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Macron et la réforme de la Constitution : comment, jusqu’où ?

vendredi 9 février 2018, par PAUL ALLIES, Bernard VIVIEN

Dans ce texte publié sur son blog de Mediapart ce jour, Paul Alliès fait une synthèse des points abordés par le Café Citoyen C6R de Montpellier lors de sa réunion du 31 janvier dernier, répondant ainsi à une demande de plusieurs participants.
Se trouvent ainsi réunis les principaux éléments d’information utiles à toutes celles et tous ceux pour qui une réforme de la Constitution qui ne serait que le produit d’un marchandage entre "oligarques" (pour reprendre le mot utilisé par Paul Alliès) serait un déni démocratique, et partant, une occasion manquée d’un indispensable renouveau démocratique. Bernard Vivien.

Macron et la réforme de la Constitution : comment, jusqu’où ?

On l’attendait au tournant Corse. Il aurait pu développer son idée de nouveau « droit à la différenciation ». Mais non. Ce qui fera son effet, c’est l’annonce d’une énigmatique « mention » de la Corse dans l’article 72.
En ce moment, entre Macron et Larcher la Constitution fait du yoyo.

Comment et jusqu’où le président de la République ira-t-il dans sa volonté affichée dès sa campagne électorale, de réformer la V° République ?

Le « comment » on prépare cette réforme, est vite vu. Voilà depuis des semaines que se nouent et se jouent des tractations au plus haut sommet de l’Etat. La voie jusqu’ici choisie, celle d’une révision par la voie exclusivement parlementaire, contraint à une recherche de compromis avec le Sénat. La majorité des 3/5° requise pour adopter le texte en Congrès (les deux chambres réunies) suppose que la majorité de droite (les 146 sénateurs LR) vote le texte. Et cet injustifiable droit de veto fonctionne pleinement. D’où le véritable chantage, conservateur et indécent de Monsieur Larcher (voir notre dernier billet ici le 25 janvier), par ailleurs soutien actif de Laurent Wauquiez.

De ce fait la tradition des « comités consultatifs préparatoires » réunissant et auditionnant des experts et (parfois) des ONG, est rompue. Oubliés les comités Vedel (1992), Balladur (2007), Jospin (2012). Le président de l’Assemblée Nationale sert de caution en avançant quelques propositions usées jusqu’à la corde des colloques passés ou à venir (ce lundi par exemple). C’est donc bien à une régression du minimum démocratique à laquelle nous assistons, voué aux gémonies avec « l’ancien monde ».

Mais ce sacrifice à une improbable modernité permettra-t-il à Emmanuel Macron d’aller jusqu’au bout de ses promesses électorales ? Cette question soulève le problème du « comment » on tranchera finalement sur le fond, au terme du processus. Selon quelle procédure de révision ? Ce n’est pas que du droit ; c’est un instrument de mesure pour savoir jusqu’où ira le président de la République pour réformer.

Pour rendre compréhensible cet enjeu très politique, il faut d’abord mettre au clair ce paradoxe qui veut que seuls les sujets qui exigent sans conteste une révision du texte constitutionnel, font consensus : la suppression de la Cour de Justice de la République, la modification de la composition du Conseil Supérieur de la Magistrature, la disparition du siège de droit des anciens présidents de la République au Conseil Constitutionnel.

Mais ce bloc que la droite sénatoriale est prête à voter sert de monnaie d’échange pour tout le reste (qui pourrait être adopté par voie législative), c’est à dire l’essentiel où le diable se cache dans les détails. Exemples :

 La réduction du nombre de parlementaires (et de membres du Conseil Economique, Social et Environnemental). Larcher se dit d’accord. Mais à condition que le Sénat soit avantagé. En clair que le nombre de sénateurs soit un peu au-dessus du ratio établi entre les deux chambres. Soit la réduction de 348 à 244 sièges au lieu de 230 selon le ratio (14 sénateurs de plus). En outre, il faudrait que les Départements les moins peuplés (ceux qui sont au-dessous de l’écart admis par le Conseil Constitutionnel de plus ou moins 20% de la moyenne démographique) aient toujours droit d’élire un sénateur. Entre quarante et cinquante Départements seraient dans ce cas. Les calculs sont en effet compliqués par l’introduction de la proportionnelle dans les élections législatives.
 La dose de proportionnelle prévue (soutenue par De Rugy) serait de 30% soit environ 90 sièges de députés. Cela conduit à agrandir les 577 circonscriptions pour n’en garder que 313 où les députés seraient toujours élus au suffrage uninominal majoritaire. Il faudra donc redécouper les actuelles circonscriptions en validant toujours et encore la norme démographique du Conseil Constitutionnel. Le cadre départemental ne le permettra pas. C’est celui de la Région qui s’impose. Mais Larcher ne veut pas en entendre parler : « Pour moi, le Département doit rester la base de l’élection des parlementaires » (ses vœux le 15 janvier). En conséquence, bien que le Conseil d’Etat l’ait déjugé le 13 décembre dernier, il bloque la mise en place de la « commission indépendante » qui se prononce (article 25 de la Constitution) sur les textes « délimitant les circonscriptions pour l’élection des députés ou modifiant la répartition des sièges de députés ou de sénateurs ».

On voit donc bien que, même sur ces deux sujets qui ne requièrent pas de révision de la Constitution, le soi-disant accord exprimé par la droite sénatoriale n’en est pas un.

Restent les matières affichées comme conflictuelles.

 D’abord la limitation de la durée du mandat de parlementaire à trois consécutifs. Le Niet à ce qui est un élément central de la fin du cumul des mandats est de type soviétique. Le président LR de l’Assemblée Nationale l’a qualifié (le 14 janvier à l’AFP) de « totalement ridicule » et « démagogique » en ajoutant : « J’en suis à mon sixième mandat de député et je n’ai pas à m’excuser que les gens me fassent confiance sur mon territoire ». Cette conception féodale du mandat est étrangère à une modernisation de la démocratie représentative mais tant pis ; la droite archaïque n’en a cure. Elle a installé l’idée qu’une révision de la Constitution sur ce point est obligatoire, ce qui se discute pourtant. On peut défendre qu’une loi organique (adoptée à la majorité absolue des membres des deux chambres et pas seulement des présents) y suffirait.
 Ensuite l’introduction de ce nouveau « droit à la différenciation ». Il permettrait aux collectivités territoriales d’aller plus loin que la simple « expérimentation » rendue possible depuis la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 (mais qui n’a quasiment été jamais mis en œuvre hormis sur le RSA par des Départements en 2007). Il viendrait s‘ajouter (avec la mention de la Corse déjà refusée par la même droite juste après le discours de Macron à Bastia ce 7 février) au déjà long et composite article 72 de la Constitution traitant des « collectivités territoriales de la République).

A ce stade, l’usage fait du droit constitutionnel renoue avec la plus ancienne tradition : celle qui érige le Sénat en « pouvoir d’empêcher » la moindre évolution de la Loi fondamentale . Il l‘a peu ou prou conservé depuis son apparition dans la Constitution de l’An VIII après le coup d’Etat de Bonaparte.
Sous la V° République il a fait de l’article 89 un bastion rendant suspecte toute tentative de révision qui n’aurait pas son aval.
Ainsi en 1962 quand De Gaulle le contourne pour instaurer l’élection du président au suffrage universel direct, il forge le « cartel des Non » contre le référendum-plébiscite décidé par le Général. L’échec du même « appel au peuple » en 1969 enterrera pour longtemps l’usage du référendum pour réviser la Constitution. Avec une exception voulue par Jospin, le 24 septembre 2000 pour voir adopté le Quinquennat mais avec 25,3% (sept électeurs sur dix) d’abstention.
Pourtant la procédure de l’article 11 demeure, selon la majorité des juristes valide. Comme le résumait Dominique Rousseau sur le site du Conseil Constitutionnel en 2008 : « L’article 11 s’est imposé comme modalité possible de révision parce que l’article 89 donne au Sénat un pouvoir de blocage exorbitant (et dénoncé comme tel par le Général De Gaulle). Il est ainsi devenu, comme le disait le doyen Vedel « ce que les dirigeants élus veulent qu’il soit » ».

Cette procédure n’est pas condamnée à n’être qu’un plébiscite. Elle est même une consultation populaire qui a toute sa logique dès lors qu’il s’agit de toucher à un texte définissant l’organisation des pouvoirs dans la nation. C’est d’ailleurs la voie qu’a longtemps défendu Arnaud Montebourg pour aller vers une 6° République. Il l’assortissait de moyens démocratiques renforcés : délibération interactive ouverte à tous le citoyens et "forum national constituant" durant deux mois avant le référendum. Comme pour les actuels Etats généraux de la bioéthique, il prévoyait des conférences de citoyens « représentant la société dans sa diversité » pour sortir du cercle restreint des spécialistes. On doit se souvenir de l’engouement suscité par la referendum du 29 mai 2005 auquel avaient participé 70% des électeurs inscrits.

Le sondage administré le 5 février dernier par Harris pour LCP le confirme : 93% des personnes interrogées sont favorables à la limitation du nombre de mandats consécutifs et 74% aux autres principales mesures. Avec un dernier résultat susceptible de remettre le Sénat à sa place : 85% préfèreraient que le projet de réforme constitutionnelle soit soumis au vote des Français par un référendum.

Macron ira-t-il jusque là ? Saura-t-il se dépouiller des oripeaux du bonaparte et innover en matière d’ouverture démocratique aux citoyens profanes ? On peut en douter mais dans l’instant, il faut faire sortir le débat démocratique de la sphère oligarchique où il est enfermé.

Paul Alliès
9 févr. 2018
(paru sur le Blog : UNE AUTRE REPUBLIQUE EST POSSIBLE - Mediapart)

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