présidentialisation de la décision a aussi pour effet de provoquer des pétitions, demandes, sollicitations en tout genre de la « société civile » cantonnée à des fins finalement acclamatoires quand le choix est fait.

Il est donc nécessaire de revenir à la logique républicaine de la panthéonisation et en faire une prérogative législative, seule voie démocratique. Imaginons un débat à l’assemblée sur les Manouchian, les déclarations qu’y serait obligée d’y faire Marine Le Pen seraient d’un grand intérêt. Elles suffiraient à ruiner sans doute sa présence opportuniste à la cérémonie.

Dans l’instant, on aurait pu rêver à un appel des formations démocratiques à remplir la rue Soufflot et la place du Panthéon pour une manifestation assurément massive contre cette indécence d’une extrême-droite sans mémoire. A elle et aux collaborateurs de l’époque, Missak Manouchian lançait, lors de son « procès » à l’Intercontinental le 19 février 1944 : « Vous avez hérité de la nationalité française, nous, nous l’avons mérité ». Salut à cet internationalisme révolutionnaire.

Paul Alliès

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