La Convention citoyenne relance la question démocratique
La conclusion des travaux de cette assemblée sur le climat pose plus de questions qu’elle n’en résout. En particulier la question démocratique, escamotée par la V° République. La Convention ne semble pas de nature à pouvoir la résoudre même si cette expérience conforte le diagnostic de faillite.
La Convention est une des formules imaginée par le président de la République pour sortir du conflit ouvert par les Gilets jaunes. Elle reposait sur deux spécificités : le mode désignation de ses membres par tirage au sort ; les propositions à faire pour réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. Au terme de neuf mois de travaux qu’en est-il de ces innovations ?
L’introduction du hasard dans l’institution d’une délibération, dès la sélection de ses acteurs est l’objet de propositions et d’expériences déjà anciennes dans un nombre croissant de pays. L’idée est que des citoyens profanes en regard de la professionnalisation des représentants élus, puissent intervenir dans le processus de prise d’une décision. Pour cela, des modèles participatifs ont été élaborés par des politistes qui les ont parfois pilotés. Tous prévoient la confrontation d’experts avec les citoyens sélectionnés.
La Convention citoyenne a sacrifié à ce schéma. Ses 150 membres ont été tirés au sort après la définition d’un panel sur des critères d’âge, de sexe et de profession. Il fallait qu’il soient volontaires pour s’investir dans les travaux de l’assemblée. On ne leur a pas demandé quelles étaient leurs prénotions sur le climat ou l’écologie. D’où une opacité certaine sur la composition de l’échantillon.
L’audition de quelques 140 experts a sans doute réduit les écarts d’information entre les participants. Il semble que leurs interventions aient atteint un niveau moins égalitaire et impartial que dans des cas similaires observés à l’étranger. Toujours est-il que les « citoyens » sont évidemment devenus moins « ordinaires » qu’ils étaient censés l’être lors de leur sélection par le sort. Leur rapport final ressemble beaucoup à un classique rapport d’experts. Les propositions les plus politiques comme la réduction du temps de travail n’ont pas recueilli assez de suffrage pour figurer dans les préconisations.
Les citoyens devenus spécialistes, se distinguent désormais si bien de leurs semblables qu’ils vont créer une « association durable » pour veiller entre autres au suivi de leurs propositions. Elle enrichira sans doute la scène déjà fort peuplée des ONG sur le climat.
Et voilà un premier retour de la question démocratique dans toute sa brutalité : quel est le statut de ce processus dit « participatif » ? Partout où il a été pratiqué sous cette forme, donc à l’initiative d’une autorité instituée (ici le président de la République), il n’a pu se substituer à celle-ci. La délibération produit d’indéniables qualités démocratiques (information, argumentation, échange, légitimation…). Mais c’est le mécanisme de discussion d’une éventuelle décision qui importe finalement plus que la décision elle-même. Le souverain élu demeure bien maitre exclusif de la décision espérée.
Nous sen sommes là, en train d’attendre qu’Emmanuel Macron veuille bien nous dire ce qu’il va faire de sa propre promesse : mettre en œuvre « sans filtre » les 150 propositions de la Convention. Donc par le règlement, la loi ou la Constitution.
Pour les deux premiers moyens, le règlement et la loi, la logique du catalogue de la Convention, s’y prête : de l’interdiction des enseignes lumineuses jusqu’à la limitation de la vitesse sur autoroute, en passant par la rénovation énergétique du parc immobilier (en 2040 !), le gouvernement aura l’embarras du choix. Cela lui permettra peut-être de rattraper ses oublis et régressions cumulées dans le domaine de l’environnement avant le mouvement des Gilets jaunes : la disqualification de la Commission nationale du débat public (qui avait pourtant mis au point une méthodologie participative) ; la suppression expérimentale des enquêtes publiques dans deux régions avant sa probable généralisation ; la dévalorisation du rôle des commissaires-enquêteurs ; la difficulté pour les associations de peser dans les contentieux d’urbanisme dont une nouvelle commission corsète les règles d’accès ; l’impossibilité pratique d’obtenir la destruction de constructions illégales ; la réduction à la portion congrue des études d’impact ; la réduction de la possibilité de contester les installations polluantes dans les installations agricoles ; la fusion programmée de l’Agence pour la biodiversité et de l’Office national de la chasse faisant des chasseurs les seuls protecteurs reconnus de la nature sauvage ; l’arrêté sur les pesticides jugé (par le Conseil d’Etat) comme insuffisamment protecteur de la santé et de l’environnement. On allait oublier la (célèbre) taxe carbone, la fiscalité sur les carburants et la réduction de la part du nucléaire dans la production française d’électricité. Mais il est vrai qu’elles ne faisaient pas partie des thèmes autorisés à la Convention. « L’important, dit une ministre, c’est qu’une part significative des propositions de la Convention se retrouve dans l’agenda du président d’ici la fin du quinquennat ». Le sort du travail de la Convention serait-il de contribuer à la « relégitimation » tant voulue par le déjà candidat à la prochaine présidentielle ?
Reste la Constitution. La Convention, inspirée par l’audition de Nicolas Hulot, a souhaité (bien qu’elle n’ait reçu en rien un pouvoir constituant ) qu’elle soit modifiée pour s’appliquer à deux sujets : la définition du « crime d’écocide » et l’ajout au Préambule de passages sur la « préservation de l’environnement ». Il s’agit là d’un authentique double leurre. Pourquoi ?
– Le crime d’écocide d’abord. Le rapport final dit qu’il faut « un référendum sur l’objectif de légiférer sur le crime d’écocide ». A l’évidence, il s’agirait d’user de l’article 11 (sur le référendum législatif) qui exige que la définition fasse l’objet d’un projet de loi en bonne et due forme ? Voici la définition proposée du nouveau crime : « Constitue un crime d’écocide, toute action ayant causé un dommage écologique grave en participant au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées. Afin que la sanction possible soit dissuasive, la peine encourue doit être, dans le cas d’une violation par une entreprise, outre une peine d’emprisonnement et une amende pour les dirigeants d’entreprise ou les personnes directement responsables, une amende en pourcentage significatif du chiffre d’affaires de cette entreprise et doit inclure l’obligation de réparation ». Cette rédaction a de quoi laisser perplexe. D’abord la matière n’entre pas du tout dans le champ de celles prévues à l’article 11 (en dehors du fait qu’elle comprend une dimension pénale totalement exclue). Devant cette difficulté, le président de la République (qui a le monopole de l’initiative référendaire, faut-il le rappeler ?) décidera-t-il de procéder à un référendum seulement consultatif destiné à « éclairer la représentation nationale » comme il s’y est dit prêt ? Il y a quelques mois le Parlement, saisi de propositions de loi sur l’écocide, les a rejetées (le Sénat en mars 2019, l’Assemblée Nationale en octobre 2019). Le référendum aura donc pour principal effet de faire trancher par le peuple un différent entre ses élus et les citoyens tirés au sort. On peut rester sceptique sur la mobilisation populaire (le taux de participation) que les termes de la définition indiquée pourraient produire. Il faudrait donc y greffer quelques autres sujets au grand risque que le référendum ne soit qu’« indicatif ». Tout çà pour çà ?
– L’introduction de nouveaux principes dans le Préambule de la Constitution. Il s’agirait d’ajouter à la proclamation de « l’attachement aux droits de l’Homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789 », la phrase : « La conciliation des droits, libertés et principes qui en résultent ne saurait compromettre la préservation de l’environnement, patrimoine commun de l’Humanité ». En outre l’article 1° (placé dans le Préambule pour mieux définir ce qu’est la République française « indivisible, laïque, démocratique et sociale » ) se verrait augmenté de l’injonction suivante : « La République garantit la préservation de la biodiversité, de l’environnement et lutte contre le dérèglement climatique ». Pour mémoire, il y a toujours sur le bureau de l’Assemblée Nationale depuis le 29 août 2019 un projet de loi constitutionnelle (Pour un renouveau de la vie démocratique) d’initiative présidentielle qui prévoyait, en des termes plus prudents, d’ajouter au même article 1° « La République favorise la préservation de l’environnement, la diversité biologique et l’action contre les changements climatiques ». Ce projet est toujours en panne car il exige l’application de l’article 89, donc le respect de lourdes et lentes procédures (auxquelles n’échappera pas le projet de la Convention) pour parvenir à une révision par référendum.
– Deux remarques :
D’abord la Constitution a intégré depuis 2005 une « Charte de l’environnement » qui contient 7 considérant et 10 articles. Et la « préservation de l’environnement » figure à l’article 34 de la Constitution parmi les matières dont le législateur doit fixer les principes fondamentaux. La révision reviendrait donc à ajouter le « dérèglement climatique » et la « biodiversité » à la liste des maux listés par la Loi fondamentale. Signalons alors l’oubli, par exemple des « perturbateurs endocriniens ». Faudra-t-il le réparer par une prochaine révision ? La forme grammaticale utilisée pour cette rédaction (l’impératif qui en droit, appelle une obligation de moyens si ce n’est de résultat) est inutile et dangereuse.
Ensuite et logiquement, la Convention semble vouloir donner au Conseil constitutionnel et au Conseil d’Etat un rôle majeur. Ce sont eux qui seraient amenés à interpréter ces nouvelles dispositions constitutionnelles et à sanctionner leur non respect comme leur non application. Ce sont eux qui feront éventuellement produire des effets aux textes concernés, comme si le Parlement et l’Exécutif pouvaient s’exonérer encore un plus de responsabilité dans ces nouveaux combats.
Cette philosophie est sans doute logique dans une démarche qui promouvait le tirage au sort, la démocratie participative contre l’élection de représentants et la démocratie délibérative. Elle s’est nourrie des carences d’un système où le Parlement est atrophié, où un président irresponsable gouverne seul, et où le Premier ministre sert à ce dernier de faire-valoir, révocable à merci.
Comment faire l’impasse sur l’état de délabrement de ces institutions, aggravé par la crise sanitaire ? Le tableau est impressionnant.
– Le Parlement s’est laissé déposséder de ses fonctions de législateur et de contrôleur. Il a voté en quatre jours trois lois d’urgence sanitaire et dans la même précipitation et sans véritable débat, leur prorogation jusqu’au 30 octobre 2020. Il s’agit pourtant de textes apportant des restrictions inédites aux droits et libertés en vigueur. De la même manière il a voté deux lois de finances rectificatives à quelques jours de distance. Il a abandonné des pans entiers de « mesures qui sont normalement du domaine de la loi » (art. 38) et donc de son exclusif ressort, aux ordonnances à répétition du gouvernement.
– Le gouvernement a soigneusement et comme jamais, réduit le champ de contrôle parlementaire de ces ordonnances. Le Premier ministre s’est attribué des pouvoirs exceptionnels en matière de droit de manifestation, de réunion, jusqu’au droit de la défense en matière pénale. Il a élargi ainsi le champ des libertés fondamentales passées sous contrôle du gouvernement depuis le début de l’épidémie. Il a mis sur pied une « commission d’enquête indépendante sur la gestion de l’épidémie » destinée à faire concurrence à celles des commissions parlementaires .sur le même sujet.
– Le président a fait de la communication très personnelle durant toute la crise, concentrée sur ses discours télévisés et des annonces surprenant les ministres, esquivant soigneusement le moindre échange avec des journalistes. Prolixe sur « la guerre du Coronavirus » mais mutique sur les violences policières ou raciales. Après la création de deux comités scientifiques aux statuts et composition indéfinis, il a privilégié le conseil supérieur de la Défense nationale (qu’il préside en vertu de l’art. 15 de la Constitution) seule instance où il serait, a-t-il dit en « capacité d’agir en patron » (et ainsi favoriser l’ouverture précoce et privilégiée du Puy du Fou). Il a ainsi pratiqué impunément l’abus de fonction et de droit en utilisant une structure spécialement dévolue aux questions de défense et de sécurité nationale. Et il a renforcé l’exercice solitaire du pouvoir, contre le Premier ministre et le gouvernement. Il en est aujourd’hui à proposer une scandaleuse inversion du calendrier électoral, en renvoyant les scrutins départementaux et régionaux aux lendemains de la présidentielle.
Ce tableau ne serait pas complet si on n’y rangeait pas la défaillance du Conseil Constitutionnel et du Conseil d’Etat.
Le premier a multiplié les renoncements comme jamais par le passé : validation du viol des règles d’adoption des lois organiques (article 46 de la Constitution) donc de la loi d’urgence sanitaire ; validation de la valeur législative d’une ordonnance non-ratifiée dans les délais d’habilitation ; validation de l’omission d’une information obligatoire du Parlement dans la loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire. Il a fallu l‘énormité de textes comme celui de la loi Avia (contre la haine en ligne) pour qu’il se pose comme le défenseur de la liberté d’expression et de communication. Mais en matière d’équilibre des pouvoirs, le Conseil a largement basculé dans le camp d’un gouvernement devenu législateur selon son bon plaisir.
Le second a confirmé et augmenté la confusion entre son rôle de juridiction et de conseil du gouvernement. Il n’a accueilli que 3% des requêtes qui lui ont été adressées. Il a ainsi couvert des excès de pouvoir en tout genre, fragilisant d’autant l’Etat de droit qu’il est censé défendre.
Voilà l’état des lieux d’une V° République devenue un astre mort de la galaxie démocratique. La pratique dévoyée de ses institutions a sa part de responsabilité dans l’échec global de l’Etat dans sa lutte contre une crise sanitaire majeure. La défiance des citoyens vis-à-vis du personnel politique qui habite ces institutions bat des records en Europe, y compris par rapport aux pays qui enregistrent des statistiques sanitaires pires. La crise du Coronavirus a mis à nu les dégâts d’un système de centralisation et de concentration a-démocratique du pouvoir, spécifique à la France. Le recours à des instances participatives comme la Convention citoyenne peut donc apparaître logiquement comme une réponse systémique à cette faillite démocratique. Elle ne saurait bien sûr être la solution.
La liste des partisans d’une refondation complète des institutions de la République s’allonge de jour en jour, avec des propositions dont il faut débattre sans plus tarder.
Elles s’inscrivent dans le cadre de la démocratie délibérative, voie qui permet de conjuguer les formes différentes de la démocratie moderne : la démocratie représentative qui demeure un acquis dès lors qu’elle repose sur la séparation et l’équilibre des pouvoirs. ; la démocratie participative qui est une méthode qui fortifie la délibération et la bonne décision. ; la démocratie directe qui garantit un arbitrage de principe sans appel dans des choix de société comme de pouvoir.
La Convention citoyenne oblige à se poser ces questions dans une France engluée dans un régime présidentialiste à la fois anachronique, obsolète et exotique. Elle ne doit pas rester un instrument entre les mains du président. La société et les forces démocratiques doivent se saisir de son expérience sans tarder.
Paul Alliès
24 juin 2020