Le recours au 49-3 a ce mérite d’avoir rendu visible dans une vaste partie de l’opinion, l’une des procédures les plus emblématiques de la Constitution de la V° République et de son caractère foncièrement antidémocratique. La question est donc une nouvelle fois posée du remplacement en tout ou partie de ce dispositif.
On ne s’attardera pas sur l’histoire des usages du 49-3. Fortement soutenu par Guy Mollet lors de l’écriture de la Constitution en 1958, cet article voulait remédier de manière exceptionnelle à l’absence de majorité dont les gouvernements de la IV° République avaient tant souffert. L’évolution de la V° République a complètement renversé cette situation : voici un bon moment (depuis la division de la majorité en 1976) que le 49-3 est devenu une arme banalisée permettant au Premier ministre d’abuser des contraintes dont le couple « exécutif » dispose contre les parlementaires.
La question n’est donc plus celle de la discipline de la majorité dans un cadre parlementaire mais celle de la responsabilité du gouvernement devant le « pouvoir » législatif. En l’occurrence il devient juridiquement impossible pour celui-ci de voter une loi (même fortement contestée dans le pays comme l’est la Loi Travail) puisque le sujet est transféré sur le terrain de l’existence du gouvernement. Et rien n’est laissé au hasard : dans le calcul des votes de la motion de censure, seuls sont comptés ceux favorables à la motion ce qui a pour résultat de confondre les voix favorables au gouvernement et celle des abstentionnistes.
Cette négation radicale du temps et du débat politique au seul profit de la survie du Premier ministre est unique en Europe. Tous les Régimes y ont recours à des mécanismes de responsabilisation de leur majorité parlementaire visant à empêcher que ne se forment des coalitions de circonstances contre le gouvernement. Mais d’abord aucun ne prévoit le coup de force consistant à faire adopter une loi sans qu’elle puisse être votée ; ensuite la censure du gouvernement y est possible dés lors qu’une nouvelle majorité se construit contre lui. C’est la procédure de la « défiance constructive » telle qu’elle fonctionne en Allemagne ou en Espagne : les députés peuvent renverser le gouvernement s’ils proposent, attaché à leur motion de censure, le nom du futur Premier ministre. C’est une proposition que défend en France la Convention pour la 6° République depuis sa création, il y a quinze ans. Assortie à la représentation proportionnelle, elle permettrait une « respiration démocratique » de l’institution parlementaire : les majorités pourraient y évoluer (ou non) en fonction de l’évolution (du changement) de la politique de l’Exécutif et de l’état de l’opinion.
Il y d’autres propositions utiles. Par exemple celle longtemps défendue par Guy Carcassonne (référence constitutionnaliste majeure d’Emmanuel Valls, aujourd’hui disparu) : il imaginait le vote à une majorité qualifiée par l’Assemblée Nationale d’une motion préalable au vote d’une loi ordinaire, interdisant au Premier ministre d’engager sa responsabilité sur ce texte. En l’espèce une majorité se serait sans doute trouvée pour permettre un vrai débat sur la Loi Travail respectueux des opinions de gauche et de droite sans forcer finalement les premières à se confondre avec la seconde pour voter contre la loi à travers la censure. C’est le genre de réforme qui auraient pu être mise en vigueur pour sortir du carcan anachronique de la Constitution de 1958. Mais Hollande comme Valls en sont de tels partisans que l’idée ne leur est évidemment pas venue.
Le Premier ministre en place a donc abusé des pouvoirs d’une Constitution obsolète pour imposer une loi sans majorité au Parlement. Le recours à l’arme de gros calibre du 49-3 lui a permis de la faire passer en force. Dominique de Villepin avait fait exactement pareil il y dix ans. Il avait du constater qu’il n’avait pas d’arme équivalente pour contraindre la rue et les places devant lesquelles il avait du céder. Bis repetita ?… Ce serait une bonne manière de sortir de l’impasse du 49-3.