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Le virus et la (V°) République

vendredi 26 février 2021, par Bernard VIVIEN

Les commentaires sur la gestion de la pandémie vont bon train dans les médias. Pas de jour où des "spécialistes" exposent ce qu’il faudrait faire. Mais très peu s’interrogent sur ce qui in fine est la source principale des dysfonctionnements dans la gestion comme dans la communication de la crise.
C’est à cette réflexion que nous incite Paul Alliès, président de la C6R, dans cet article dont la lecture est une occasion de prendre du recul et de ne pas se tromper sur le diagnostic .
Bernard Vivien.

Un an que la France a basculé dans le monde confiné de la pandémie. Un temps assez long pour juger de l’efficience de ses institutions dans une crise majeure. Mais si le procès du présidentialisme a bien été instruit en temps réel, il ne semble pas mettre en cause les responsabilités du régime politique lui-même. Et pourtant.
Tout semble se passer comme si le virus n’affectait pas la V° République. Comme si les résultats obtenus par les politiques sanitaires étaient indifférents au bon ou mauvais fonctionnement des institutions politiques. Comme si les performances variables d’un pays à l’autre étaient à comparer à l’aune du seul leadership de leur chef.

Dit autrement : la bonne santé démocratique des institutions confrontées à la pandémie pourrait être mise entre parenthèse comme critère, parmi d’autres d’efficacité sanitaire. Peu importe que le régime soit parlementaire, primo-ministériel ou présidentialiste. Seuls, le savoir-faire et le style des gouvernants importeraient.

La sortie de la crise, ses conséquences sociales, l’inventaire des dysfonctionnements, changeront sans doute cette perception. Mais elle appelle dès maintenant une analyse spécifique. Dans les débats de l’élection présidentielle, il ne suffira pas d’invoquer une 6° République pour convaincre de la nécessité d’un changement démocratique.

Avant d’aborder ce sujet (la 6° République comme solution) dans un prochain billet, voyons comment l’hyper-concentration du pouvoir présidentiel a produit (autant qu’il a été le produit d’) une crise organisationnelle propre à la France. Et comment celle-ci a aggravé l’épuisement de la valeur démocratique des institutions de la V° République. Pour de médiocres résultats contre le Covid.

1 - Une crise organisationnelle très politique.

La centralisation du pouvoir de décision par le président de la République a été maximale. Comme s’il avait eu recours à l’article 16 de la Constitution (qui donne au seul président l’ensemble des pouvoirs d’Etat, y compris législatifs).

L’Exécutif a multiplié la création d’organismes dont beaucoup sont venus compliquer le tissu déjà dense, des dispositifs de crise. Et pour certains, sans base légale ni règlementaire (sauf mention expéditive dans la loi d’urgence sanitaire du 23 mars 2020).

C’est le cas du Conseil scientifique dont les membres ont été nommés intuitu personae sans définition précise de leur mission (sinon « se prononcer sur les mesures prises » jusques et y compris sur le maintien du 1° tour des élections municipales). C’est le même profil qui va avec le Comité analyse-recherche et expertise, réunissant 12 médecins devant se prononcer sur les questions relatives aux tests. C’est encore le cas du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale, qui mêle 35 citoyens tirés au sort, à des experts de l’immunologie.

On ignore les modalités de recrutement, les règles de fonctionnement, les procédures de délibération de ces comités ad hoc.

Leur création va avec le recours généralisé à des cabinets de conseil privés pour élaborer la « stratégie » des ministères. Il témoigne de la défiance doctrinale de la Haute fonction publique dans son ensemble vis-à-vis des administrations de la République, vues comme un obstacle à l’action publique.

On a ainsi assisté à une marginalisation du grand nombre de structures compétentes pour traiter des problèmes de santé, jusque dans l’urgence : depuis la Haute autorité de santé, jusqu’à l‘Agence du médicament, en passant par le Haut conseil de santé publique ou Santé publique France. L’expertise institutionnelle française dans le domaine de la santé était reconnue comme une des plus dense d’Europe : au-delà des grands organismes déjà cités, le tissu des instituts, sociétés savantes, académies, ordres professionnels, agences (sans oublier les services de sécurité civile très performants), tous ont été doublés par les nouveaux "comités savants".[1]

Les sociologues de l’action publique et des crises connaissent bien ce phénomène inflationniste de créativité organisationnelle quelque peu pathologique. En l’occurrence, ils en attribuent la cause à la fois à l’érosion des moyens de santé publique depuis une décennie, aux mauvaises leçons tirés des alertes précédentes (notamment l’épisode de la grippe H1N1 de 2009), et à la sous-estimation des signaux d’alerte (dès la fin de 2019). L’effet-panique en est la décision prise en catastrophe, du confinement généralisé le 17 mars 2020. Elle s’est prolongée dans une frénésie organisationnelle qui a posé un nouveau problème de coordination et de coopération au sein de l’appareil d’Etat.

La nécessité de mettre de l’ordre dans ce paysage de plus en plus complexe a alors conduit à la nomination d’un ancien directeur général de la Gendarmerie nationale (le général Lizurey) et de l’ancien directeur de cabinet de Xavier Bertrand lors de l’épidémie du N5NI (Jean Castex). Ils ont été chargés de piloter la coordination interministérielle, l’un en début et l’autre en fin de confinement. Cette tâche, bureaucratique et hors sol, était bien faite pour libérer le président de la République, non seulement de son Premier ministre (le remplacement de Philippe par Castex le 3 juillet 2020,venant mettre en accord le droit avec ces faits), mais aussi de toutes les contraintes environnantes potentiellement gênantes. Le but était bien de maximiser le pouvoir de décision autonome du président.

C’est ainsi que fut promu le Conseil de Défense et de Sécurité Nationale, organe qui devint central dans la stratégie contre le Covid dès lors que le président proclame le pays « en guerre ». Institué en 2009, il s’inscrit dans une ancienne tradition (inaugurée en 1906) qui exprimait la méfiance de la République contre le pouvoir militaire. Il s’agissait alors de contrôler ce pouvoir en s’inspirant de ses méthodes[2].

Ce n’est plus le souci aujourd’hui, sauf pour raccourcir la chaine de commandement, entre décision et exécution, par-dessus le gouvernement lui-même. Le Conseil est donc moins fait pour prendre de bonnes décisions que pour être une instance en capacité de décision exclusive. Il déroge donc à toutes les règles de fonctionnement des pouvoirs traditionnels mais aussi à leur éventuelle confrontation (y compris avec l’administration). Un pouvoir sans contrôle est ainsi conquis par le président de la République.Il s’est réuni 46 fois en un an.

Il est devenu synonyme de décisions erratiques, jusqu’à être ramenées en ce moment à des "paris présidentiels" très personnels (confinement partiel ou général ; stop and go ou stratégie zéro Covid). Ce modèle de concentration et centralisation du pouvoir à un stade jamais atteint sous la V° République, crée un dangereux précédent. Qu’en adviendra-t-il une fois la crise sanitaire passée ? Et après la prochaine élection présidentielle ?

Cette crise organisationnelle est donc très politique. Mais en quoi est-elle singulière ?

2- Une crise singulière très française.

La pandémie, c’est dans sa nature, semble frapper tous les pays et appeler les mêmes remèdes (des gestes barrières à la vaccination en passant par le confinement). La question du rapport de la crise sanitaire avec les institutions politiques reste pendante, jusque dans ses effets électoraux (plutôt faibles dans les dernières élections américaines, semble-t-il[3]).

Savoir si l’hypertrophie présidentielle et la crise organisationnelle qui l’a exprimée, font de la France un cas à part, intéresse notre interrogation sur les effets politiques de la lutte contre le Covid-19.

Les différences entre ses effets sont remarquables quand on compare la France et l’Allemagne : on observe ainsi leur très inégale capacité institutionnelle à mettre en œuvre les dispositifs de gestion de l’épidémie[4].

La comparaison est légitime et possible, dans la mesure où le système sanitaire des deux pays procède du même « régime bismarckien », historiquement bâti sur des institutions assurantielles (la cogestion de l’assurance sociale). Ils ont en commun de semblables niveaux de dépense et institutions de santé.

Dans le domaine qui nous occupe, la comparaison met en évidence une performance générale de l’Allemagne, tant sur le plan des résultats que sur les moyens démocratiques employés pour les obtenir.

Les chiffres sont sans appel, du début de la pandémie (136 décès par million d’habitants en Allemagne contre 600 en France) à aujourd’hui (389 contre 958 en décembre 2020).

Plusieurs causes expliquent cet écart. D’abord les mesures fédérales prises dès l’origine de la crise : la politique active et précoce de dépistage, se donnant les moyens d’appliquer la règle de l’OMS (tester, tracer, isoler) jusqu’au bout ; la veille sanitaire de l’Institut Robert Koch, institution centenaire forte de 1200 collaborateurs dont la moitié de scientifiques (renforcés par de nouvelles recrues pour la circonstance). Ses recommandations sur tous les aspects de l’épidémie et les mesures à prendre, ont été suivies par toutes le administrations, fédérales comme locales.

C’est là, dans le système de décentralisation, qu’est la principale cause de la performance allemande. Ce système est d’abord constitutionnel : il reconnaît aux Länder une compétence, partagée avec l’Etat central, en matière de santé publique. En l’espèce, il a produit un état de négociation permanente entre les deux niveaux de gouvernement, jusqu’aux aspects les plus détaillés des mesures à prendre contre l’épidémie en mobilisant toutes les strates d’élus. Cette méthode est d’obligation constitutionnelle. A l’opposé de la France, la Loi fondamentale allemande ne reconnaît pas à l’Exécutif la compétence d’édicter des règles générales en période de crise (ni d’ailleurs pour prendre des mesures spécifiques prévenant des troubles à l’ordre public qui leur seraient liées).

Mais ce système est aussi celui d’une décentralisation systémique des organes de santé publique. Ce sont les villes (ou les districts, circonscriptions administratives de certains Länder) qui ont la tutelle de quelques 400 offices locaux de santé publique, compétents pour appliquer les mesures de veille sanitaire comme de lutte contre l’épidémie dans tous les secteurs (jusqu’à la protection infantile et l’hygiène publique). Ils ont bénéficié, dès le mois d’avril 2020 des personnels locaux ou d’Etat (pompiers, travailleurs sociaux, militaires, étudiants en médecine), soit 5900 emplois supplémentaires qui se sont ajoutés aux 13.900 permanents.

C’est avec ce système global/local que la Chancelière a maintenu un échange constant et productif (le jour même où elle prenait la présidence tournante de l’UE, elle a tenu une longue conférence virtuelle avec 500 de ces praticiens communaux). En même temps, le président de la République récusait toute métaphore guerrière contre le virus ; et le gouvernement s’interdisait toute approche punitive des citoyens dans le respect des mesures de prophylaxie. Le résultat en est un taux de confiance et d’approbation (deux tiers) resté stable et record dans l’opinion (35% en France). Il n’est pas dû à l’allure maternelle et débonnaire de la Chancelière mais à ce système de santé publique immergé dans la société.

Nous sommes à des années-lumières de celui que la France a fait prospérer jusqu’à la caricature.

Son système de santé ultra-verticalisé, est resté piloté par des organes (Agences Régionales de Santé et Assurance-maladie) orientés vers la régulation de dépenses de santé et de l’offre de soins. Une initiative comme celle lancée par la Ville de Paris et l’APHP en Mai 2020 (Covisan), avec 34 équipes mobiles et 800 personnes formées pour aller sur le terrain, est restée unique et sans lendemain.[5] Aux chercheurs qui réclamaient des « états généraux ou une conférence de consensus en harmonie avec les connaissances scientifiques et la communauté internationale, en impliquant au maximum la société française dans sa diversité », il fut répondu par le "Ségur de la santé", limité à la question de l’hôpital avec les réponses décevantes que l’on sait. Les décideurs politiques en France ont depuis longtemps perdu de vue l’intérêt d’un lien avec les milieux et l’état de la recherche[6].

Inquiet sans doute de la bunkérisation du dispositif des conseils scientifiques, le président du principal d’entre eux, Jean-François Delfraissy propose au Premier ministre dès le 14 avril 2000, un « Comité de liaison avec la société » pour « mieux impliquer la société ». Il est soutenu par la Société Française de Santé Publique et des ONG comme France Assos Santé qui disent « avoir plus que jamais besoin d’une approche démocratique de la santé ». Tous attendent toujours une réponse.Quant aux élus des collectivités territoriales, ils n’ont jamais été impliqués dans les circuits de décision.

La spécificité sanitaire de la crise a donc amplifié à l’extrême la défaillance démocratique des institutions de la V° République[7] : un Parlement mis en veille et ne s’estimant plus en mesure d’exercer sa fonction de législateur. Un champ laissé libre à l’invasion massive du gouvernement par ordonnances (129 adoptées en 2020, soit +118% par rapport à 2019). Une banalisation des états d’urgence (le parlement vient de voter le 20 janvier, la 7° version de la prolongation jusqu’au 1° juin 21 de l’état d’urgence sanitaire de la loi du 23 mars 2020). Un Conseil constitutionnel allant jusqu’à valider certaines de ces ordonnances non-ratifiées dans les délais et censurant l’obligation faite au gouvernement d’informer les assemblées de décisions sanitaires touchant aux personnes. Un Conseil d’Etat abdiquant dans sa fonction de garantie des droits et libertés (il n’a accueilli que 3% des requêtes concernant le contentieux lié au Covid en 2020). Et voilà qu’on apprend ce jour qu’ Emmanuel Macron « réfléchit à une manière de vivre avec le Covid 19 » alors qu’il a installé une société de surveillance et de punition.

Les institutions de la V° République sont la façade d’un régime politique dont l’intérieur est constitutionnellement délabré et démocratiquement ravagé. Le plaidoyer pour une 6° République, tenant compte des leçons de cette crise, devient donc essentiel pour éviter que les prochaines élections présidentielles ne tournent à la catastrophe.
Paul Alliès
25 février 2021

[1] H. Bergeron, O. Borraz, P. Castel, F. Dedieu. « Covid-19 : une crise organisationnelle. » Paris, Presses de Sciences Po. 2020

[2] N. Roussellier. « Le Conseil de Défense : dérive autoritaire ou régime de nécessité ? ». in AOC, 15/01/21

[3] P. Seabright. « Une pandémie ne défait pas forcément une élection ». in Le Monde, 25/02/21

[4] B. Jobert. « La santé publique : apprendre de l’expérience allemande ». AOC. 29/01/21

[5] Voir l’interview de l’épidémiologiste Renaud Piarroux dans Mediapart le 10 décembre 2020.

[6] On ne résiste pas au plaisir de signaler le cas de l’ineffable ministre Frédérique Vidal qui a confondu devant le Sénat deux techniques de microscopie, en déclarant non prioritaire celle qui aurait permis de repérer le Covid-19. Il n’y a donc pas qu’en sciences sociales qu’elle fait preuve d’amateurisme.

[7] On se permet de renvoyer aux diagnostics (et pronostics) établi dans les cinq épisodes (du 9 au 18 avril) publiés et réunis dans ce blog le 18 avril 2020 sous le titre : « Crise sanitaire et crise démocratique ».

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