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Histoire(s) de primaires

dimanche 6 mars 2016, par PAUL ALLIES, Bernard Vivien

Le lundi 29 février 2016, le café-citoyen (C6R) de Montpellier avait mis à son ordre du jour la question des primaires : pour quoi ? comment ? Le débat a été introduit par Paul Alliès, président de la C6R, qui avait été un des "promoteurs et artisans" de la mise en place des premières primaires citoyennes à l’occasion de la présidentielle de 2012. On trouvera ci-dessous dans son billet publié sur son blog l’essentiel de son intervention liminaire. Le débat a montré que la tenue de primaires à gauche (pour la droite, c’est décidé depuis longtemps) impliquait que la décision soit prise d’ici juin prochain au plus tard et que soient mobilisées des forces pour l’organiser et la mettre en place. Ceci implique une primaire ouverte et un comité d’organisation fédérateur qui puisse s’appuyer sur des forces militantes et des relais locaux. Le temps est donc compté, quand on voit l’ensemble des tâches à accomplir que rappelle Paul Alliès dans ce billet. Le débat sur les orientations et programmes des candidats ne peut être un préalable à l’organisation de la primaire sauf à vouloir condamner celle-ci à ne pas voir le jour tout en la réclamant. Bernard Vivien

UNE AUTRE REPUBLIQUE EST POSSIBLE

Voilà bientôt deux mois que fut lancée, le 10 janvier la pétition pour « Notre Primaire » dont les premiers signataires précisaient d’emblée : « Nous ne les organiserons pas ». Du coup de nouvelles personnalités ont lancé le 24 janvier, un autre appel : « Organisons la Primaire de gauche ». Questions.

Ces initiatives ont en commun de faire peu de place à l’histoire, donc à l’expérience de la première Primaire organisée en France en 2011.

Le bilan de cette Primaire n’a pas beaucoup fait trace, il est vrai. Un groupe de travail de Terra Nova en a écrit un à chaud (« Les Primaires : Une voie de modernisation pour la démocratie française. De l’expérience socialiste au renouveau citoyen ») en novembre 2011 sous l’égide d’Olivier Ferrand (qui en avait été un acteur important). Le même organisme a repris le sujet dans une note (« Primaires : Et si c’était à refaire ? ») publiée le 25 avril 2015.

Le PS n’en a rien fait, organisant leur enterrement avec cinq Primaires municipales à l’automne 2013. Pourtant le résultat des Primaires présidentielles avait dépassé toutes les espérances. Il a d’abord permis de régler les mortifères questions de leadership au sein de ce parti ; des questions qui auraient pu le ruiner après l’élimination de Dominique Strauss-Kahn, candidat jusque là proclamé déjà vainqueur par les instituts de sondage et les grands médias.

Ensuite et surtout les Primaires de 2011 ont été un remarquable succès démocratique : Elles ont mobilisé 2,7 millions de votants au premier tour et 3 millions au second (700.000 d’entre eux avaient accepté de donner leur adresse électronique, ce dont le PS ensuite n’a rien fait). Tout cela grâce à quelque 10.000 bureaux de vote et 80.000 scrutateurs. C’est le résultat d’une politisation de l’opinion durant sept semaines dont témoignaient la forte audience des cinq débats télévisés (des 4,9 millions de téléspectateurs sur France 2 le 15 septembre aux 5,9 millions pour le dernier le 12 octobre) ; les instituts de sondage et les faiseurs d’opinion médiatique en furent totalement déstabilisés. L’existence d’une Haute Autorité indiscutable (avec M° Mignard, Mireille Delmas-Marty et le préfet Pautrat) a assuré la sécurité et la sincérité du scrutin ; il n’y eut aucune contestation ce qui ne fut pas un mince exploit dans un parti jusque-là rongé par les fraudes.

Ce résultat fut le fruit d’un intense travail conduit en amont par Arnaud Montebourg, désigné responsable de la rénovation du parti par Martine Aubry à l’issue du congrès de Reims en novembre 2008. La commission qu’il pilotait (et qui réunissait hebdomadairement un représentant de chaque sensibilité politique du parti) a, durant quatorze mois, construit des échantillons probatoires de communes pour envisager tous les cas de figure du scrutin, auditionné une vingtaine de spécialistes, envoyé des observateurs en Italie et aux Etats-Unis, négocié avec le Ministère de l’Intérieur, tenu une soixantaine d’heures de réunion. Une fois Martine Aubry acquise à l’idée (lors de l’Université d’été d’août 2009), toute la direction du parti s’est impliquée dans l’entreprise : deux Conseils nationaux, quatre Bureaux nationaux ont accompagné un référendum des militants le 1° octobre 2009 (tenu dans l’indifférence totale des médias il n’a réuni que 45% des adhérents soient 92.000 votants, chiffre infiniment supérieur aux votants du PS d’aujourd’hui). Une Convention nationale a bouclé ce périple le 3 juillet 2010 ; elle a conduit à une inscription des Primaires dans les statuts du parti.

Ces données devraient être prises en compte par les partisans d’une Primaire en 2016. Thierry Solère, député des Hauts de Seine chargé de l’organisation des Primaires de la droite l’a fait avec soin, de telle sorte que celles-ci seront décalquées de l’expérience socialiste de 2011. La gauche devrait le faire également en cherchant à en améliorer le système.

Quelles sont les questions qui se posent à elle ? Il y en a au moins six.

1) le périmètre : le choix est entre deux formules. Soit une Primaire en réduction, actant la fracture du PS et d’une gauche excluant Hollande ou Valls mais aussi Mélenchon. Dans ce cas le premier tour de la présidentielle ne sera pas une Primaire « de rattrapage » comme d’habitude ; la tripartition et le poids du Front National en feront une « Primaire républicaine » anticipant le scénario du 2° tour, dominée par le vote le plus utile (possiblement pour un candidat de droite selon les résultats de la Primaire LR) pour battre Le Pen. Soit, deuxième formule, une « Primaire de coalition » ouverte à tous les partis (le PS y étant obligé par ses statuts) et candidats se réclamant de la gauche sans exception. Elle peut appeler une réflexion sur un mode de scrutin adéquat, autre que le majoritaire à deux tours.

2) le calendrier : la Primaire doit avoir lieu avant décembre 2016, soit cinq à six mois avant la Présidentielle. Ce qui suppose deux choses : d’abord que l’organisation soit fin prête en septembre ; ensuite que Hollande annonce sa décision de se représenter ou pas. C’est le problème de la candidature du Président sortant que la V° République fétichise tellement que celle-ci devrait échapper à la loi commune parce que d’ordre « (sur)naturel ». Pourtant même aux Etats-Unis, le sortant est investi par une Primaire et trois Présidents sortants entre 1952 et 1976 ont du renoncer à se représenter. En France quatre Présidents ont voulu se faire réélire ainsi (en 1981, 1988, 2002, 2012). Seuls deux y sont parvenus mais tous en jouant sur une déclaration tardive de candidature et en menant une campagne éclair de 47 jours en moyenne. C’est un délai intenable pour organiser une Primaire. Le calendrier n’est pas négociable.

3) la sélection des candidats : la Primaire de 2011 prévoyait un double régime. Un parrainage d’élus et/ou de dirigeants (5% de chaque catégorie) pour le PS ; une candidature librement présentée par les partis acceptant de participer aux Primaires (ce qui fut le cas du seul PRG). On peut imaginer une évolution de ce système avec un parrainage citoyen dont le seuil serait à déterminer.

4) le financement : les modalités de 2011 (1€ minimum pour pouvoir voter) ont rapporté 4 millions d’Euros au 1° tour et 1,4 au second ; soit un total bien au-dessus du coût de la campagne et du scrutin. Il conviendrait donc de procéder par « crowdfunding » pour compléter les avances des différents partis représentés.

5) l’organigramme : on a dit l’importance de la crédibilité du scrutin dans la participation élevée de 2011. Celle-ci a été garantie et incarnée par une Haute Autorité qui a arbitré les conflits liés à l’organisation et s’est imposée aux différentes « factions » en lice. Le système peut donc être reproduit tel quel, les personnalités indépendantes des partis, favorables à la tenue de Primaires étant déjà fort nombreuses.

6) la consolidation : il s’agit de lier la logique de la démocratisation de la présidentielle à celle de la majorité parlementaire qu’elle induit. En 2011, le plus mauvais exemple a été donné avec un accord préalable aux Primaires, entre le PS et EE-Les Verts qui ont obtenu 60 circonscriptions. Soit un chiffre sans rapport avec les résultats d’Eva Joly (2,31%) au 1° tour de la Présidentielle. Si une « Primaire de coalition » a lieu il convient d’appliquer la proportionnelle de ses résultats à la répartition des sièges pour les législatives ; ce que pourrait piloter une commission spécifique (dont le président pourrait être nommé par le vainqueur de la Primaire) pour l’application concrète de cette règle.

Ces six questions peuvent faire l’objet d’autant d’histoires spécifiques de l’institutionnalisation des Primaires en France et à gauche. Elles ne pourront pas être évitées en 2016 quels que soient les « débats d’orientation » ou de projets qui auront lieu.

Reste une question subsidiaire, celle du PS. On a déjà dit comment celui-ci avait très vite tourné le dos à l’innovation de la Primaire de 2011. Il l’a confirmé lors de son congrès à Poitiers en juin 2015 : la majorité (motion A, Cambadélis-Aubry) n’a pas consacré un seul mot au sujet. La motion C (des anciens camarades de Larrouturou qui ont rejoint la majorité) s’est contentée d’appeler à la généralisation des Primaires à toutes les élections mais sans rien dire des Présidentielles. La motion D (Karine Berger notamment) s’en est tenue à plaider pour une telle extension mais pour les élections locales seulement. Seule la motion B (Christian Paul et les « frondeurs ») a abordé franchement la question de la Primaire aux Présidentielles et de l’application des statuts. Ces derniers (art. 5-3/1-2-3) exigent qu’ « un an avant l’élection présidentielle, le Conseil National fixe la calendrier et les modalités d’organisation des Primaires ». Craignant sans doute un recours qui aboutirait à ce qu’un juge impose l’application des statuts, J.C. Cambadélis a convoqué un Conseil national le 9 avril prochain. Il ne pourra pas ne pas répondre aux questions examinées ci-dessus. Ou alors c’est qu’il compte pratiquer une stratégie d’enlisement des Primaires pour favoriser la candidature de F. Hollande ou de son remplaçant de dernière heure.

Dans tous les cas de figure, ces histoires de Primaires confirment combien est malade le présidentialisme de la V° République : elles sont un expédient au malaise démocratique qui ronge ce régime.

Paul ALLIES
3 mars 2016
Blog Mediapart

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