Jean-Christophe Cambadélis vient de boucler la feuille de route tracée lors de son arrivée à la tête du PS, en avril dernier : affirmer une direction "virile" capable de protéger l’appareil d’un parti entré dans une des plus graves crises de son histoire. Le Conseil national du 13 décembre a adopté un rapport définissant un "parti 2.0, ouvert à tous les Français et qui sait les associer et les solliciter pleinement dans son fonctionnement" .
La réalité est aux antipodes de ces généreuses perspectives. Malgré les annonces vibrionnantes, l’appareil n’en finit pas de se fermer comme une huitre avant un soir de réveillon. En témoigne très concrètement l’édifiante histoire du débat sur " la réforme des institutions ". On la résume ici telle que vécue en temps réel.
En avril dernier, a été nommé par Cambadélis un secrétaire national "Laïcité-Institutions", en la personne de Laurent Dutheil. Ils se sont vraisemblablement connus à l’UNEF dans les années Quatre-vingt quand "Camba" en était le président. Très vite, en mars 83 Dutheil passe au cabinet de Roger-Gérard Schwartzenberg, secrétaire d’Etat auprès du ministre Alain Savary. Plus tard il deviendra directeur-adjoint de Jean-Paul Huchon à la Région Ile-de-France. Celui-ci le nommera directeur du "Lieu du Design" à sa création en 2009.
Dutheil est donc avant tout un collaborateur d’élu, ayant eu du mal à conquérir lui-même un mandat dans le Val-de-Marne et dans la commune de Villeneuve- St Georges (dont Schwartzenberg fut maire de 89 à 95 puis de 2001 à 2008). Il est actuellement adjoint chargé de l’environnement de cette ville dont la maire communiste Sylvie Altman l’avait battu en 2008 (il avait obtenu 8,15% en conduisant la liste socialiste). Quand il est question de le voir remplacer comme tête de liste le sénateur-maire sortant de L’Hay-les-Roses mis en examen en 2011, Le Monde (9/9/2011) écrit alors sobrement : "rejeté par tous, << le PS ne veut pas en entendre parler, pas plus qu’Europe-Ecologie les Verts où Cécile Duflot a pu en mesurer l’inconsistance>> ne craint pas d’affirmer un cadre socialiste". Il fait état d’une "formation d’avocat" (?) et affiche une qualité d’administrateur territorial. On est à jeun de trouver la moindre expérience, le moindre écrit afférent à sa responsabilité à Solférino. Il est donc là comme un homme de confiance de Cambadélis. On va s’en apercevoir dans la suite de l’histoire.
Le compte-rendu d’activité du secrétariat national d’octobre à novembre 2014 mentionne que "Laurent Dutheil met en place un groupe de travail sur les réformes institutionnelles principalement composé de juristes et de professeurs de droit. Une première réunion devrait intervenir la seconde quinzaine de novembre. L’objet de ce groupe de travail est de traiter des questions relatives à l’évolution possible du rôle et de la place du Président de la République, du rapport entre l’exécutif et le législatif , de la représentation, du Conseil Constitutionnel et de la déontologie et des conflits d’intérêts. Composé de membres du Parti socialiste et de sympathisants, ce groupe de travail se fixe pour objectifs d’une part de réfléchir sans tabou (sic) à l’avenir de nos institutions et d’autre part de dégager les modes opératoires des réformes qui seront proposées".
Formidable ! Le PS ouvre donc le débat qui prospère à sa périphérie et qu’il n’a jamais voulu aborder de front sur la crise de la V° République et du présidentialisme qui le ronge. Pensant satisfaire à tous les critères sus-indiqués, je prends contact par l’intermédiaire de J.C. Cambadélis (puisque je suis membre du Conseil national) avec Laurent Dutheil (que je ne connaissais pas jusque là). Celui-ci me demande aussitôt mon numéro de téléphone portable. Puis plus rien, malgré des relances.
Rien sur la composition de ce groupe. Rien sur le site du Parti. Et je découvre dans le "compte-rendu d’activité du secrétariat national" des 15 novembre-13 décembre 2014 l’information suivante : "Une première réunion de travail s’est tenue le 20 novembre dernier et une seconde le 10 décembre. L’approche proposée par le secrétaire national et partagée par l’ensemble du groupe est de changer la Constitution plutôt que de changer de Constitution. (…) L’objectif est de répondre au déficit démocratique par des réformes à même de redonner confiance au peuple dans ses institutions. C’est sur la base d’un constat partagé (re-sic) que des mesures et des propositions pourront être présentées".
Cette novlangue cache mal une grossière manoeuvre : écarter d’emblée la moindre discussion qui anime ces derniers temps l’ensemble de la gauche et une bonne partie des socialistes comme de l’opinion, sur l’opportunité d’une 6° République et les modes possibles de son avènement. Même le souvenir d’un Dominique Strauss-Kahn dont tout ce petit monde fut si proche, est oublié en particulier son ouvrage ("La flamme et la cendre". Grasset, 2002) dont le dernier chapitre était intitulé "Vers la VI° République". Arnaud Montebourg qui n’a jamais cédé sur ce sujet et reste président d’honneur de la "Convention pour la 6° République", passe par profits et pertes.
Trois Conseils nationaux en un trimestre et des Etats Généraux ont mobilisé ce qui reste de militants. Ils ont adopté une "Charte pour le progrès humain" et le rapport de Christophe Borgel : "Rénover pour (re)conquérir" (les municipalités en 2020-sic-). Ils vont désigner d’ici le 15 janvier le "premier des socialistes" pour les listes aux élections Régionales ; et le 7 février, un nouveau Conseil national enregistrera les contributions pour le congrès de Poitiers en juin où J.C. Cambadélis compte bien se faire élire enfin.
Bref, grâce à cet activisme organisationnel l’ordre règne et la promesse de 500.000 adhérents retrouvés bientôt, ne fait rire personne, tant la méthode Coué semble devenue la gymnastique préférée rue Solférino. Le problème est que cette mécanique tourne en circuit très fermé et au secret avec une direction formée pour l’essentiel de proches ou complices du Premier secrétaire ; lequel attend de ceux qui n’en font pas encore partie qu’ils signent - tout le secrétariat national au grand complet- sa contribution. Tant pis si les acteurs deviennent schizophrènes. Laurent Dutheil ne déclarait-il pas (le 19 mai dernier sur le site "Coopérativedesign") ? : "Le mouvement, c’est un risque. Mettre en mouvement, c’est oser questionner l’existant. C’est sortir de sa zone de confort et de convenance intellectuelle". C’est vrai pour le design, sans doute aussi pour le débat politique. Jean-Christophe Cambadélis dans Le Monde de ce samedi 20 décembre, étonnamment lucide : "On peut mourir de l’entre-soi".
C’est une sorte de morale cynique de cette histoire. Dans le roman éponyme à ces "jours tranquilles (à Clichy)" Henry Miller écrivait : "Si tu regardes ton nombril et que ton nombril est intéressant, alors tu atteindras l’universel." Entre l’universel de l’appareil et celui du socialisme démocratique, le congrès saura-t-il trancher ?
http://blogs.mediapart.fr/…/jours-tranquilles-solferino-led…
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