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Convention pour la 6ème République

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Résoudre la crise par référendum ? par Paul Alliès, président de la Convention pour la 6° République (C6R)

jeudi 10 janvier 2019, par Bernard VIVIEN

A quelles conditions un référendum à choix multiples qui concluerait un débat national pourrait être une sortie de crise ? C’est ce qu’analyse dans un billet paru le 6 janvier 2019 sur son blog "Une autre République est possible" (sur Mediapart) Paul Alliès qui rappelle à cette occasion les articles de la Constitution permettant de mettre en œuvre un tel référendum ainsi que la portée non significative (euphémisme) des dispositions prévues pour la révision constitutionnelle qui s’était enlisée depuis le mouvement des Gilets Jaunes.

Ce ne sont pas la démission de la présidente de la Commission du Débat Public et le retrait de la Commission elle-même qui lèveront nos inquiétudes.
Bernard Vivien

L’installation dans la durée du mouvement des Gilets jaunes, accompagnée par une banalisation et radicalisation de la violence, appelle une issue à la hauteur des enjeux qu’il porte. Un référendum pourrait en être une des formes à condition que soient précisés son statut, son mode d’emploi, sa portée. On est pour l’instant loin du compte.

un référendum à questions multiples : oui mais à quelles conditions

Dès le 2 janvier au matin, ce que l’on nomme « la garde rapprochée » du président de la République (avec en tête le député du Val d’Oise Aurélien Taché) s’est répandue sur les ondes pour défendre l’idée d’un référendum à questions multiples qui viendrait conclure la période de deux mois du « grand débat national ». Mais la confusion la plus grande s’est installée. La formule d’un référendum « à tiroirs » est bonne, sans doute préférable à une dissolution de l’Assemblée Nationale qui reproduirait avec le même mode de scrutin, les mêmes défauts de mauvaise représentation du pays (si ce n’est la reconduction de la même majorité comme en 1968). Oui donc à un tel référendum mais à quelles conditions ?

 D’abord il doit être organiquement liée au « débat national ».
C’est la règle essentielle pour que celui-ci ait un sens. Même si une lettre du président de la République doit venir le préciser dans quelques jours, on ne connaît pas de débat véritable sans sanction. Ce n’est pas ce qui est prévu pour l’instant tant il est vrai que la mise en place du dit débat est confuse.

La Commission du débat public a été investie de la mission de l’organiser dès le 14 décembre. Mais la conception qu’en a défendue sa présidente Chantal Jouanno, a inquiété l’Elysée qui a temporisé. Attachée au statut de Haute Autorité Administrative Indépendante de son institution, elle a fixé quelques conditions pour que le débat se déroule sans intrusion de quelconques services de l’Etat. D’où des « kits de méthodologie pour donner des conseils sur l’animation des réunions », une plateforme numérique, des cahiers de doléances dans les mairies, quelques assemblées avec des citoyens tirés au sort et « plein d’outils pour éviter que quelqu’un ne récupère le débat » (C. Jouanno dans Libération du 4 janvier). Cette quincaillerie fera-t-elle oublier le maigre bilan pour ne pas dire les échecs de la Commission au cours de ses vingt trois années d’existence ? La vraie question qui n’a pas reçu le début d’une moindre réponse est bien celle de « l’engagement du gouvernement dès aujourd’hui sur la manière dont il va tenir compte de ces résultats ». 47% des Français pensent que le gouvernement ne tiendra « pas du tout » compte des avis émis. Le risque du désintérêt massif est donc grand. Les Gilets jaunes ont déjà appelé au boycott. La désaffection menace très sérieusement cette palabre qui doit durer jusqu’à début mars.

 La bonne réponse pourrait donc être dans la définition d’un référendum qui permette de trancher les principaux sujets ressortant du débat.
Un tel référendum est prévu par la Constitution. L’article 11 en a fixé un champ très large : entre autres, l’organisation des pouvoirs publics, la politique économique ou sociale de la Nation, les services publics qui y concourent. Rien n’empêche que plusieurs questions soient posées et que les électeurs répondent différemment à chacune d’entre elles. Il conviendra néanmoins de les présenter de telle manière qu’elles soient traduites en projets de lois (d’où une intervention du Conseil Constitutionnel et du Conseil d’Etat) ce qui renforcera le caractère obligatoire des réponses positives. Seul vrai problème : c’est le président de la République qui a le monopole de l’initiative d’un tel référendum, le gouvernement n’ayant qu’un rôle de proposition dont on sait trop le caractère formel. Sauf si en ces circonstances, il assumait effectivement la responsabilité que lui donne l’article 20 de « conduire la politique de la Nation ». On bute donc sur l’irréductible nature bonapartiste du régime. De Gaulle avait fait (quatre fois) un usage plébiscitaire de la procédure en ramenant la réponse à une vote de confiance sur sa personne ; dans cette logique, il a démissionné quand il a perdu le référendum du 27 avril 1969. Ce que n’ont su plus faire ses successeurs (après des dissolutions perdues). On n’oublie pas comment Sarkozy a foulé aux pieds les résultats du référendum du 29 mai 2005 sur le projet de Traité Constitutionnel de l’Union Européenne malgré le record des 70% de participation (le 4 février 2008 il faisait adopter par le Parlement une révision de la Constitution permettant la ratification du Traité de Lisbonne). La déclinaison en questions multiples limiterait ce lourd handicap de la confiscation présidentielle de la procédure à condition justement qu’il y ait un engagement très précis du gouvernement sur la procédure de formulation des questions qu’il transmettrait au Président.

 C’est manifestement hors de portée de l’imagination constitutionnelle de la « garde rapprochée » déjà citée (pour l’essentiel d’anciens strauss-kahniens du PS). Les voilà expliquant (quand ils sont poussés dans leurs retranchements) qu’il s’agira de faire voter par référendum les dispositions de la révision constitutionnelle promise (et enlisée) par Macron.

la révision constitutionnelle annoncée : plutôt une réduction des pouvoirs du Parlement

On entend ici ou là qu’il pourrait porter pêle-mêle sur la proportionnelle, le vote blanc et obligatoire. Mais aussi sur des questions supposées « populaires » comme la réduction du nombre de parlementaires, la limitation de la durée de leur mandat dans le temps, des matières qui rencontrent toujours l’opposition de la majorité du Sénat et qui du coup, ne pouvant être adoptées par une loi organique pourraient l’être par ce référendum. Cette idée d’un référendum direct (de l’article 11) avait été avancée par le président de la République dès son discours devant le Congrès à Versailles le 3 juillet 2017. C’était l’époque du macronisme flamboyant qui voulait « en finir avec la République du souffle court » (droit de pétition élargi, instauration d’une part significative de proportionnelle, limitation du cumul des mandats parlementaires dans le temps, etc.). Mais le souffle court a bien vite repris l’avantage au gré des négociations à l’antique avec le président du Sénat. Tel qu’il a été ainsi peaufiné (à la veille de l’été et de l’affaire Benalla) le projet de révision est devenu une entreprise de réduction aggravée des pouvoirs du Parlement et d’enterrement de l’espoir d’ « une démocratie plus représentative ». L’introduction d’une dose minimale de proportionnelle a été actée ; elle aboutira à ce qu’une vingtaine de députés de formations minoritaires puissent siéger à l’Assemblée Nationale ce qui ne changera absolument rien à sa très faible représentativité. L’interdiction du cumul de plus de trois mandats identiques successifs (promesse d’Emmanuel Macron) ne s’appliquera pas aux mandats locaux (vu les seuils fixés, ni à 97% des maires, ni à 52% des présidents d’Etablissements Publics de Coopération Intercommunale) ; la limitation dans le temps ne concernera que les mandats « consécutifs » ou « complets » (ce qui laisse la porte grande ouverte aux contournements imaginatifs des intéressés avec des démissions/remplacements de complaisance). Enfin l’interdiction ne prendra effet au mieux qu’en 2032 pour les députés, les maires et les présidents d’EPCI et en 2033 pour les sénateurs, les présidents de Conseil Départemental et Régional.

Tout cela est d’ores et déjà inscrit dans les projets de l’Exécutif. Va-t-il les remettre sur le tapis du référendum ? On prend les paris que non. On s’éloignera donc encore un peu plus des attentes de l’opinion d’une déprofessionnalisation de la politique avec des élus locaux et nationaux qui ne se verraient plus comme les détenteurs exclusifs de l’intérêt général.

C’est donc à ce tour de passe-passe auquel songent en ce moment les partisans du référendum à questions multiples dans le camp retranché du pouvoir, escomptant au passage forcer le barrage du Sénat et rehausser la stature verticale du président de la République. C’est une formidable escroquerie qui se prépare, trompant encore un peu plus les aspirations à un renouveau démocratique porté par le mouvement des Gilets jaunes. Si elle aboutit, elle appellera un boycott général de la consultation. Mais celui-ci ne règlera en rien le tour dangereux pris par ce pouvoir qui ne pratique que retour à l’ordre, aux provocations verbales et à la répression conduisant à la violence et à la restriction des libertés. Il ne résoudra pas la crise par un tel référendum. S’il maintient cette version, il créera les conditions de son aggravation. Il oblige à penser concrètement et sans délai les modes de passage à une nouvelle République démocratique.

Paul Alliès
6 janvier 2019

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