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Convention pour la 6ème République

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Lettre ouverte à Clémentine Autain

Un billet de Paul Alliès

jeudi 27 avril 2023, par Paul Alliès

Elle est une des rares responsables de gauche à défendre la perspective d’une 6° République comme issue à la crise ouverte par la réforme des retraites. Cet engagement mérite un débat sur ses analyses et propositions.

Depuis la validation par le Conseil constitutionnel de la loi sur les retraites, la députée de Seine-Saint Denis mène une véritable campagne dans les médias pour que la promesse programmatique de La France Insoumise (mais aussi de la Nupes) d’une 6° République, soit prise au sérieux. Elle a publié un texte en ce sens, dans la page Idées du Monde de ce 25 avril : « Ce régime sous lequel nous vivons depuis soixante-cinq ans est une anomalie ». Il appelle quelques remarques, résumées dans la lettre qui suit.
Paul Alliès

Lettre ouverte à Clémentine Autain

Chère Clémentine Autain,

Bravo pour ton courage[1] d’oser aller sur les plateaux télés, les ondes et les colonnes de la presse écrite, défendre avec conviction l’idée d’une 6° République. Mais aussi d’être une des très rares responsables politiques à ferrailler pour donner corps au Chapitre 5 du Programme de législature de la NUPES (« 6° République et démocratie »).

Je te fais part des remarques susceptibles de nourrir le débat auquel tu appelle, notamment dans ton dernier texte paru dan Le Monde.

Tu établis un diagnostic de « mort clinique » d’un régime devenu une arme pour imposer « sa loi contre la majorité » de la société. Je voudrai pouvoir le partager mais nous avons vécu trop de crises de ce pouvoir césariste dans l’histoire de la 5° République, pour craindre un enterrement institutionnel de celle-ci. Surtout (et tu le rappelle fort justement) que les renoncements de ceux portant une alternative à ce « coup d’état permanent » ont été aussi nombreux que ces crises, le renoncement devenant une vraie culture de la gauche dite de gouvernement.

Donc parler de « dernier coup porté à un régime à bout de souffle » me semble risquer d’entretenir l’illusion qu’il va s’effondrer tout seul, d’ici la prochaine élection présidentielle dans quatre ans. Il faut donc faire de ce changement un objectif en soi et de tous les instants.

Il se trouve que les mobilisations sur les retraites ont rendu le peuple, sinon savant, du moins éclairé sur des sujets constitutionnels trop souvent réservés à l’examen des « experts ». Tout un chacun ou presque est devenu capable d’expliquer l’article 49-3 et parfois même le 47-1 si ce n’est le 44-2 et 3. La détestation provoquée par le recours au 49-3 s’est étendue au régime de la V° République lui-même : il s’est dévoilé comme un régime a-démocratique. Il n’est donc pas interdit d’imaginer des citoyens ordinaires se saisissant des instruments requis pas les changements constitutionnels, exactement comme dans la séquence de la campagne référendaire sur la « Constitution européenne » au printemps 2005 .

Les instruments que tu avances sont dans la plate-forme de la Nupes et surtout de LFI. Ils se ramènent à « une assemblée élue à la seule fin de redéfinir de nouvelles règles constitutionnelles ». C’est bien la Constituante qui est le point central des propositions de La France Insoumise depuis une décennie. « Rien de très original » dis-tu, la chose « ayant fait ses preuves dans la tradition républicaine ». Oui et non. Plusieurs expériences contemporaines, de l’Islande entre 2009 et 2012 jusqu’au Chili en 2022, ont débouché sur des échecs. La formule du tirage au sort des membres de cette assemblée, dans des termes souvent proches de ceux prévus par LFI, apparaît comme un facteur de ces résultats négatifs.

En outre restent sans réponse des questions sur le mode de convocation de cette Constituante, ses règles de délibération, ses rapports aux institutions en place. Les lacunes de cette formule me semblent être au nombre de trois :
 une fétichisation excessive de l’Assemblée constituante qui sera chargée « d’engager le processus constituant » (sans que, ni sa composition, ni sa nature ne soient clairement définies alors que sa durée -2 ans- reste excessive et inexpliquée) ;
 une faiblesse insigne des propositions pour associer efficacement les citoyens à la délibération constitutionnelle ;
 une absence quasi totale de définition de la transition politique pendant ce processus.

Des propositions ont été étudiées et faites par des associations, avançant d’autres voies définissant un processus plus convaincant[2] : celle d’un passage par l’article 11 de l’actuelle Constitution à l’occasion d’une élection présidentielle ; ou celle des assemblées citoyennes (Conventions constitutionnelles) pratiquées avec succès par l’Irlande entre 2011 et 2018 .

Ce sont des propositions plus rassurantes pour une opinion qui peut se montrer inquiète devant une aventure constitutionnelle incertaine. Car il n’y a pas que « la pensée dominante qui a peur de ce changement, de cette subversion de nos institutions ». On n’aurait garde d’oublier le front des partisans de la V° République telle qu’elle est, Marine Le Pen en tête[3].

Tu évoques l’urgence d’une « grande discussion politique (sur) une nouvelle République sociale et écologiste ». Largement ouverte à tous les citoyens, elle est une méthode susceptible de faire de la mobilisation populaire sur les retraites un atout pour un grand changement en 2027.

Paul Alliès

[1] Il en faut quand on voit le spectacle, digne des alcooliques anonymes, du duo Debré-Apathie sur le plateau de Quotidien le 4 avril dernier, s’en prenant aux « imbéciles » partisans d‘une 6° République.

[2] parce que construisant un processus participatif et interactif précis, ouvert à tous les citoyens. Voir les 30 propositions pour avancer de la Convention pour la 6° République (2014) et le rapport « Osons le big-bang démocratique » de la Fondation pour la Nature et l’Homme (2017).

[3] Marine Le Pen : « Quand certains parlent d’aller vers une VI° République, je leur dit : revenons déjà à la V° (…) Les institutions de la V° République sont tout à fait aptes à exprimer la démocratie pour le peuple français ». (18/02/2017). Et d’en conclure (12/04/2022) : « Je ne renonce à utiliser aucun des articles de la Constitution, car cette Constitution est une merveille d’équilibre et par conséquent, elle a été conçue pour que l’ensemble des articles puissent être utilisés » Le 49-3 et le 16 autorisant une dictature légale.

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