Depuis le Brexit, nous sommes entrés dans une nouvelle spirale inflationniste, celle de l’usage incontrôlé du terme de « populisme ». Il sert à dévaloriser toujours un plus la notion de référendum.
Le terme « populisme » est, en France d’invention récente. C’est Michel Winock, un des chefs de file des « historiens du temps présent » qui l’a théorisé dans les années 80 pour caractériser le Front National. Combattant l’idée que celui-ci pouvait s’inscrire dans la tradition politique du fascisme, il usa de cette dénomination qui permettait d’inscrire La Pen dans la filiation du général Boulanger et de Pierre Poujade. Ceci allait bien à ces historiens qui défendaient toujours l’idée que la société française était restée allergique au fascisme dans les années 30 comme sous Vichy ( ce que contestaient avec vigueur des chercheurs comme Zev Sternhell ou Michel Dobry).
Ce rappel n’est pas qu’académique. La mise sur le marché « grand public » de ce « populisme » avait pour effet de circonscrire une droite autoritaire populaire caractérisée par ses échecs (notamment le 6 février 34), au contraire des véritables mouvements fascistes. Ce premier « coup du mépris » en entrainait un autre : la disqualification des mouvements populaires faits de protestation, mécontentement, frustration. Ils ne sauraient rassembler que des déclassés, des incultes, des catégories sociales désorientées qui ne pouvaient ou ne savaient se situer ou se mouvoir dans le système démocratique. Ils ne parvenaient même pas à entrer dans le cadre de l’opposition loyale à la démocratie représentative. Ce « travail » d’exclusion de la « politique du peuple » allait à l’encontre de la quête rigoureuse d’historiens comme Roger Dupuy ou Sophie Wahnich qui recherchaient sous l’Ancien Régime ou dans la Révolution française les traces d’une expression politique de mouvements qui ne rentraient pas dans les cadres de la politique organisée ou institutionnalisée et qui avaient pourtant contribué à changer la société. Dans ces années, bien peu nombreux étaient ceux, dans les universités qui dénonçaient ces usages du terme « populisme » : un usage qui servait à délégitimer politiquement ceux pour qui le peuple est une cause à défendre au profit de la légitimation de ceux pour qui le peuple est un problème à résoudre (voir Annie Collovald. Le « populisme » du FN, un dangereux contre-sens ». Ed. du croquant. 2004). C’était bien avant que ne soit traduit en français Ernesto Laclau (La raison populiste. Le Seuil.2008) et ses analyses sur les rejets de la politique en Amérique Latine et les logiques populaires qui les portaient. Partout aujourd’hui (sauf peut-être en France) a cours cette reconsidération d’un peuple pris comme autant de menaces contre un système démocratique fondé sur des procédures, des professionnels, des normes de plus en plus élitistes. Obama a, ce mercredi dénoncé l ‘imposture qui ferait de Trump un « populiste » : « un individu qui n’a jamais montré le moindre respect pour les travailleurs, qui ne s’est jamais battu au nom des questions sociales ou pour faire en sorte que des enfants pauvres aient droit à une vie décente ou accès à la santé, ne correspond pas à la définition du « populisme ». On ne devient pas subitement un populiste parce que l’on verse dans la controverse pour emporter des voix. Ce n’est pas l’indicateur du populisme mais du nativisme ou de la xénophobie. Voire pire. Ou c’est juste du cynisme ».
En France le recours sans inventaire au « populisme » sert à attaquer la procédure même du référendum. Depuis le Brexit on ne compte plus les bons esprits (d’Alain Minc à Laurent Cohen-Tanuggi) qui y voient le « triomphe de l’ignorance », ou « la défaite de la raison par la peur ». Même Dominique Rousseau continue son combat (voit le débat sur Mediapart de ce dimanche soir) contre le référendum au nom de l’avantage qu’il donnerait au « populisme ». Et il oppose la démocratie délibérative au référendum. Curieux propos en vérité qui concourt en réalité à conforter l’image d’une scène démocratique policée, ou s’échangerait (dans des « cercles de responsabilités » dit Habermas) des idées, des projets, des programmes. L’expression magmateuse des électeurs référendaires n’en serait que plus dangereuse.
Rappelons donc deux idées simples : 1) Il y a plusieurs formes et systèmes de référendums. Le référendum tel qu’on l’a le plus souvent pratiqué en France est de type plébiscitaire, dans la tradition bonapartiste que De Gaulle avait su si bien ressusciter. Même la révision de 2008 a introduit un faux référendum d’initiative citoyenne de 4,5 millions d’électeurs soutenant 185 parlementaires (l’article 11, al. 3) qui est une imposture (d’ailleurs toujours et même pas entrée en vigueur). Il reste à imaginer la mise en oeuvre d’un véritable référendum d’initiative populaire qui ne laisse pas le contrôle de la question ni l’opportunité de la poser à une autorité quelconque. 2) le référendum peut être l’occasion d’une intense et massive politisation, garante d’une reconquête démocratique de et par l’opinion. Le cas du référendum de 2005 sur le Traité Constitutionnel Européen est là pour le rappeler. Tant le taux de participation que les débats qui ont précédé la consultation en témoignent encore aujourd’hui. Sauf à regretter son résultat pour le désaveu du « cercle de la raison » qu’il a été, il est impossible de soutenir l’opposition entre délibération et référendum. Les deux moments sont évidemment liés : ainsi la procédure de révision de la Constitution que défend la Convention pour la 6° République ( un débat constituant au Parlement et sur un forum participatif de plusieurs mois avant un référendum- voir mon billet du 3 mai 2013 ici). Ou encore le référendum défendu par les députés Jean-Luc Laurent (MRC) et Christian Hutin (PS) sur la « loi Travail » (voir leur argumentaire dans Mediapart, billet du 30 juillet). Il permettrait une issue à l’opposé du 49-3. Il serait tout simplement un moment de respiration démocratique dans un régime qui y étouffe le moindre soupir.
Le référendum est donc bien un élément parmi bien d’autres d’une autre pratique de la politique qui concourt à faire émerger la figure d’un peuple toujours énigmatique mais dont l’existence bien réelle se rappelle au souvenir des gouvernants. Il importe de ne pas le disqualifier par décret (fut-il éclairé) en le traitant de « populiste ». Il est un instrument de la révolution démocratique dont nos sociétés ont tant besoin.
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