L’indécence de Monsieur Larcher
Le président du Sénat a présenté hier mercredi 24 janvier, « 40 propositions pour une révision de la Constitution utile à la France ». C’est une opération bien dans la tradition de la seconde chambre : empêcher tout changement. Cela avec des accents trois fois indécents
Ainsi Monsieur Larcher justifie-t-il sa volonté d’empêcher la réforme promise par Emmanuel Macron : « Quand je dis Non, c’est un Non d’Antigone ».
Les écoliers qui découvrent le modèle du courage dans le personnage de la fille d’Œdipe risquent d’en perdre leur latin (et leur grec) : Antigone n’affronte-t-elle pas jusqu’à en mourir, le pouvoir de Créon parce qu’il n’a pas su ou voulu imposer l’alternance sur le trône de Thèbes entre ses deux frères, Etéocle et Polynice à qui est refusé une sépulture ? L’alternance voilà justement le mot qui fait peur à Monsieur Larcher, usurpateur de la noble figure d’Antigone.
Mais son indécence n’est pas que dans ce détournement de la mythologie et de la Tragédie. Il est dans la mobilisation de l’institution qu’il préside (les socialistes ont quand même refusé de ratifier ses 40 propositions) pour, une nouvelle et énième fois, conforter l’archaïsme du système politique français.
La plupart des Etats dans le monde connaissent ou ont connu l’existence d’une seconde chambre parlementaire, liée à leur histoire nationale spécifique. Elle se justifiait pour représenter et protéger les intérêts de catégories ou de communautés devenues minoritaires au cours du changement social de ces pays. Confronté au défi du suffrage universel et du nombre, le bicaméralisme a su se moderniser quand il n’a pas disparu. Sauf en France : le Sénat est resté dans toute son histoire une chambre conservatrice et illégitime. Il a réussi, dès 1969 à vaincre la volonté modernisatrice de De Gaulle et tout au long de l’histoire de la V° République il n’a fait qu’empêcher les moindres tentatives de réforme : du refus du statut de la Nouvelle-Calédonie et de la Corse au rejet de la saisine du Conseil Constitutionnel par les justiciables en passant par la lutte permanente contre l’impôt sur le revenu ou sur la fortune, contre le Pacs ou la parité, le refus de voir les présidents des Etablissements de coopération intercommunale élus au suffrage universel ; le champ législatif du Sénat est celui d’impressionnantes ruines de la démocratie représentative. Voilà le combat que poursuit aujourd’hui Monsieur Larcher.
Il refuse la limitation du cumul des mandats dans le temps et la mise en œuvre de la proportionnelle à la bonne échelle (la région). Pour cela il embrasse toutes les causes susceptibles d’enrayer la volonté d’appliquer les promesses faites par le président de la République (par exemple le projet de réorganisation du Grand Paris et la possible suppression de trois Départements qui en découlerait).
Il le fait en dépit d’une illégitimité totale de la chambre qu’il préside ; et c’est là une troisième indécence. Elle est élue au second degré par un collège de « grands électeurs » qui reste fixé aux principes de l’ordonnance du 15 novembre 1958 qui favorisent les territoires les moins peuplés à peine corrigés par l’extension du nombre de sénateurs élus à la proportionnelle. Est ainsi bafoué le principe constitutionnel de l’égalité du suffrage dans la délimitation des circonscriptions électorales au motif de la défense éternelle des Départements même dépeuplés. Et tant pis si la représentation des nouveaux territoires que sont les Pays, les Agglomérations, les Métropoles, les Régions passe à la trappe.
Tout ceci fait que le Sénat demeure une « anomalie parmi les démocraties » comme l’avait diagnostiqué Lionel Jospin en 1998. De Gaulle en avait précocement tiré cette radicale leçon ( dès 1963) : « Le Sénat tel qu’il est n’a plus aucune raison d’être. »
Nous en sommes toujours là à l’heure d’une révision qui, en dépit de ses limites pourrait être un progrès. Le Sénat prétend exploiter le droit de veto abusif que lui donne l’article 89 de la Constitution. C’est le moment de passer par l’article 11 qui l’écartera pour mieux donner par référendum et directement aux citoyens, le pouvoir « d’organiser les pouvoirs publics » autrement. Ce serait une réponse à la hauteur de l’indécence de Monsieur Larcher.
Paul Alliès
25 janvier 2018
Blog sur Mediapart : UNE AUTRE REPUBLIQUE EST POSSIBLE