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Convention pour la 6ème République

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Institutions : penser global, agir local.

vendredi 4 septembre 2015, par Paul ALLIES

Le séminaire de travail C6R-Anticor "Penser globalement, agir localement" tenu dans le cadre des "entretiens de Jarnac" organisés par Jérôme Royer s’est déroulé en deux temps. La première partie portait sur le " penser globalement", à savoir les nécessités et la possibilité d’un changement de notre architecture institutionnelle, la seconde partie concernait l’ "agir localement", à savoir penser, à partir de situations concrètes, les actions juridiques d’Anticor. Le premier thème de discussion a été introduit par Paul Alliès. Il nous livre ici la trame de so première intervention également publiée sur son blog sur Mediapart.fr.
Bernard Vivien

Lire le communiqué : ICI
Anticor et la Convention pour la 6° République ont, le 29 août dernier tenu un séminaire de travail dans le cadre des « Entretiens de Jarnac » organisés par Jérôme Royer. Le thème en était : « Penser globalement, agir localement ». Il s’agissait de voir comment pouvait s’articuler un combat pour un changement de République avec un travail de moralisation de la vie publique engagé sur le terrain (une dizaine de grandes villes ont élu des maires signataires de la Charte Anticor en mars 2014). Je donne ici la trame de mon introduction au débat.

« Penser globalement un changement de notre architecture constitutionnelle ».

C’est l’ensemble de l’héritage constitutionnel des Lumières qui semble aujourd’hui remis en question : des modes de représentation jusqu’à la légitimation des gouvernants, en passant par la définition de la volonté générale. Pourtant un concept résiste remarquablement bien, celui de Constitution. Il est le cadre à peu près universel dans lequel sont imaginés les rapports entre les citoyens et le(s) pouvoir(s). Partant de là, on peut réfléchir aux rapports entre institutions et démocratie, puis aux modalités d’un changement constitutionnel compatibles avec un « agir local ».

1.Sur la notion de Constitution :

Elle vient du plus profond de l’Europe moderne, de ce mouvement des villes où des assemblées de marchands et de banquiers arrachent aux rois des chartes et des franchises. Elle vient de ces théologiens qui, dès le XIV° siècle inventent la théorie du « pacte de gouvernement » où l’autorité se fonde sur un contrat entre le prince et ses sujets. Elle vient de la Réforme protestante qui, en prônant une morale conforme au christianisme des origines contre l’Eglise instituée favorise le contrôle du pouvoir religieux ou séculier par l’exercice du libre-arbitre. C’est là le germe d’un autogouvernement possible de la société qui va donner naissance au premier constitutionnalisme et au parlementarisme. Cette histoire longue explique l’enracinement et la résistance de la notion qui a connu beaucoup de mutations : du contrat entre les citoyens et l’Etat (la définition de droits civils) que fixèrent les premiers textes des révolutions bourgeoises, on est passé à l’énoncé de droits politiques, sociaux, culturels. Ainsi la notion de Constitution semble capable de protéger de nouveaux droits fondamentaux et d’accueillir de nouvelles organisations du pouvoir. Sa plasticité permet de penser globalement le rapport entre particulier et universel. En France, cela s’est cristallisé dans la figure de la République.
Aujourd’hui, certains (Toni Negri, Catherine Colliot-Thélène) défendent l’idée d’une « démocratie sans demos » et le renoncement à l’espoir d’un « gouvernement du peuple par le peuple » (un mythe qui ferait écran à l’aménagement des rapports dominants-dominés). Le peuple se dissoudrait dans la modernité marchande ; et la revendication de « droits égaux » (non-politiques) se suffirait à elle-même (comme on l’a vu dans le « mouvement des places » Tahrir, Taksim…). Sans ouvrir ici le débat au fond (par exemple avec Pablo Bustinduy de Podemos), on renverra à d’autres auteurs (Philip Pettit) qui accordent eux, une importance décisive aux institutions et procédures démocratiques repérables dans la longue histoire du « républicanisme » : la République s’entend comme un régime de contrôle populaire du gouvernement. Elle fixe un droit de la séparation et du partage du pouvoir, base d’institutions indépendantes (tels les jurys-citoyens) où se forge une conception singulière de la liberté comme non-domination (inassimilable aux conceptions libérales de la liberté). Cette appréciation de la valeur contemporaine de la Constitution doit nous amener à réfléchir aux nouveaux principes généraux qu’il conviendrait d’intégrer aux Préambules. Par exemple, les droits susceptibles d’encadrer ou contrebalancer « le technopouvoir » (Eric Sadin) produit par les entreprises de technologies numériques et de traitement des données dont les innovations déterminent de plus en plus la forme de nos sociétés. Sous couvert d’open-data ou d’économie du partage, elles contribuent à une « servicisation » des conditions de vie (la santé, l’éducation…). L’énonciation de droits et liberté numériques respectant l’intégrité de la personne humaine, le caractère public des biens communs numériques, le principe absolu de la délibération à leur sujet, est de nature à impliquer la société de bas en haut. L’assimilation locale et générale de ces nouveaux principes et droits fondamentaux est un facteur sans doute plus mobilisateur qu’un débat sur l’article 49-3 ou même la revendication d’une Constituante (on va y revenir).

2. Sur le rapport entre institutions et démocratie.

Le champ sémantique est encombré de dénominations prétendant inventer de nouvelles définitions de la démocratie : « démocratie continue » (D. Rousseau), « démocratie gouvernante » (P. Rosenvallon), « démocratie post-étatique » (D. Innerarity). Dés les années Vingt, les austro-marxistes (O. Bauer) réfléchissaient à la « démocratie mixte » en s’inspirant des pratiques sociales de Vienne la Rouge. Depuis l’entrée en crise du parlementarisme, soit après la guerre de 1914, la volonté de corriger le « légicentrisme » des systèmes représentatifs est restée constante. Elle trouve un certain équilibre aujourd’hui dans la « démocratie procédurale » (Habermas) : elle met l’accent sur le fait que le processus mis en œuvre pour construire et aboutir à une décision est plus important que la décision elle-même. Elle érige en principe la délibération pour laquelle les dispositifs juridiques jouent un rôle essentiel dès lors qu’ils facilitent la participation des citoyens et l’adoption de choix collectifs. L’institutionnalisation de cette démocratie délibérative est devenu un enjeu global pour garantir la libre détermination des citoyens tant par rapport à l’Etat qu’à la volonté des élus d’incarner, seuls et avec l’aide des experts, l’intérêt général. La révolution cybernétique-numérique que nous vivons donne à tous la possibilité d’être informé et savant, autant ou plus que les représentants élus ; à condition de ne pas rester isolé dans les réseaux de l’information et de l’interactivité. Toutes les procédures sont donc opportunes pour favoriser la formalisation de cette démocratie participative directe : du tirage au sort aux conférences de consensus et jurys citoyens ; y compris le Référendum pourtant décrié pour ses effets plébiscitaires, schématisants, acclamatoires. Son usage dans des mouvements populaires récents en Islande, Tunisie, Grèce (sans oublier celui de 2005 en France) doit nourrir la réflexion sur son perfectionnement démocratique : initiative populaire réelle, pluralité des questions posées, effet abrogatif… Dans tous les cas, la procédure référendaire peut être un facteur de politisation de masse et de dévoilement du pouvoir abusif des gouvernants. La défense des moindres procédures référendaires est donc un enjeu (alors même qu’en France le Parlement vient de discrètement supprimer le droit reconnu aux citoyens par une loi du 16 décembre 2010 de permettre la consultation des électeurs dans la modification des limites territoriales et administratives des collectivités locales). Ces exemples démontrent que le rapport entre institutions et démocratie peut et doit trouver des circuits courts et des espaces périphériques pour subsumer les codes de la démocratie représentative et évidemment de son excroissance présidentialiste.

3. Sur les modalités d’un changement constitutionnel.

Relier le global (la Constitution) au local (les procédures participatives) n’aurait pas de sens si on ne disait rien sur les conditions de sortie du régime autoritaire, anachronique et exotique qui nous occupe depuis 1958. Il serait vain de compter pour ce faire sur la seule force attractive de propositions démocratiques et populaires. Il faut aussi compter avec la force de résistance des partis dits de gouvernement accrochés à la défense de la V° République devenue une condition de leur survie. Ces derniers temps, le débat a semblé s’orienter vers la revendication d’une Assemblée constituante comme la meilleure voie possible vers une VI° République. Le recours à une telle assemblée fait partie de la tradition révolutionnaire française et a produit ses effets à plusieurs reprises dans notre histoire constitutionnelle. Il aurait pu servir de référence aux soi-disant constituants européens en 2005. Mais il apparaît comme difficilement praticable dans le contexte où nous sommes et alors que la Constitution en vigueur a prévu des procédures de révision de son texte qui s’ouvrent sur le référendum. Certes le texte réservé à cet effet (l’article 89) apparaît comme impraticable. Mais celui, amendé et élargi de l’article 11 autorise une transition qui ne manque pas d’intérêt démocratique. A condition qu’un ou une candidate à l’élection présidentielle et la majorité de l’Assemblée nationale élue, par hypothèse dans la foulée le veuillent (qu’ils aient donc proposé quelques principes de refondation de la République dans leur campagne et donc aient reçu ainsi un mandat constituant), il est possible d’ouvrir un processus de changement en prise sur la société : un premier référendum est organisé sur les grandes lignes d’une réforme de la Constitution ; l’Assemblée nationale devient constituante pour un temps limité (trois à six mois) et une partie de son ordre du jour hebdomadaire (les débats sont retransmis en direct sur la chaîne parlementaire) ; un Forum consultatif constitutionnel est mis en place sous l’autorité du Garde des Sceaux pour l’organisation d’un débat public : un comité d’une cinquantaine de représentants de l’Exécutif, de juristes, de citoyens tirés au sort, de responsables d’associations spécialisées sur les questions démocratiques suit et arbitre le débat ouvert sur Internet ; une synthèse de ces propositions (du Forum et de l’Assemblée nationale) est adoptée par l’Assemblée et soumise pour avis au Conseil constitutionnel ; un second référendum ratifie le texte. Cette modalité de révision ne présuppose aucun drame ni conflit puisqu’elle combine le droit existant, la volonté des élus au suffrage universel direct, la concertation avec les citoyens et leur vote.

C’est une démarche démocratique pragmatique qui met à la portée du plus grand nombre le changement de République. Au lieu de cela, la Constituante apparaît comme improbable dans sa convocation, excessivement solennelle dans sa réunion, exagérément optimiste quant à ses effets en particulier démocratiques. Il y a donc bien des voies et des moyens plus simples et ordinaires pour relier le penser global et l’agir local dans la société réelle. Il faut en débattre sans relâche et les livrer à la discussion de l’opinion la plus large.
Paul Alliès 4 septembre 2015

URL source : http://blogs.mediapart.fr/blog/paul-allies/040915/institutions-penser-global-agir-local

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