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Convention pour la 6ème République

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« Nuit Debout » et la Constitution

dimanche 15 mai 2016, par Paul Alliès

Dans plusieurs villes, la question du changement de Constitution s’est invitée dans les débats des Nuits Debout. Mais il est à craindre que cela ne débouche pas concrètement pour des raisons qu’analyse ici Paul Alliès. Bernard Vivien.

L’envie de débattre d’une nouvelle Constitution s’est exprimée dés les premières Nuits Debout. Un mois après, il reste difficile d’en cerner les résultats. L’appel de Frédéric Lordon à l’écrire semble être resté au stade d’une pétition de principe.

C’est bien lui pourtant qui, dés la 4° Nuit Debout le 3 avril a formulé l’idée : « Ecrivons la Constitution de la République sociale, exact contraire de la République bourgeoise ». S’est mise en place le 16 avril une commission « Citoyens constituants » avec pour objectif « l’organisation d’une nouvelle assemblée constituante tirée au sort dans un souci de représentativité, de légitimité et d’autonomie des citoyens » (*). Elle se pose immédiatement trois questions : 1) Faut-il une Constitution « à dimension préambulaire » et si oui, faut-il adopter ou rejeter les préambules existants ? . 2) Faut-il « passer le texte en référendum officieux, par le biais d’une pétition » et si refus il y a, faut-il lancer une grève générale ou le « blocage des villes » ? . 3) Faut-il trouver un lieu spécifique pour en délibérer capable de contenir un millier de personnes, par exemple le grand amphi de la Sorbonne ?

Ces questions resteront sans suite, l’essentiel des onze réunions tenues entre le 16 et le 28 avril étant consacrées à la coordination de différentes autres commissions apparues sur la place de la République : « ateliers constituants », « cahiers de doléance », « jurys citoyens », « démocratie », et même « constitution ». La réalité, le nombre de participants, les traces de ces rassemblements restent énigmatiques. Leur prolifération témoigne à la fois de l’intérêt pour la question constitutionnelle mais aussi d’une réelle incapacité à savoir comment construire le débat. Des sujets sont bien apparus (par exemple : faut-il pondérer ou pas le tirage au sort ?) de même que l’envie de prendre l’avis de « spécialistes » (il sera fait mention d’une rencontre avec « Benjamin, entrepreneur en gestion de patrimoine, de Metz »). Mais il n’y aura pas de démarche vis-à-vis de commissions équivalentes à Toulouse et Grenoble où l’insistance mise sur la question constitutionnelle semble plus nette (voir l’article d’Emmanuel Riondé dans Mediapart). Les Nuits Debout de ces deux villes ont lancé un appel identique où figure clairement la question : « Comment organiser un processus constituant populaire, faut-il aller vers la chute de la 5° République ? ». Et elles y apportent un début de réponse et un calendrier : « permettre une écriture directe d’une Constitution par les assemblées « Nuit Debout ». Tester ce processus local avant la fin de l’été, le mettre en place nationalement à l’automne ». A Paris, l’accès à l’Assemblée Générale aura été très rare et même impossible à la réunion de la Bourse du Travail le 20 avril, là où Frédéric Lordon et d’autres proposent de réfléchir à « l’étape d’après » : pas un mot n’y sera consacré à la Constitution, l’essentiel étant consacré à la recherche d’une unité d’action avec les syndicats et à la jonction avec la jeunesse des quartiers.

Force est donc de constater à ce jour l’improbabilité d’une ambition pourtant bien venue et stimulante. Pour l’expliquer, on pourrait s’en tenir aux problèmes d’organisation et de communication sur lesquels semblent avoir buté les « deboutistes » investis dans ce champ. Mais on restera perplexe sur la faible utilisation des ressources des réseaux sociaux et d’internet. On risquera donc d’autres raisons.

La première est sans doute la nature de l’invitation de Frédéric Lordon à parler Constitution. Il ne l’a jamais repris en AG après celle du 3 avril. Il a consacré un article dans le Monde Diplomatique de Mars 2016 intitulé « Pour la République sociale ». Il est pour une bonne part consacré à dénoncer « la primaire à gauche » ; et il y est affirmé qu’« aucune alternative réelle ne peut naitre du jeu ordinaire des institutions de la V° République ». Pourtant il met en garde sur « l’ivresse particulière que de rester dans le suspens d’une sorte d’apesanteur politique ». Car il n’y a de politique qu’« instituée ou réinstituée (…Et ) le premier temps de la réapropriation c’est bien la réécriture d’une Constitution ». Cela passe par « l’abolition de la propriété lucrative (…) et par l’affirmation locale de la propriété d’usage » telle que les mettent en place les SCOP ou les entreprises autogérées d’Espagne ou d’Argentine. Dans une interview à « Il Manifesto » (traduit par Reporterre, 14 avril 2016) il confirme qu’il faut « refaire une Constitution qui abolisse la propriété privée des moyens de production et institue la propriété d’usage ». Et il dit son désaccord complet avec Podemos qui s’avère incapable de refaire les institutions comme pour mieux entrer dans celles existantes. Le problème est qu’on n’en saura pas plus sur comment faire. Il donne donc raison à Etienne Chouard, pourtant attentif soutien à sa démarche, qui constatait le 3 avril 2014 sur son site : « Frédéric Lordon est un des rares à partager la question du changement des institutions. Mais je n’arrive pas à obtenir de lui une prise de position sur la Constitution. Il ne réfléchit pas à la Constitution. Il fait comme les autres ». Cet impensé semble bien être en effet une limite organique tant intellectuelle que politique. En témoigne l’impasse de son raisonnement sur les conflits de légitimité des Traités européens et des Constitutions nationales, tel que formulé dans le débat avec François Bonnet sur Médiapart le 4 septembre 2015.

Une deuxième raison à l’impuissance de Nuit Debout à porter le débat sur la Constitution semble être une sorte de fétichisation de la virginité citoyenne : mieux vaut la table rase que la confrontation avec les idées de groupes, ONG, associations qui ont, depuis des années parfois, instruit le procès de la V° République et imaginé des voies pour en changer. L’indifférence totale à la Constituante pour une 6° République telle que défendue par Jean-Luc Mélenchon est spectaculaire. Tout se passe comme si la peur d’un « Meccano juridique formel » et la volonté de « déposition » (F. Lordon) des « sachants » et des « parlementaristes » paralysaient la moindre énergie à subvertir l’ordre constitutionnel existant. C’est une leçon à soigneusement retenir par tous ceux qui veulent poursuivre le combat pour une révolution démocratique.

(*) On en trouvera ici les minutes : https://wiki.nuitdebout.fr/wiki/Villes/Paris/Organisation_Assemblée_Constituante

Paul Alliès
allies@univ-montp1.fr

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